Modélisation Numérique de la Formation du Noyau Terrestre

Modélisation Numérique de la Formation du Noyau
Terrestre

 Transport de la phase métallique dans l’isobaric core

Une fois fondue, la phase métallique plus dense a pu migrer rapidement vers le bas de l’isobaric core formé après impact par percolation à l’échelle du grain (Stevenson, 1990; Yoshino et al., 2003) ou par pluie de gouttelettes de fer dans les silicates (Stevenson, 1990; H¨oink et al., 2005)

 Percolation du métal liquide dans une matrice silicatée

A l’échelle du grain, la fusion de la phase métallique entraˆıne la formation de poches de métal liquide localisées le long des limites de grains. Ce phénomène est fonction de l’angle formé par le liquide en contact avec deux grains solides (Von Bargen and Waff , 1986), de la fraction volumique de liquide et du régime de contraintes dans le système. Cet angle θ est appelé angle dihédral ou angle de mouillage (Fig. 3.6). La valeur de θ caractérise les énergies d’interface entre les phases en contact. Si θ > 60˚, le liquide est confiné dans des poches aux coins des grains. Si θ < 60˚, le matériel fondu rempli les canaux entre les grains solides et forme un réseau connecté. La ségrégation de la phase métallique et sa migration vers le bas de la région partiellement fondue par percolation devient possible. Les angles dihédraux des alliages de Fer fondus dans une matrice solide riche en silicates sont grands (∼ 108˚pour des pressions comprises entre 2 et 20 GPa). Cependant, l’efficacité de la percolation dépend aussi de la fraction volumique de matériel liquide dans la matrice solide. La limite de percolation dans un système solide/liquide pour des angles dihédraux supérieurs à 100˚n’est pas connue précisément. Von Bargen and Waff (1986) montrent par modélisation numérique que, dans un cas ou le liquide est réparti de fa¸con homogène dans la matrice, la fraction volumique seuil de liquide pour laquelle la percolation devient possible est faible (∼ 5.7%). Les expériences de mesure de la conductivité de Yoshino et al. (2003) confirment que pour des fractions volumiques métalliques faibles (3-6%) la percolation est possible dans une matrice silicatée. Ils montrent aussi que ce seuil de percolation est indépendant de la composition en sulfure de la phase métallique. Pour des fractions volumiques inférieures à 5 %, la connectivité est contrˆolée par les tensions de surface à l’interface liquide/cristal. Pour des fractions volumiques de liquide supérieures à 5 %, le liquide forme un réseau interconnecté et la perméabilité est contrˆolée par la taille effective des chenaux liquides. Enfin, l’efficacité de la percolation dépend du régime de contrainte du milieu. En effet, les études expérimentales à hautes pressions montrent qu’à des conditions hydrostatiques (avec une pression de confinement comprise entre 400 et 450 MPa), la phase métallique fondue ne forme pas de réseau interconnecté (Shannon and Agee, 1996). Cependant, des déformations par contraintes cisaillantes comprises entre 60 et 100 MPa peuvent permettre d’interconnecter une fraction significative des poches isolées (Bruhn et al., 2000). Ces conditions de pression pourraient se retrouver à faible profondeur dans un manteau en convection. La mobilité des alliages Fe-FeS peut aussi ˆetre facilitée par une fusion partielle de la matrice silicatée. Fig. 3.6 – Illustration de l’interconnectivité du réseau liquide en fonction de l’angle de mouillage d’après (Rushmer et al., 2000). Définition de l’angle de mouillage θ (haut). Si θ < 60˚, le liquide forme un réseau interconnecté (bas gauche) et si θ > 60˚, le liquide est isolé en poches. La fusion de l’alliage Fe-FeS et ainsi la percolation de cet alliage peut avoir lieu à des températures (∼ 1270 K) inférieures à la température de fusion des silicates (∼ 1670K). Si la phase métallique fondue est capable de former un réseau connecté, ses vitesses de migration sont rapides et peuvent ˆetre calculées à partir de la loi de Darcy. v = (k/η)dP/dh (3.1) avec v la vitesse de la phase fondue par rapport à la matrice solide, k la perméabilité, η la viscosité de la phase fondue et dP/dh le gradient de pression hydrostatique (= ∆ρg avec ∆ρ la différence de densité entre matériel fondu et matrice et g l’accélération gravitationnelle).  Imaginons un impact sur une planète en croissance ayant un rayon R = 3000 km (g = 3.5ms−2 ). Si l’état thermique initial le permet, la phase métallique dans l’isobaric core atteint la température de fusion du fer. La matrice silicatée est quant à elle solide. La viscosité du fer liquide est très faible par rapport à la viscosité des silicates solides et dépend fortement de la température. Pour une température proche de l’eutectique, la viscosité d’un alliage Fe-FeS est ∼ 0.02 Pa.s (Dobson et al., 2000). La différence de densité entre fer et silicates est ∆ρ = 4500 kg/m3 . En considérant une perméabilité k = a 2Ψ/(24π) (Turcotte and Schubert, 1982) avec a la taille de grains (a = 10−3m) et Ψ la fraction fondue (Ψ = 17%), la vitesse de ségrégation dans l’isobaric core est v ∼ 10−3 m/s soit ∼ 30 km/an. Pour un impacteur avec un rayon rimp = 100 km, le rayon de l’isobaric core correspondant sera Ric = 144 km (Eq.2.9). Il faudra donc environ 5 ans pour que le fer présent dans la partie supérieure de l’isobaric core rejoigne le bas de l’isobaric core. Ce modèle ne tient pas compte des phénomènes de compaction qui peuvent ˆetre engendrés lors de l’écoulement de la phase métallique dans la matrice silicatée et modifier la dynamique de ségrégation de la phase métallique (Bercovici et al., 2001a,b; Ricard et al., 2001; Sramek et al., 2007). La compaction peut notamment dissiper une partie de la variation d’énergie potentielle provoquée par la chute d’un diapir de fer vers le noyau et la transformer en chaleur. Cette échelle de temps très courte par rapport aux temps caractéristiques de relaxation visqueuse (cf. Partie 2). On peut donc considérer que la ségrégation de la phase métallique dans l’isobaric core est un phénomène quasi instantané par rapport à la relaxation thermique qui se fait en plusieurs millions d’années. 

