Modélisation hiérarchique bayésienne pour l’évaluation des populations de thonidés
Les processus d’observation dans les modèles d’évaluation de stocks
Modélisation des processus d’observation
Dans le cadre d’un modèle hiérarchique de dynamique de population, l’équation stochastique d’observation permet de relier les variables latentes, e.g. B(t), la biomasse d’un stock aux séries d’observation, I(t) (indices d’abondance ou CPUE). Dans le cas des modèles utilisés pour décrire les dynamiques de populations de thons, les variables d’intérêt ne sont pas directement observables, le modèle d’observation Ψ ne se résume donc pas `a introduire des erreurs systématiques de mesure ou d’observation τ (t), mais peut faire intervenir d’autre paramètres θ2 (voir Rivot, 2003). y(t) = Ψ(X(t), τ (t), θ2) (3.1) Capturabilité constante L’hypothèse la plus courante dans les modèles de production de biomasse et dans les modèles structurés en ˆage est de considérer que les indices d’abondance (ou les CPUE) sont proportionnels `a la biomasse ; la capturabilité q constituant le facteur de proportionnalité. Un modèle d’observation classique sous l’hypothèse d’un bruit d’observation log-normal τ (t) de variance σ 2 τ est : I(t) = q.B(t).eτ(t) (3.2) Capturabilité non-constante Nous avons vu que l’hypothèse de capturabilité constante est abusive dans de nombreux cas. Une manière de lever cette hypothèse serait de considérer un modèle d’observation o`u la capturabilité devient une fonction du temps et d’hyper-paramètres θ. I(t) = Ψ(B(t), τ (t), q(t, θ)). (3.3) La capturabilité n’est plus dans ce cas un simple paramètre du modèle d’observation, mais peut-être vue comme une variable latente du système modélisé. Par la suite, θ désignera le vecteur des hyper-paramètres liés `a l’évolution de la capturabilité. L’équation 3.3 permet de formuler deux grands types de modèles : (i) des modèles mécanistes i.e. basés sur des relations fonctionnelles, par exemple entre la capturabilité et l’abondance (densitédépendance), ou entre la capturabilité et des variables environnementales ; (ii) des modèles descriptifs qui permettent une évolution temporelle de q sans décrire les mécanismes sousjacents, e.g. marche aléatoire. Le tableau récapitulatif 3.1 reprend plusieurs exemples de ces modèles. La synthèse bibliographique de Wilberg et al. (2009) décrit des cas d’application de modèles pour l’évaluation de stock avec une capturabilité variable. En s’intéressant plus précisément aux modèles hiérarchiques concernés par cette hypothèse, on remarque que dans la plupart des cas la capturabilité est modélisée par un bruit blanc (e.g. Butterworth et al., 2003), mais que la variance de ce bruit blanc est difficilement estimable, ce qui conduit en réalité `a la spécifier a priori (e.g. Fournier and Archibald, 1982). Fournier et al. (1998) pour le modèle MULTIFAN-CL (modèle structuré en ˆage) et Porch (1999) pour la VPA, proposent de modéliser l’évolution de la capturabilité par une marche aléatoire. De la même manière que pour le bruit blanc, on peut constater dans ces travaux que des contraintes doivent être ajoutées, notamment en spécifiant la variance de la marche aléatoire.
Quels priors pour les paramètres des modèles d’observation ?
