Modélisation et contrôle du vol d’un microdrone à ailes battantes
Généralités sur le vol stationnaire
Tous les animaux volants n’ont pas la possibilité de faire du vol stationnaire. Une première approche séparerait grossièrement les insectes — qui en sont capables — des 11 Chapitre 1. Étude bibliographique : vol animal et biomimétisme oiseaux. Ce dernier ordre peut lui même être subdivisé suivant le type de vol : les plus gros oiseaux, tels les rapaces ou les grands oiseaux de mer, effectuent la majorité de leur vol en planant, c’est-à-dire que les ailes restent fixes et s’appuient sur les courants ascendants pour gagner de l’altitude. Certaines espèces sont d’ailleurs incapables, de par leur masse, de décoller du sol, et il leur est nécessaire de plonger depuis une falaise ou un arbre puis d’effectuer une ressource pour prendre leur envol [Ritchison 2003]. Les plus petits oiseaux, tels les passereaux, ont quant à eux un vol qui alterne très rapidement des phases de battement d’ailes et des phases « propulsées » durant lesquelles l’oiseau garde ses ailes rabattues le long du corps et utilise son inertie pour avancer tout en réduisant sa traînée aérodynamique. Entre ces deux extrêmes, on trouve la quasi-totalité de l’ordre, qui bat ses ailes régulièrement à fréquence moyenne dans un plan proche de la verticale. Cette classification simpliste serait bien évidemment à nuancer : d’une part certains oiseaux sont capables de vol stationnaire : on voit ainsi des espèces de rapaces rester plusieurs secondes en vol stationnaire, que ce soit en vol contre le vent (il ne s’agit dans ce cas que d’un vol stationnaire relativement au sol) ou bien pour repérer une proie avant de fondre sur celle-ci, comme le balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus) [Flemming et al. 1992]. Plus remarquable est la famille des trochilidés, comprenant le colibri ou oiseau-mouche : il s’agit en effet de la seule espèce d’oiseau capable d’effectuer un vol stationnaire stabilisé, par exemple pour se nourrir du nectar de fleur en fleur [Greenewalt 1960, Carpentier 2000]. D’autre part certains insectes n’accomplissent pas de vol stationnaire au sens strict du terme, mais oscillent très rapidement autour d’un point fixe. À l’échelle d’un observateur humain, ce type de vol pourra tout de même être considéré comme stationnaire. Enfin, des animaux autres que les oiseaux ou les insectes peuvent voler : ainsi la chauve-souris, qui est le seul mammifère ailé et qui est capable qui plus est de courtes phases de vol stationnaire. L’exocet (Exocoetus volitans) ou poisson volant est également capable de voler hors de l’eau sur de très courtes distances, bien que ce vol s’apparente en réalité plus à une trajectoire balistique. Une distinction supplémentaire pourrait être réalisée au sein même des espèces capables de vol stationnaire, et ce en fonction de la cinématique de battement. La différence se base sur l’angle β entre le plan dans lequel battent les ailes et l’horizontale (voir fig. 1.1). Le type le plus couramment observé est le vol stationnaire où les ailes battent dans un plan horizontal, soit β = 0˚. Ce type de vol pourra être qualifié de vol stationnaire normal, en référence à l’appellation normal hovering, introduite par Weis-Fogh en 1972 [Weis-Fogh 1972]. Il se caractérise également par une symétrie entre les battements montant (upstroke) et descendant (downstroke), l’intérêt étant de générer de la portance à l’aller comme au retour de l’aile. On comprend mieux dès lors pourquoi ce type de cinématique est privilégié dans la nature pour le vol stationnaire, qui nécessite une portance quasi-constante tout en limitant les déplacements du corps de l’animal. Par ailleurs, ce mouvement symétrique nécessite que le profil de l’aile le soit également : l’aile se retourne en effet à la fin de chaque battement, et l’intrados1 devient l’extrados du battement suivant. On rencontrera donc en pratique pour ce type de vol des espèces munies de profils d’ailes minces, comme par exemple la plupart des insectes. Une autre contrainte découle de ce retournement de l’aile : l’animal doit en effet être morphologiquement