Modélisation d’une interface fluide/solide avec érosion,application à l’érosion interne
Sur les phénomènes d’érosion
Le domaine du transport sédimentaire a été fécond, depuis plusieurs décennies, en travaux portant sur l’érosion d’un fond mobile sous un écoulement à surface libre ([Chanson, 1999] ; [Graf, 1971] [Raudkivi, 1998] ; [Yalin, 1977] ; [Ouriemi, 2007]). Ce phénomène est étudié par un très grand nombre de laboratoires, relevant essentiellement de la mécanique des uides. Dans ces travaux, le sol est très peu considéré et, pour les modèles d’érosion pour des sols ns avec cohésion sont purement empiriques, sachant qu’il n’existe pas d’essais de laboratoire adaptés pour caractériser la sensibilité d’un tel sol à l’érosion. De plus, il y a souvent confusion entre transport sédimentaire et érosion : en hydraulique uviale, l’érosion est vue comme un gradient spatial de capacité de transport, soit un bilan (assez grossier) entre détachement, transport et dépôt. Cette vision n’a pas été retenue pour cette étude car trop globale. En ce qui concerne les ouvrages hydrauliques et l’érosion interne, la question est ancienne et la préoccupation est majeure. Dans le bulletin de Barrages&Réservoir édité en 1997 pour le congrès ICOLD (Int. Commission on Larges Dams) de Florence, huit phénomènes de détachement (la boulance, la suusion, l’érosion régressive, le débourrage, la dissolution, la dispersion, l’entraînement et l’exsolution) et deux types de transport (transport dans un conduit, et transport dans l’espace poreux interparticulaire) ont été identiés ([Fry, 1997]). Cette classication, illustrée gure 1.1, est essentiellement basée sur des observations de terrain et des raisonnements déductifs. Les phénomènes de ltration, de dépôt et de colmatage, sont absents. Figure 1.1 Divers phénomènes initiateurs de l’érosion interne dans un barrage (extrait de [Fry, 1997]) A Aussois, lors de l’atelier international de 2005, la description a été simpliée. Quatre mécanismes d’initiation et de progression ont été proposés ([Foster et Fell, 2001]) : érosion par écoulement localisé dans une ssure ou un trou, érosion régressive, suusion, érosion de contact entre deux sols. Le dépôt et le colmatage ne sont toujours pas considérés. Ces visions sont trop particularisées pour inspirer une modélisation. Nous n’avons pas connaissance d’une description uniée de l’érosion, dans un cadre mécanique et conceptuel général. Quelques concepts élémentaires sont proposés an d’initier la réexion visant à construire un tel cadre. Le mot érosion intègre implicitement : 1. Une phase érodée, solide ; 2. Une phase érosive, uide ; 3. Une interface séparant ces deux phases ; 4. Un transfert de masse entre ces deux phases. -4- Damien Lachouette Chapitre 1 : Le contexte Pour modéliser une érosion, il faut être capable de modéliser un transfert de masse entre une phase solide et une phase uide séparées par une interface. Cette interface est : 1. mobile ; 2. géométrique et non matérielle ; 3. traversée par le ux de masse érodée. Tous les phénomènes d’érosion – même l’érosion interne – peuvent être considérés comme interfaciaux [Bonelli, 2008]. Cela est illustré sur la gure 1.2. Il ne s’agit que d’un choix d’adaptation de l’échelle de représentation du phénomène. Par exemple, la suusion, qui implique un mélange de sable et d’argile, doit être vue à l’échelle du grain de sable, pour être considérée comme une érosion d’interface. A une échelle supérieure, qui est celle du Volume Élémentaire Représentatif (VER), la suusion est une érosion de volume. De même, l’érosion régressive provoquée par une exltration d’eau hors d’un sable, doit être vue à une échelle qui assimile le sable à un milieu continu. A une échelle inférieure (celle du grain de sable), l’interface n’est pas dénie. L’échelle de représentation pertinente pour considérer que l’érosion étudiée est interfaciale est donc celle qui permet de considérer le solide érodé comme un milieu continu et homogène.
Sur les phénomènes d’érosion
Les trois mécanismes élémentaires auxquels sont soumises les particules sont : 1. l’érosion, dénie comme un transfert de masse du solide vers le uide à travers l’interface solide/uide ; 2. le transport de la masse érodée par le uide ; 3. l’accrétion, dénie comme un transfert de masse du uide vers le solide à travers l’interface solide/uide Trois types d’érosion sont a priori à considérer : 1. l’érosion physico-chimique, associée à la force ionique, qui diminue l’intensité des liaisons inter-particulaires ; 2. l’érosion mécanique, associée à la contrainte uide, qui provoque la rupture des liaisons inter-particulaires, le détachement et la mise en mouvement ; 3. l’érosion thermique, associée à la température, qui induit un changement de phase solide/uide. Plusieurs types de transport et d’accrétion sont également à considérer. Cet eort de représentation uniée permet de mieux comprendre le sens des mots. Ainsi, le transport sédimentaire intègre en fait érosion, transport (par charriage et suspension) et accrétion. La suusion intègre érosion des nes (argile) et transport de ces nes à travers l’espace poral. La ltration intègre non seulement le transport des particules à travers l’espace poral et l’accrétion (dénommé dépôt, dont une conséquence ultime est le colmatage), mais aussi l’érosion des particules déposées, dénommé relargage. L’accident historique survenu sur un barrage à cause de l’érosion est la rupture du barrage de Teton au états-unis. Les photos de la gure 1.3 montrent qu’en l’espace de quelques heures, ce qui n’était apparemment qu’une simple fuite à l’aval de l’ouvrage a conduit à la rupture de l’ouvrage. Il s’agissait d’un barrage en remblai dans lequel s’est formée une conduite d’eau. Le gradient de pression engendré par la retenue a causé un écoulement important dans la conduite érodant l’ouvrage et creusant une brèche. Figure 1.3 Prises de vue du barrage de Teton, USA, au cours de sa rupture Des expérimentations grandeur nature ont été menées en Norvège (c.f. figure 1.4) où l’on a volontairement initié une érosion de conduite pour en mesurer l’évolution.