Processus d’observation avec capturabilité constante L’examen de la littérature montre que les priors informatifs sur la valeur absolue de la capturabilité sont peu courants ; l’utilisation de priors non-informatifs est donc généralement la règle pour les paramètres liés `a la capturabilité. Estimer la fraction de la population prélevée par un engin de pêche est difficilement accessible par l’expérience pour des populations marines. Construire un prior informatif pour la capturabilité revient alors `a faire un prior sur la taille d’une population. Une élicitation de prior informatif est cependant décrite dans 2 cas de figure, (i) la capturabilité associée `a un indice d’abondance acoustique (Punt et al., 1994; McAllister et al., 1994) et (ii) la capturabilité d’un chalut de fond (McAllister and Kirchner, 2001). Une décomposition de la capturabilité en plusieurs facteurs est alors utilisée, faisant notamment intervenir pour (i) la quantité d’énergie acoustique réfléchie par un individu et pour (ii) la surface balayée par le chalut. Hormis ces cas particuliers, un prior non informatif est généralement privilégié pour la capturabilité. Millar (2002) démontre que pour la capturabilité, le prior de Jeffrey (i.e. un prior non informatif de référence voir 1.4) est une distribution uniforme sur le log et indépendante des priors sur r et K. Ce prior est en pratique utilisé dans plusieurs études (e.g. Punt and Hilborn, 1997; Zhang and Ian Perry, 2005; Lee et al., 2008). Les bornes de ces distributions peuvent être infinies o`u fixées de manière `a encadrer très largement l’ordre de grandeur supposé de la capturabilité. On trouve également l’utilisation de lois inverse-gamma pour un prior sur q (e.g. Meyer and Millar, 1999; Chaloupka and Balazs, 2007). Le prior sur la variance des erreurs systématiques est généralement une loi inverse gamma. Une distribution plus ou moins informative peut-être choisie pour ce paramètre. Meyer and Millar (1999) font ainsi l’hypothèse d’une erreur d’observation de 10% et utilisent une loi gamma dont les quantiles 10 et 90% sont respectivement 0.05 et 0.15. 52 Des priors informatifs liés `a la capturabilité L’usage pour les paramètres d’observation des modèles de dynamique des populations marines est donc plutˆot de restreindre arbitrairement le champ des possibles pour les erreurs d’observation et d’utiliser des priors non-informatifs sur la capturabilité. Les pêcheries thonières ne font pas exception `a cette difficulté, étant donné la grande aire de répartition des espèces et le déploiement très hétérogène dans l’espace des engins de pêche. Processus d’observation avec capturabilité variable Dans le cas de la modélisation des variations temporelles de capturabilité, nous avons vu précédemment que des paramètres doivent être contraints au niveau du modèle d’observation, e.g. la variance d’une marche aléatoire. En effet, il apparait que les distributions a posteriori ne sont pas stables dans un modèle bayésien structuré en ˆage, utilisant une marche aléatoire sur la capturabilité dont la variance est librement estimée (Lewy and Nielsen, 2003). En dehors de ces contraintes classiques sur les variances des capturabilités et sur les variances d’observation, on ne trouve pas d’exemple dans la littérature de construction de priors informatifs pour ce que nous avons défini comme ”hyper-paramètres” de la capturabilité. Wilberg et al. (2009) suggèrent cependant de diversifier les sources d’informations et de construire des priors sur les tendance `a long terme des capturabilités, plutˆot que sur leur valeur absolue, ou de prendre en compte l’avis des experts. 3.1.3 Problématique de ce chapitre Si la modélisation de la capturabilité paraˆıt difficile `a mettre en œuvre, la ré-écriture des processus d’observation avec des hyper-paramètres θ liés `a la capturabilité ouvre des possibilités d’élicitation de priors informatifs. Pour les stocks thoniers, l’intérêt de cette démarche est double : aller vers une modélisation plus réaliste de la dynamique de ces pêcheries et valoriser des sources d’informations indépendantes des données des pêches commerciales. Ce chapitre s’attache donc `a (1) comparer l’intérêt de différents modèles d’observation introduisant une capturabilité variable et (2) décrire la possibilité d’éliciter des priors informatifs pour des hyper-paramètres liés `a la capturabilité. Je m’intéresserai, dans un premier temps, `a plusieurs formulations descriptives du processus d’observation, incluant une évolution temporelle de la capturabilité : progression géométrique, fonction de saut et marche aléatoire. Afin de discuter de l’intérêt de ces différentes équations d’observation, un modèle hiérarchique de production de biomasse sera étudié. Des données sont simulées d’après ce modèle, puis les paramètres sont réestimés, on comparera alors la qualité des estimations avec et sans priors informatifs sur des hyper-paramètres θ des fonctions modélisant la capturabilité. Dans une seconde partie, la possibilité de construire un prior informatif sur ces hyperparamètres est illustrée par le cas de la pêcherie d’albacore dans l’océan Atlantique, pour laquelle des avis d’experts sont utilisés pour éliciter la tendance sur 40 ans des capturabilités de flottes de senneurs, palangriers et canneurs.