capable d’un tel mouvement. Chez la plupart des oiseaux, des limitations articulaires restreignent l’amplitude des mouvements de supination (rotation augmentant l’incidence) et de pronation (rotation diminuant l’incidence) de l’aile. Seul le colibri [Greenewalt 1960] possède un squelette lui permettant des mouvements combinés 1 Intrados (resp. extrados) : face inférieure (resp. supérieure) d’une aile Fig. 1.1 – Angle β repérant la position du plan de battement (stroke plane) [Ellington 1984] poignet coude épaule sternum Fig. 1.2 – Comparaison entre une aile de pélican (à droite en bas) et une aile de colibri (à droite en haut), échelle non respectée [Greenewalt 1960] de translation et de retournement de l’aile. En guise d’illustration, on a reproduit sur la figure 1.2, une comparaison entre les squelettes de l’aile d’un pélican et de celle d’un colibri. On remarque que chez le premier, les trois segments composant l’aile, à savoir le bras, l’avant-bras et la main (par analogie avec l’anatomie humaine), sont clairement visibles. De plus, les articulations joignant ces os donnent à l’aile toute sa flexibilité, mais la fine jointure de l’épaule l’empêche de faire des rotations d’amplitude importante. A contrario chez le colibri, les deux premiers segments sont quasi atrophiés en comparaison avec la main, qui constitue donc l’essentiel de l’aile et assure sa rigidité. Les articulations du coude et du poignet sont figées, mais l’épaule, dont la structure s’avère beaucoup plus complexe que dans le cas des autres oiseaux, permet à l’aile des rotations suivant les trois axes par rapport au corps, et autorise en particulier des retournements complets de l’aile en fin de battement. De par cette analyse morphologique et cinématique, il apparaît donc que le vol du colibri se rapproche bien plus de celui des insectes que des autres oiseaux, d’où bien évidemment son surnom d’oiseau-mouche en français.
Analyse et modélisation
Les premières études scientifiques du vol animal datent du début du XXe siècle. Cependant elles ne consistaient pour la plupart qu’en des analyses purement cinématiques des mouvements de battement. Il faudra attendre quelques dizaines d’années pour qu’une passerelle soit établie entre les domaines de l’ornithologie et de l’aérodynamique, apportant ainsi un nouvel éclairage aux études antérieures. Les premiers obstacles et controverses apparurent lorsque certaines études démontrèrent que l’application immédiate des théories aérodynamiques classiques à une aile d’insecte en mouvement fournissait une portance bien inférieure à celle nécessaire à l’animal pour équilibrer son poids. Ce résultat donna naissance au fameux paradoxe « Bumblebees can’t fly » (les bourdons ne peuvent pas voler), et l’une des principales préoccupations des entomologistes et des aérodynamiciens serait désormais de débusquer la faille dans cette démonstration.
Vol des oiseaux
Dans un article publié dans le Journal of Experimental Biology [Pennycuick 1968], Pennycuick a le premier l’idée d’appliquer les théories des hélices et rotors au vol animal. Il constate en effet que lors du vol battu, la surface balayée par les ailes lorsque le plan de battement est voisin de l’horizontale peut être assimilée à celle décrite par les pales d’un 17 Chapitre 1. Étude bibliographique : vol animal et biomimétisme rotor d’hélicoptère (voir fig. 1.8(a)), et suggère donc la possibilité d’appliquer la théorie du moment de Rankine-Froude [Rankine 1865], qui donne une relation entre la portance et la vitesse induite à la traversée du disque rotor. Considérons en effet un oiseau — en l’occurrence un pigeon biset (Columba livia, voisin du pigeon des villes) — en vol vertical, et assimilons-le entièrement à un rotor parfait de surface balayée2 Sd (fig. 1.8(b)). La pression et la vitesse aérodynamique valent respectivement (p0, V0) à l’infini amont et (p0, Va) à l’infini aval, et soient respectivement p1, p2 les pressions immédiatement avant et après le disque rotor, et Viz la vitesse à la traversée de celui-ci. Dans l’hypothèse d’un écoulement de fluide parfait incompressible
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