Modélisation de l’érosion
Une fois initié, ce phénomène a une évolution très rapide. Il est donc important de pouvoir le modéliser an d’en comprendre les mécanismes et donc d’élaborer des solutions permettant d’éviter ou de prévoir les ruptures d’ouvrages. L’approche retenue dans cette étude est celle de l’interface ne entre le sol et le uide. En eet, les sols considérés sont des argiles qui peuvent être considérées comme quasiimperméables. Les approches de Vardoulakis et Papamichos [Vardoulakis et al., 1996], qui considèrent un troisième corps correspondant aux particules uidisées, sont moins pertinentes. La gure 1.5 montre que dans le cas de sol sableux granulaire, on voit apparaître des couches où l’écoulement passe de manière continue du régime de uide Newtonien à celui ux de Darcy. Dans le cas des argiles, les particules sont trop petites pour qu’il soit raisonnable de modéliser ces couches. De plus, le caractère imperméable de ces argiles permet de négliger les écoulements de Darcy dans le sol induit par l’écoulement externe.
Lois de conservation dans le volume
Nous nous intéressons à l’érosion d’une interface uide/sol provoquée par un écoulement turbulent parallèle à cette interface. Le uide porteur est l’eau, de masse volumique ρw (constante). Le matériau érodé est un sol saturé, dont le constituant solide a une masse volumique ρp (constante). Le uide érosif est le mélange eau+matériau érodé. Une modélisation continue est utilisée pour représenter les particules érodées puis trans- -8- Damien Lachouette Chapitre 1 : Le contexte Figure 1.5 l’érosion est vue de diérentes manière en fonction du type de sol portées. Les deux phases sont traitées comme des milieux continus superposés. Ces deux milieux continus forment une partition de l’espace suivant la fraction massique de solide Y = dMs dMtotal . Une information équivalente à la fraction massique est la fraction volumique φ = dVs dVtotal . Dans le sol, la fraction volumique est appelée la compacité et est reliée à la porosité ν du milieu par φ = 1 − ν. Les deux grandeurs équivalentes Y et φ sont reliées par : ρpφ = ρY (1.1) où ρ est la masse volumique du uide diphasique, −→u la vitesse barycentrique massique de l’écoulement et −→j le ux massique de diusion de particules au sein de l’écoulement. Ces grandeurs relatives au mélange peuvent être dénies comme suit : ρ = Y ρp + 1 − Y ρw −1 = φρp + (1 − φ)ρw (1.2) −→u = Y −→u p + (1 − Y ) −→u w (1.3) −→j = Y (1 − Y )ρ( −→u p − −→u w) (1.4) Ici, −→u p et −→u w sont les vitesses moyennes barycentriques (au sens du VER, Volume Élémentaire Représentatif) de déplacement des phases solides et uides. Le volume de contrôle de l’écoulement diphasique est noté Ω. L’action des forces extérieures de -9- 1.2 Modélisation de l’érosion Damien Lachouette volume (gravitation) est négligée devant les actions dues à la turbulence. Les équations de conservation de masse totale, de masse solide et de quantité de mouvement total s’écrivent dans Ω : ∂ρ ∂t + ∇.(ρ −→u ) = 0 ∂ρY ∂t + ∇.(ρY −→u ) = −∇. −→j ∂ρ−→u ∂t + −→∇.(ρ −→u ⊗ −→u ) = −→∇. T (1.5) où T est le tenseur des contraintes de Cauchy dans le mélange. Ces équations sont classiques ([Germain et al., 1983] ; [Lhuillier, 2003] ; [Nigmatulin, 1990] ; [Rajagopal et Tao, 1995] ; [Bonelli et al., 2006]). Le détail de leur obtention est résumé au paragraphe 2.1. Une deuxième équation du mouvement serait en toute rigueur nécessaire, mais l’hypothèse usuelle consistant à négliger les accélérations relatives uide/solide, fait que cette équation est triviale. Pour être plus précis, on néglige les échanges de quantité de mouvement entre les deux phases (solides en suspension et uide porteur). Dans le sol, il est formellement possible de considérer le même système, ce qui permet une écriture uniée. An de rester focalisé sur l’écoulement et sur l’érosion, on considère que le sol est rigide et saturé.
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