Pluie métallique en milieu liquide

Suite à un impact géant, une ”émulsion”, mélange de silicates et fer liquides, peut se former. Afin de minimiser l’énergie du système, des billes de fer se forment. La taille caractéristique des gouttes de fer est difficile à prédire et dépend de la dynamique du milieu considéré. L’approche développée par Ulvrova et al. (in prep.) caractérise les magnitudes entre les forces qui tendent à modifier la sphéricité d’une bille de fer pendant son déplacement (les forces visqueuses, les forces d’inerties et les forces de flottabilité) et les forces qui tendent  à renforcer cette sphéricité (les forces dues aux tensions de surface). Les forces de flottabilité et de tension de surface dépendent de la taille de la bille de fer. On peut donc déduire une taille caractéristique maximale que peut atteindre une bille de fer pour laquelle les forces de tension de surface maintiennent l’intégrité de la bille de fer. Lorsque le rayon de la bille de fer est plus petit que cette taille caractéristique maximale, la bille plonge dans le matériel silicaté sans ˆetre déformée. Ce rayon caractéristique est unique et dépend de la gravité, des densités mises en jeu et de la tension de surface. Pour la Terre, cette taille caractéristique serait ∼ 1 cm. Pour prédire la taille caractéristique d’une bille de fer liquide dans des silicates liquides, Stevenson (1990) considère qu’une partie de l’énergie suivant un impact est transformée en turbulence. Dans un écoulement turbulent, les gouttelettes de Fer ont une taille comprise entre la plus grande échelle de l’écoulement (ex : la taille de la Terre) et la plus petite échelle imposée par la viscosité : l’échelle de Kolmogorov. La théorie de la ”cascade de Kolmogorov” prédit l’échelle pour laquelle une bille de fer perd plus d’énergie par dissipation visqueuse qu’elle n’en gagne par la formation de grosses structures d’écoulement. Les modèles analytiques de Stevenson (1990) prédisent eux aussi une grandeur caractéristique de l’ordre du centimètre. Les goutelettes de fer dans l’émulsion sont plus denses que les silicates et plongent en direction du centre de la terre avec une vitesse caractéristique de l’ordre de la vitesse de Stokes. Cette vitesse est fonction de l’inertie du système. Les modèles numériques de sédimentation en milieu liquide permettent de mieux comprendre la dynamique d’un océan magmatique primitif (Solomatov and Stevenson, 1993). H¨oink et al. (2005) ont étudié la dynamique des goutelettes en milieu non turbulent et observent trois régimes selon les paramètres rhéologiques du milieu : suspension, séparation et alternance de phases de séparation et de suspension. Le régime dominant de la dynamique du système est fonction de B rapport entre flottabilités thermiques et chimiques. Pour des rapports de flottabilités élevés, les variations de densité dues aux différences de composition chimique entre fer et silicates prennent le pas sur les variations de densité dues aux différences de température et les goutelettes de fer se collectent en bas de l’isobaric core. Ces modèles numériques réalisés dans le cadre d’un océan magmatique et utilisant une taille caractéristique des goutelettes pour la Terre de l’ordre du centimètre prédisent  un temps de séparation fer silicate faible (< 100 ans). La percolation décrite précédemment et la pluie de goutelettes de fer en milieu liquide provoquent la séparation rapide du fer et des silicates. 3.3 Transport de la phase métallique vers le centre de la planète La phase métallique très dense, une fois accumulée à la base de l’isobaric core, peut former un volume de fer qui va exercer une contrainte déviatorique élevée sur le milieu sous-jacent. Cette contrainte engendre des déformations cassantes et/ou visqueuses au sein du matériel indifférencié. La phase métallique migre ainsi vers le centre de la planète impactée. 