Intérêts de priors informatifs dans le processus d’observation d’un modèle de production de biomasse
Matériel et méthode
Simulations des CPUE L’évolution de la biomasse d’un stock B(t) est simulée d’après le modèle de Schaefer (équation (3.4)) (Schaefer, 1954) selon un pas de temps annuel sur 40 ans. Le taux de croissance de la population (r) et la capacité de charge du milieu (K) sont choisis dans la gamme des valeurs plausibles pour une population de thon (Voir par exemple Anonymous, 2011). ε(t) est le vecteur des erreurs de processus de variance σ 2 ε . On admet que la biomasse initiale du stock est égale `a la capacité de charge du milieu B(0) = K. On utilise la série temporelle de captures de l’albacore dans l’océan Atlantique (Anonymous, 2011) pour renseigner le vecteur des captures annuelles C(t). Deux séries temporelles de CPUE, I sim i (t), sont calculées d’après l’équation (3.5) o`u qi(t) est la capturabilité de la flotte i et τi(t) l’erreur d’observation. L’ensemble des valeurs des paramètres pour les simulations est reporté dans le tableau 3.2 et la figure 3.1 présente les CPUE simulées par les modèles I, II et III. B(t + 1) = (B(t) + r.B(t)(1 − B(t) K − C(t)).eε(t) ε(t) ∼ N(0, σ2 ε ) (3.4) I sim i (t) = qi(t).B(t).eτi(t) τi(t) ∼ N(0, σ2 τi ) i = a, b (3.5) Je propose de considérer dans cette étude, trois modélisations descriptives de l’évolution temporelle de la capturabilité. On ne s’intéressera pas ici `a des modélisations mécanistes de la capturabilité. Modèle I. On fait dans ce cas l’hypothèse d’une progression géométrique dans le temps des 2 capturabilités `a partir d’une valeur initiale q 0 i et selon les taux d’accroissement αi . qi(t) = q 0 i .αt i (3.6) Modèle II . Les capturabilités prennent 2 valeurs constantes q 1 i et q 2 i sur 2 périodes distinctes avec un changement brutal (saut) l’année Ti ; 1(x) = 1 si x > 0 et 1(x) = 1 sinon. qi(t) = q 1 i .1(t − Ti) + q 2 i .1(Ti − t) (3.7) Modèle III. Une marche aléatoire est utilisée pour simuler la série temporelle qb(t) avec µt un bruit blanc de variance σ 2 µ . qa reste constante dans le temps (qa(t) = qa). qb(t) = qb(t − 1) + µ µt ∼ Norm(0, σ2 µ ) (3.8) Estimations Les distributions marginales a posteriori de la variable latente Bˆ(t) et des paramètres utilisés pour les simulations sont ré-estimés `a partir des CPUE simulées par échantillonnage de Gibbs `a l’aide du programme JAGS. Le modèle utilisé en simulation est donc ré-utilisé pour l’inférence bayésienne. Les écarts entre les valeurs de B(t) simulés et les prédictions du modèles Bˆ(t) sont évalués en calculant la distribution RMSD moyen (Root Mean Square Deviation) sur 50 simulations. Celui-ci est comparé entre les scénarios avec et sans priors informatifs sur des paramètres associés `a la capturabilité.
Table des figures |