Modélisation du transport électronique et de l’accumulation de la charge dans les isolants en couches minces
Généralités sur les diélectriques
Du fait de leur structure de bandes, les matériaux diélectriques sont des isolants, ils ne contiennent théoriquement qu’une infime quantité de charges susceptibles de se déplacer sur de grandes distances. Des charges peuvent cependant se déplacer localement sous l’action d’un champ électrique. Si le champ électrique appliqué est trop élevé, le matériau peut claquer et ne plus remplir son rôle d’isolant. Structure de bandes Les matériaux sont classés en trois groupes suivant leurs propriétés de conduction : métal, semi-conducteur et isolant. Ces propriétés de conduction sont expliquées grâce à la théorie des bandes . Dans un matériau cristallin parfait on distingue des bandes parfaitement délimitées : une bande de conduction dans laquelle les électrons peuvent se déplacer, et une bande de valence dans laquelle les trous peuvent se déplacer, cette bande de valence étant séparée de la bande de conduction par une bande interdite (Figure 1). Dans le cas des métaux, très bons conducteurs, la bande de conduction contient toujours des électrons pouvant participer à la conduction électrique. Les semi-conducteurs ont une structure de bandes différente ; il existe un gap entre la bande de conduction et la bande de valence. Ce gap peut être franchi par des porteurs lorsque la température du matériau est assez élevée, la bande de conduction contient alors des électrons, la bande de valence contient des absences d’électrons (trous) et le matériau devient légèrement conducteur. A basse température le semi-conducteur est isolant, sa bande de conduction est vide et sa bande de valence est pleine. Les semi-conducteurs peuvent aussi être dopés pour augmenter leur capacité à conduire le courant. Les isolants présentent quant à eux un gap élevé. Leur bande de conduction est vide et leur bande de valence pleine, l’énergie thermique ne permet pas aux porteurs de franchir ce gap important. En théorie, les isolants ne peuvent donc pas conduire l’électricité. Figure 1 : Structures de bandes des matériaux Cependant, les isolants réels contiennent des défauts de structure pouvant générer des états localisés dans la bande interdite. Les limites des bandes de valence et de conduction ne sont pas aussi nettement définies, le bord des bandes peut s’étendre dans la bande interdite et former des queues de bande ; des états peuvent aussi se situer plus en profondeur dans le gap [17] (Figure 2). Cette structure imparfaite peut alors être à l’origine de phénomènes de conduction dans les matériaux isolants réels. Figure 2 : Diagramme de bande d’un isolant parfait a) et d’un isolant réel
Permittivité et relaxation diélectrique
Les diélectriques sont des matériaux polarisables [19]. Les charges liées présentes dans le matériau peuvent se déplacer sous l’effet d’un champ électrique et ainsi générer des dipôles ; les barycentres des charges positives et négatives ne coïncident plus. Des charges libres peuvent aussi se déplacer, donnant lieu au phénomène de polarisation pas charge d’espace. La polarisation d’un matériau est corrélée à sa densité volumique de dipôles. Pour les milieux diélectriques isotropes, la polarisation totale notée 𝑃⃗ comprend la polarisation permanente du matériau 𝑃0 ⃗ ainsi que la polarisation induite proportionnelle au champ électrique 𝐸⃗ . Elle s’exprime de la façon suivante : 𝑃⃗ = 𝑃0 ⃗ + 𝜀0𝜒𝐸⃗ (1) avec 𝜀0 la permittivité diélectrique du vide et 𝜒 la susceptibilité diélectrique du matériau, 𝜀𝑟 = 𝜒 + 1 est la permittivité relative du diélectrique. On distingue différentes contributions à la polarisation totale d’un diélectrique soumis à un champ électrique (Figure 3) : La polarisation électronique : le nuage électronique se déplace par rapport au noyau de