LIRE AUSSI :  Caractérisation du canal de propagation et de la modulation 

Hydrofracturation

Lorsqu’un impact implique des vitesses d’impact élevées pour libérer assez d’énergie pour permettre la fusion d’une partie du corps impacté, un impacteur volumineux pour que le volume fondu soit significatif et un corps impacté suffisamment gros pour que le volume de matériel fondu non excavé soit suffisant, l’anomalie de composition chimique présente dans l’isobaric core et notamment le volume de Fer situé à sa base exercent une contrainte importante sur le matériel sous-jacent non différencié. Cette contrainte peut suffire à fracturer ce matériel si elle est supérieure à la limite d’élasticité (Tonks and Melosh, 1992; Solomatov, 2000). La contrainte seuil aux conditions de la surface de la Terre serait de l’ordre de 2 GPa (Davies, 1982). La contrainte déviatorique générée par une bille de Fer de rayon RFe est ∼ ∆ρgRFe. Pour RFe > 45 km et dans le cas d’une planète de la taille de la Terre, cette contrainte déviatorique dépasse la contrainte seuil que peut supporter une roche à la surface de la Terre et le fer plonge vers le centre. Ce phénomène serait inévitable pendant la croissance des planètes lorsque leurs rayons atteindraient des rayons supérieurs à celui de la Lune (Tonks and Melosh, 1992). Cependant, ce mode de transport n’est réaliste que dans un modèle o`u le matériel traversé par le fer est froid. Si le matériel situé en dessous de l’anomalie thermo-chimique est chaud jusqu’au centre de la planète, les déformations engendrées par le déplacement du fer seront  des déformations visqueuses avec viscosité qui est aussi fonction de la contrainte.

Instabilités de Rayleigh-Taylor

Une fois le fer et les silicates séparés, l’isobaric core forme un système avec à sa base 32% de sa masse (17% de son volume) composée de la phase métallique et au dessus 68% de sa masse (83% de son volume) composée de la phase silicatée. La densité du fer est supérieure à la densité du matériel indifférencié sous-jacent. La superposition de deux fluides de densités différentes engendre une instabilité gravitationnelle appelée instabilité de Rayleigh-Taylor. Sous l’effet de cette instabilité gravitationnelle, l’interface entre la phase métallique et la phase indifférenciée va se distordre de manière visqueuse et entrainer des mouvements dans les deux milieux. La phase métallique plus dense va plonger vers le centre de la planète. De telles instabilités ont pu constituer le mode de migration du Fer vers le centre de la planète et ainsi contribuer à la formation de son noyau (Stevenson, 1981). De large gouttes de fer de rayon ∼ 100 km ont aussi pu croˆıtre en base d’océans magmatiques (Stevenson, 1990) (Fig. 3.7)) et migrer vers le centre de la Terre. 

