Modélisation numérique des phénomènes
d’amortissement par dissipation d’énergie matérielle
Analyses sismiques non-linéaires
L’avènement des analyses non-linéaires
Les méthodes basées sur le concept de force sont largement utilisées dans le dimensionnement des ouvrages de génie civil sous chargement sismique [PS 95, Eur05] mais sont remises en question aujourd’hui. Nous reprenons ici les arguments qui se trouvent dans le premier chapitre de l’imposant ouvrage de Priestley, Calvi et Kowalsky consacré aux méthodes récentes de dimensionnement basées sur les déplacements [Pri07] : – La procédure de dimensionnement basée sur les forces commence par une estimation de la raideur qui permet de calculer les périodes propres et la fa¸con dont les efforts sismiques se répartissent dans les éléments. Or, la raideur ne peut pas être connue avant le dimensionnement des rotules plastiques à la fin du processus de dimensionnement ; – Répartir les forces entre les différents éléments de structure en considérant leur raideur initiale revient à supposer que tous les éléments atteindront leur limite élastique en même temps, ce qui n’est souvent pas le cas ; – La procédure de dimensionnement basée sur les forces repose sur l’hypothèse qu’un unique coefficient de comportement (déterminé à partir de la demande en ductilité) suffit pour un certain type de structures et de matériaux, ce qui est faux. Afin de pallier ces inconvénients, des méthodes de dimensionnement basées sur les déplacements ont été développées. Elles comprennent notamment la méthode de dimensionnement basées sur la performance qui consiste à définir a priori des critères que la structure devra remplir une fois dimensionnée. Ces critères de performance sont concrètement exprimés en terme de déplacement inter-étage et même, dans les procédures les plus évoluées, en terme d’état de déformation, quantités locales qui peuvent être reliées à l’endommagement [Pri07]. La définition de ces critères exige en particulier de se référer à des relations entre le degré de détail du ferraillage des sections et la demande en déformation : relations déterminées par des analyses de poussée progressive (“pushover”) ou par des analyses dynamiques temporelles non-linéaires (“time-history inelastic analysis”). Dans l’ingénierie, des méthodes simplifiées sont utilisées pour prendre en compte la réponse non-linéaire d’une structure sans avoir à faire d’analyses en poussée progressive ou d’analyses dynamiques temporelles non-linéaires coˆuteuses en temps de 14 Revue de l’état de l’art modélisation et de calcul. Plusieurs méthodes simplifiées existent selon que (i) la raideur utilisée pour le calcul des périodes propres, de la répartition des efforts sismiques entre les éléments de structure et pour quantifier l’amortissement élastique – qui n’est pas représenté dans la réponse non-linéaire de la structure – est la raideur élastique ou bien la raideur sécante au déplacement maximum ; et que (ii) l’amortissement généré par la réponse non-linéaire de la structure est introduit par l’utilisation de spectres inélastiques ou d’un amortissement visqueux équivalent. Nous voudrions insister ici sur le fait que ces méthodes simplifiées reposent, implicitement, sur des résultats d’analyses en poussée progressive ou d’analyses sismiques temporelles non-linéaires – que ce soit pour la fabrication de spectres inélastiques ou de spectres fonction d’un certain pourcentage d’amortissement visqueux équivalent et pour la prédiction de la demande en déformation en fonction de la géométrie de certaines sections – qui sont à la base des pratiques de dimensionnement et d’analyses sismiques des structures. Chercher à améliorer les analyses sismiques temporelles non-linéaires est donc d’un intérêt fondamental en génie parasismique.
Evolution des propriétés d’une structure sous séisme
La figure 2.1 représente une structure en béton armé dans son environnement. Si l’on considère une structure standard de type portique en béton armé, les sources de dissipation d’énergie, qui dépendent en général de l’amplitude de l’excitation [Ste80] et de la fréquence d’excitation, peuvent être classifiées en sources internes et externes à la structure. La dissipation d’énergie externe provient (i) de la géométrie et du type de fondations (amortissement par radiations d’énergie) et d’effets de site [Dri09], (ii) de la quantité et du type de composants non-structuraux, (iii) de l’interaction avec les constructions voisines (entrechoquements, perturbation de la propagation des ondes dans les fondations), (iv) de la résistance de l’air environnant, (v) d’une interaction fluide-structure [Seg09], etc. Les sources de dissipation d’énergie externes ne modifient pas directement les caractéristiques de la structure. La dissipation d’énergie interne provient (i) de sources matérielles : amortissement inhérent au comportement constitutif des matériaux [Ami06], déformations plastiques, endommagement local (microfissures), friction entre lèvres de béton, ouvertures et refermetures de fissures qui créent un impact inélastique, chaleur générée par de la fatigue à faible nombre de cycles, etc. et (ii) de sources structurelles : la quantité et le niveau de détail du ferraillage qui confine le béton et lui confère de la ductilité, la déformabilité des joints d’ossature, flambement des barres d’acier, effet goujon, glissement entre acier et béton, etc. La dissipation d’énergie interne est le résultat de modifications irréversibles dans la structure. Ce sont des phénomènes non-linéaires qui se produisent à différentes échelles et qui modifient les propriétés Modèles de dissipation d’énergie sismique 15 de la structure telle par exemple la capacité résistante de certaines de ses sections. Modéliser ces phénomènes dissipatifs est de ce fait un point clé dans les analyses basées sur la performance et pour la définition de procédures de dimensionnement fiables pour les systèmes dynamiques non-linéaires. La figure 2.2 illustre les trois phases qui peuvent être communément distinguées dans la réponse sismique inélastique d’une structure en béton armé et qui témoignent de l’évolution de ses propriétés. La phase I représente la réponse à de faibles intensités du signal sismique, quand la structure reste dans son domaine linéaire. L’énergie sismique est essentiellement dissipée par le comportement viscoélastique des matériaux [Les07]. Dans la phase II, l’intensité du signal sismique est la plus forte, la structure s’endommage (dégradation de sa raideur et de sa capacité résistante) et des déformations résiduelles apparaissent. L’énergie sismique est à la fois stockée par la structure (écrouissage) et dissipée de fa¸con irréversible par les mécanismes non-linéaires qui sont mis en jeu lors de ses modifications internes. Finalement, dans la phase III, après avoir été fortement excitée, la structure subit à nouveau de faibles sollicitations mais cette fois avec des déplacements résiduels, des périodes de vibration plus grandes que pour la structure avant séisme, et des caractéristiques dissipatives différentes à cause, par exemple, des frottements dans les fissures qui se sont ouvertes. Une quatrième phase de retour vers un état de repos en vibrations libres suit ces trois phases. La figure 2.2 montre que pendant les phases I et III, la quantité d’énergie sismique que la structure doit stocker et dissiper est petite alors que pendant la phase II, entre 10 s et 23 s, la structure doit absorber et dissiper une grande quantité d’énergie sismique. Les caractéristiques particulières de ces trois phases doivent être modélisées de sorte que les analyses sismiques basées sur la performance, pour des structures existantes ou pour le dimensionnement de nouvelles structures soient fiables ; cependant, peu de modèles sont actuellement capables de représenter chacune de ces trois phases.
Table des figures |