Modulation atypique de la biosynthèse de la colibactine
Les sidérophores, des systèmes de captation du fer
Généralités sur l’acquisition du fer par les bactéries
Le fer est un ion métallique essentiel pour presque tous les organismes vivants . Au niveau biologique, le fer est un constituant majeur de nombreuses protéines, sous forme de groupement héminique ou fer-soufre [45]. La capacité du fer à facilement échanger des électrons en fait également un cofacteur de choix dans divers processus biologiques vitaux, tels que le cycle de Krebs, le transport d’oxygène ou encore la réplication de l’ADN [46]. Le fer est retrouvé sous deux états d’oxydo-réduction interchangeables : la forme réduite Fe2+, appelée fer ferreux, et la forme oxydée Fe3+, appelée fer ferrique. L’état du fer dépend principalement de la teneur en oxygène du milieu environnant. En conditions d’anaérobiose, le fer se retrouve principalement sous sa forme réduite Fe2+ et est alors relativement soluble. À l’inverse, en présence d’oxygène, il est majoritairement présent sous forme oxydée Fe3+ et présente une solubilité très faible [47]. Le fer est indispensable à la survie et à la virulence des micro-organismes bactériens, mais son acquisition est une réelle problématique. Chez l’hôte, le fer est en effet principalement retrouvé sous forme ferrique très peu soluble (10-9 M à pH 7). Sa biodisponibilité est d’autant plus faible que la majorité du fer est complexé aux protéines de l’hôte, abaissant ainsi la concentration sérique en fer libre à environ 10-24 M [48]. Chez les vertébrés, les deux tiers du pool ferrique sont complexés à l’hémoglobine, près d’un tiers est stocké dans les cellules par la ferritine, et une infime proportion est séquestrée par des protéines circulantes liant le fer, principalement la transferrine et la lactoferrine [46]. Afin de maintenir une concentration intracellulaire d’environ 10-6 M nécessaire à leur survie chez l’hôte, les bactéries ont développé différents mécanismes d’acquisition du fer. Elles expriment ainsi de multiples transporteurs, capable de capter le fer circulant ou complexé à l’hémoglobine [49], ou récepteurs, favorisant l’extraction du fer associé aux protéines circulantes de l’hôte (transferrine et lactoferrine). Elles synthétisent également des sidérophores, petites molécules sécrétées présentant une très forte affinité pour le fer ferrique, et capables de récupérer le fer séquestré par les protéines de l’hôte [46,51]. Cette partie se focalisera sur l’acquisition du fer par les sidérophores synthétisés par E. coli, que sont l’entérobactine, les salmochélines et la yersiniabactine, composés PK et/ou NRP, ainsi que l’aérobactine, de nature chimique différente, et sur leur rôle dans la virulence bactérienne.
Étapes d’acquisition du fer par les sidérophores
Les sidérophores sont des chélateurs spécifiques du fer, aptes à capturer le fer ferrique complexé à la transferrine ou la lactoferrine de l’hôte grâce à leur affinité extrêmement élevée [52]. Ils sont synthétisés par les bactéries, les champignons et certaines plantes [53]. Presque toutes les souches de E. coli, ainsi que de nombreuses entérobactéries, synthétisent l’entérobactine, un composé NRP de la famille des catéchols (Figure 10) . Les souches d’ExPEC peuvent produire trois sidérophores additionnels : les salmochélines, dérivés glycosylés de l’entérobactine ; la yersinibactine, composé PK-NRP de la famille des phénols ; et l’aérobactine, composé non-PK et non-NRP de type citrate-hydroxamate (Figure 10) [48]. Figure 10. Structure des sidérophores synthétisés par E. coli Si ces sidérophores diffèrent par leur structure chimique, les étapes spécifiques de l’acquisition du fer sont identiques et comprennent (Figure 11) : c la biosynthèse et d l’export du sidérophore, puis e la recapture du complexe [Fe3+–sidérophore] (ou ferrisidérophore) à la surface bactérienne et f son internalisation, et enfin g la libération du fer dans le cytoplasme. Les composants spécifiques nécessaires à la biosynthèse, l’export, la recapture, l’internalisation et la libération pour chacun des quatre sidérophores de E. coli sont détaillés dans le Tableau II. Pour chaque système, les gènes codant les différents composants nécessaires à l’acquisition du fer sont organisés en clusters, représentés dans la Figure 12 . Biosynthèse La biosynthèse des sidérophores par les bactéries est induite en conditions de carence en fer intracellulaire. Les types de voies de biosynthèse sont différents selon la famille chimique. De manière générale, la biosynthèse des catéchols (entérobactine) et phénols (yersiniabactine) requiert des machineries enzymatiques de type NRPS et/ou PKS, alors que la synthèse des hydroxamates (aérobactine) est PKS/NRPS-indépendante . Export À l’issue de leur synthèse, les sidérophores sont exportés dans le milieu extracellulaire par des transporteurs dédiés afin de remplir leur fonction d’acquisition du fer. Trois familles de transporteurs sont impliquées : les MFS (pour major facilitation superfamily), les RND (pour resistance nodulation and cell division) et les ABC (pour ATP-binding cassette) (Tableau II) . Recapture La recapture des complexes ferri-sidérophores fait intervenir des récepteurs spécifiques localisés sur la membrane externe . Les différents récepteurs sont dépendants du système de transfert d’énergie TonB–ExbB7–ExbD2. Le complexe [ExbB7–ExbD2] utilise la force protonmotrice de la membrane plasmique interne pour transférer l’énergie à la protéine TonB. La liaison d’un complexe ferri-siderophore à son récepteur spécifique déclenche le recrutement de TonB, induisant alors par transfert d’énergie un changement conformationnel du récepteur et l’import périplasmique du complexe ferri-sidérophore [54]. Certaines bactéries sont en outre dotées de récepteurs pour des sidérophores synthétisés par d’autres micro-organismes (ou xénosidérophores) et présents dans l’environnement . Internalisation Une fois dans le périplasme, les complexes ferri-sidérophores vont traverser la membrane interne grâce à des systèmes de transport ATP-dépendants. Ils peuvent éventuellement être pris en charge par des protéines périplasmiques de transfert, qui facilite leur adressage vers les transporteurs et accélère leur internalisation vers le cytoplasme . Libération Pour des sidérophores comme l’aérobactine, la libération du fer du complexe se produit par réduction du sidérophore ferrique en sidérophore ferreux sous l’action de réductases, suivie d’une libération spontanée du fer [48]. Mais pour d’autres sidérophores, tels que l’entérobactine et les salmochélines, l’action des réductases ne suffit pas et la libération du fer nécessite l’action d’estérases capables d’hydrolyser le sidérophore .
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