Table des matières

Introduction
1 De la nébuleuse aux planètes rocheuses
1.1 Formation des planètes
1.1.1 Des poussières aux planétésimaux
1.1.2 Des planétésimaux aux protoplanètes
1.1.3 Impacts météoritiques géants
1.2 Les météorites témoins des premiers âges
1.2.1 Les chondrites
1.2.2 Les achondrites
1.3 Modèles internes des objets du système solaire
1.3.1 Modèles internes des planètes telluriques
1.3.2 Modèles internes des planètes gazeuses
1.3.3 Modèles internes de deux satellites de Jupiter : Callisto et Ganymède
1.3.4 Modèle interne d’un astéro¨ıde différencié : Vesta
1.4 Conclusion
2 Le chauffage des planétesimaux et des protoplanètes
2.1 Chauffage par radioactivités éteintes
2.2 Chauffage par impact météoritique
2.2.1 Vitesse et fréquence d’impact
2.2.2 Répartition de l’énergie d’impact
2.2.3 Physique de l’impact
2.2.4 Augmentation locale de la pression suite à un impact
2.2.5 Répartition de l’augmentation de la température
2.2.6 Effet de la déformation post-impact
2.3 Conclusion
3 La séparation des phases
3.1 Fusion dans le système Fer/Silicates
3.1.1 Fusion dans la phase métallique
3.1.2 Fusion dans la phase silicatée
3.1.3 Fusion partielle en fonction de la taille de la planète
3.2 Transport de la phase métallique dans l’isobaric core
3.2.1 Percolation du métal liquide dans une matrice silicatée
3.2.2 Pluie métallique en milieu liquide
3.3 Transport de la phase métallique vers le centre de la planète
3.3.1 Hydrofracturation
3.3.2 Instabilités de Rayleigh-Taylor
3.4 Conclusion
4 Modélisation thermo-mécanique sans séparation de phases
4.1 Modèle physique
4.1.1 Equations générales
4.1.2 Adimensionnement et approximations
4.2 Modèle numérique
4.3 Benchmark du modèle numérique
4.3.1 Fonction de courant
4.3.2 Diffusion
4.4 Dynamique de réajustement thermo-mécanique après impact
Article : Thermo-mechanical adjustment after impacts during planetary growth
Introduction
Model description
Thermal state after an impact
Thermo-mechanical model
Results
Advective stage and Diffusive stage
Time and length scales
Discussion and conclusion
5 Modélisation thermo-mécanique avec séparation de phases
5.1 Modèle physique
5.2 Modèle numérique
5.3 Benchmark du modèle numérique
5.3.1 Résolution des équations mécaniques
5.3.2 Résolution des équations de transport
5.4 Dynamique d’une anomalie thermique sphérique
5.5 Dynamique de l’anomalie thermo-chimique post-impact
5.5.1 Séparation partielle du Fer
5.5.2 Modèle de séparation Fer/silicates
Article : A Model of Metal-Silicate Separation on Growing Planets
Introduction
Thermo-chemical state after large impact
Thermal state
Compositional state
Dynamic model of differentiation
Physical model
Numerical model
Thermal evolution of sinking metallic diapir : Analytical considerations
Sinking velocity
Global energy conversion
Maximum temperature
Thermal regime of the metallic sphere
Numerical models
Numerical models of sinking metallic drops
Application to global evolution after an impact
Discussion and conclusion
Conclusion
Perspectives
Annexe A : Méthode détaillée de résolution des équations de la convection
Résolution de l’équation de Navier-Stokes
Résolution de l’équation de la chaleur
Annexe B : Deformation and rupture of the oceanic crust may control growth of Hawaiian volcanoes

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