Modélisation et estimation de paramètres des réseaux de distribution basse tension
Présentation de la structure des réseaux électriques
La structure globale d’un réseau électrique est donnée à la Figure 1.1. Le réseau est divisé en trois parties : la partie haute tension de type B – HTB (la tension nominale Un > 50 kV), la partie haute tension de type A – HTA (1 kV < Un ≤ 50 kV) et la partie basse tension – BT (Un ≤ 1 kV). Le réseau HTB est géré en France par le Réseau de transport d’électricité (RTE), le GRT français. Il fait le lien entre les grosses centrales de production, les grands sites industriels HTB concentrant une part importante de la consommation, les interconnexions avec les autres pays et le réseau de distribution HTA. 95 % des réseaux HTA et BT français sont gérés par Enedis, le principal GRD français. Ils font le lien entre les réseaux HTB et les usagers de taille moyenne ou petite. L’ensemble du réseau électrique (du transport à la distribution) est confronté aux défis présentés à la section 1.2. Les réseaux HTB, HTA et BT ayant tous une histoire et un fonctionnement différents, chacun d’entre eux est impacté différemment et doit ou devra utiliser diverses solutions pour relever ces défis, tout en maitrisant les dépenses en CAPEX et en OPEX. Dans cette section, nous mettons tout d’abord en évidence les différences entre les diverses parties du réseau électrique afin d’en identifier les plus critiques. Pour illustrer cette comparaison, nous nous appuyons sur le cas français. Beaucoup des points discutés ici sont transposables aux autres réseaux européens, voire aux réseaux des pays développés en général faisait – à l’échelle européenne – l’équilibrage entre la production et la demande d’électricité. L’indicateur qui permet d’observer cet équilibre est la fréquence du réseau (50 Hz dans le cas européen). Comme un nombre important de capteurs sont présents sur ce réseau, le GRT parvient à obtenir une vision très précise de l’état réel de son réseau. Il connaît alors à chaque instant la fréquence du réseau, mais aussi les tronçons du réseau sous contraintes. Pour maintenir l’équilibre et donc la fréquence, les 14 Chapitre 1 Introduction GRT peuvent s’appuyer sur les différents types de réserves (primaire, secondaire et tertiaire). En actionnant ces réserves, l’équilibre revient et la fréquence reprend sa valeur nominale. Viennent ensuite les réseaux HTA, dont l’objectif est de fournir une électricité de qualité en termes de tension à une échelle plus locale, en intégrant la production décentralisée. Les gestionnaires de réseau doivent gérer des contraintes de tension et courant : une production locale fait monter la tension, tandis qu’une consommation locale la fait baisser. L’augmentation de la production locale rend plus complexe la gestion du plan de tension par les opérateurs, avec potentiellement des contraintes de tension haute et basse sur le même réseau. Le réseau HTA dispose historiquement de moins de capteurs que le réseau HTB. Pour remédier à ce problème, les GRD ont développé des profils de consommation et de production pour chaque type de client HTA ou de poste HTA/BT. Grâce au foisonnement, ces modèles permettent d’identifier les zones de tension critique en planification. En temps réel, grâce aux régleurs en charge, les GRD peuvent faire varier la tension du réseau pour qu’elle se maintienne dans les limites de la norme EN 50160. Enfin, les réseaux BT sont traditionnellement des réseaux qui servent uniquement à raccorder les consommateurs. Jusqu’à une période récente, aucun instrument de mesure n’était présent sur le réseau ; mais la situation est en train de changer avec le déploiement des compteurs Linky [13], lancé à la fin de l’année 2015. Les règles de planification et de développement des réseaux BT s’appuient sur des méthodologies statistiques reposant sur des techniques de profilage des clients et des installations de production. Ces règles, qui sont encore en partie utilisées aujourd’hui, définissent les caractéristiques des ouvrages électriques (transformateurs HTA/BT, lignes et câbles) pour couvrir les situations jugées dimensionnantes par le GRD, dans une logique d’investissement. Celles-ci ont permis au GRD de garantir une très bonne qualité de fourniture sans observabilité sur les parties terminales de son réseau.
Solutions pour la conduite des réseaux
Comme détaillé dans la section 1.3, les réseaux BT étaient historiquement contrôlés sans observabilité, et seul le dimensionnement initial permettait une conduite efficace de ces réseaux. Pour réaliser le dimensionnement, on a habituellement recours au calcul de flux de puissance (FP), mais cette technique présente des limites pour le contrôle et le dimensionnement car elle nécessite de disposer des courbes précises de consommation et de production de chaque usager. Ces limites sont particulièrement 16 Chapitre 1 Introduction problématiques dans les réseaux BT, puisque le foisonnement des productions et consommations est très faible. Pour pouvoir insérer les nouveaux usages issus de la transition énergétique, il devient nécessaire de connaître avec plus de précision l’état réel du réseau. En effet, les modèles actuellement présents dans les systèmes d’information géographique (SIG) des GRD sont souvent imprécis pour réaliser une gestion plus fine des réseaux. La solution la plus fiable et la plus précise pour les réseaux BT est l’utilisation d’une méthode d’estimation d’état (EE) [18] qui utilise des données de mesure pour estimer précisément l’état réel du réseau. Dans un très grand nombre de pays, le déploiement des compteurs intelligents (smart meters en anglais, SM) [19] fournit de grandes quantités de données, qui permettent de développer des algorithmes d’EE. En particulier, en France, le développement du programme Linky [13] à partir de 2015 constitue une opportunité pour la gestion de ces réseaux jusque-là dépourvus d’observabilité. Ces nouveaux compteurs mesurent les grandeurs électriques au niveau des usagers et peuvent les conserver localement. En déployant des estimateurs d’état au sein des concentrateurs Linky présents dans les postes HTA/BT [20] par exemple, le GRD peut alors connaître l’état réel de son réseau. L’estimateur d’état est donc la solution idéale pour que le GRD ait une vision plus précise de son réseau, cette technique ayant déjà été implantée dans les réseaux de transport et validée avec succès [21]. Pour pouvoir mettre en place un EE, il est primordial d’avoir un modèle précis des câbles et lignes des réseaux considérés. En Europe, plusieurs pays ont un pourcentage de réseau BT souterrain plus élevé que la France (Tableau 1.3), mais les GRD français augmentent progressivement le taux de câbles enterrés sur leur réseau pour rejoindre les taux des autres pays européens. Il est donc pertinent d’utiliser les câbles plutôt que les lignes aériennes ou torsadées pour réaliser nos modèles. Nous avons donc réalisé, en amont du développement de l’estimateur, une étude sur la modélisation et la caractérisation des câbles BT. Suite à l’implémentation d’un EE, le pilotage des nouveaux usages et des flexibilités (idéalement en temps réel) sera donc possible et permettra d’exploiter le réseau au plus près de ses limites physiques. Le développement de nouvelles applications comme le contrôle en tension, les reconfigurations du système ou la gestion de la demande, qui sont actuellement en développement ou en test, seront alors possible [21]. Ainsi, les réseaux de distribution nouvelle génération reposeront essentiellement sur l’EE [23], ce qui rendra la conduite des réseaux BT plus efficiente et permettra de limiter les OPEX tout en conservant une bonne qualité de fourniture. En conclusion, les contributions développées dans ce manuscrit pour améliorer la conduite des réseaux BT sont les suivantes : – Etude de la caractérisation et la modélisation des câbles BT ; – Développement d’un algorithme d’EE dédié aux réseaux BT.
Solutions pour la planification des réseaux
Pour identifier les zones critiques et réaliser les études de développement des réseaux, les GRD s’appuient sur les données renseignées dans les SIG, comme par exemple la longueur et la température des liaisons. La qualité de ces données devient encore plus cruciale avec le développement des nouveaux usages et le réchauffement climatique. En France, le réseau BT représente plus de 700 000 km de liaisons, disposées au plus près des clients. Celles-ci évoluent constamment, en raison d’actions de réparation et de renouvellement régulières. La qualité des données des SIG pour le réseau BT, ainsi que leur mise à jour, sont donc complexes à assurer et nécessitent la remontée d’informations locales. Pour identifier et corriger les erreurs présentes dans les SIG, le déplacement de collaborateurs sur le terrain demeure la solution la plus efficace. Néanmoins, cette méthode peut se révéler lourde s’il est nécessaire de vérifier l’intégralité des réseaux. Cela est encore plus onéreux pour les liaisons enterrées, dont l’installation remonte souvent à plusieurs décennies et dont la position est parfois incertaine. Les GRD ayant pour objectif d’augmenter le pourcentage des câbles enterrés (Tableau 1.3), il est nécessaire de recourir à une autre méthode : l’estimation de paramètres (EP). L’EP s’appuie à la fois sur des données issues des SM et sur un modèle de réseau incluant les paramètres à estimer. Les données utilisées pour l’estimateur d’état peuvent être entièrement ou partiellement réutilisées pour l’algorithme d’EP. Avant de développer cet algorithme, nous examinerons les données du SIG ayant un impact sur les grandeurs du réseau. Nous identifierons alors quatre paramètres (longueur et température des tronçons, résistivité de la terre et résistances de mise à la terre du neutre) et étudierons leur impact sur la matrice d’impédance. Ainsi, il sera possible de mettre en place un algorithme d’EP permettant de connaître les marges réelles disponibles, les pertes réelles et même les tronçons à risques du réseau. Le déploiement de Linky devrait en effet permettre au GRD à la fois d’obtenir une meilleure vision de son réseau et d’estimer – moyennant le développement d’outils spécifiques – les paramètres du SIG. Ainsi le GRD pourra mieux intégrer les nouveaux usages et renforcer le réseau de manière plus agile. Cela conduira à une limitation des CAPEX tout en conservant une bonne qualité de fourniture. En conclusion, les contributions développées dans ce manuscrit pour améliorer la planification des réseaux BT sont : – Etude de l’impact des paramètres sur la matrice d’impédance et le plan de tension ; – Développement d’un algorithme d’EP dédié aux réseaux BT. Les différentes étapes de notre démarche afin de résoudre les problèmes de conduite sont présentées dans la partie droite de la Figure 1.2, tandis que celles permettant de résoudre les problèmes de planification sont présentées dans la partie gauche. Enfin, les contributions de ce manuscrit sont encadrées en rouge.
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