l’atome, faisant apparaître une polarisation (dipôle induit). Ce phénomène s’établit sur des temps très courts ~10 −15s . La polarisation ionique ou atomique : les ions positifs et négatifs constituant une molécule se déplacent, créant un dipôle. Ce mécanisme de polarisation est observable sur des temps courts ~10 −12s. La polarisation dipolaire ou d’orientation (polarisation de Debye) : des molécules possédant un moment dipolaire permanent présentes dans le diélectrique s’orientent avec le champ électrique pour des temps inférieurs à ~10 −9 s. Sous l’effet d’un champ électrique, des charges libres peuvent aussi se déplacer dans le diélectrique. Ce déplacement de charge entraîne la formation d’un dipôle macroscopique équivalent et fait donc augmenter la polarisation équivalente du matériau. Ce phénomène peut intervenir sur des temps très longs, supérieurs à la centaine de secondes. Figure 3 : Mécanismes de polarisation dans un diélectrique Les dipôles peuvent avoir des difficultés à suivre les variations du champ électrique appliqué. Il existe alors un déphasage entre le champ électrique et le mouvement des dipôles ; ce phénomène est caractérisé par la relaxation ou la résonance diélectrique. Ce retard entraîne l’apparition de pertes diélectriques. Un condensateur plan, composant formé d’un diélectrique entre deux électrodes métalliques, présente une capacité C qui s’exprime sous la forme d’un nombre complexe pour tenir compte de ces pertes diélectriques : 𝐶 = 𝐶 ′ − 𝑗𝐶 » = 𝜀0(𝜀 ′ 𝑟 − 𝑗𝜀 ′′ 𝑟) 𝑆 𝑑 (2) avec 𝜀 ′ 𝑟 la partie réelle de la permittivité relative du diélectrique, 𝜀 ′′ 𝑟 la partie imaginaire de la permittivité relative du diélectrique, 𝑆 la surface des électrodes du condensateur et 𝑑 l’épaisseur du film diélectrique. Les pertes diélectriques du matériau sont données par l’angle de pertes 𝑡𝑔𝛿 ou facteur de dissipation diélectrique : 𝑡𝑔𝛿 = 𝜀 ′′ 𝑟 𝜀 ′ 𝑟 (3) Lorsque la fréquence du champ électrique appliqué augmente, les mécanismes de polarisation peuvent de moins en moins suivre l’évolution du champ électrique. Il s’en suit une augmentation des pertes et une chute de la permittivité (Figure 4) [21]. Une partie des espèces polarisables ne peut plus contribuer à la polarisation totale de l’échantillon. Figure 4 : Evolution de la partie réelle 𝜀 ′ 𝑟 et de la partie imaginaire 𝜀𝑟 ′′ de la permittivité suivant la fréquence du champ électrique La valeur de permittivité d’un matériau diélectrique peut donc varier avec la fréquence du signal appliqué. Cette propriété du matériau peut aussi dépendre de sa structure cristalline et de l’arrangement des atomes, c’est par exemple le cas pour le dioxyde de titane (𝜀 ′ 𝑟 = 45 pour la structure tétragonale en phase anatase et 𝜀 ′ 𝑟 = 127 pour la structure tétragonale en phase rutile à 1 MHz), le dioxyde d’hafnium ou le dioxyde de zirconium (𝜀 ′ 𝑟 = 20 à 25 pour la structure monoclinique et jusqu’à 70 pour la structure cubique ou tétragonale). Claquage des diélectriques Les isolants utilisés en micro-électronique et plus généralement dans l’industrie peuvent être soumis à des tensions très élevées pendant de longues périodes. De plus, pour des raisons d’encombrement et de poids il faut réduire les surfaces des capacités ; les isolants utilisés doivent donc être de plus en plus fins (épaisseurs de l’ordre du nanomètre à la centaine de nanomètres). Ces modes d’utilisation peuvent entraîner le claquage du matériau qui n’assure alors plus sa fonction d’isolant. Différents mécanismes de dégradation peuvent contribuer au claquage du diélectrique. Le claquage thermique est lié aux pertes diélectriques et aux courants de conduction provoquant un échauffement du matériau. Le claquage peut aussi être associé à la porosité et l’inhomogénéité du matériau. Des arborescences diélectriques peuvent se former à partir d’un défaut ou d’une cavité et se propager dans l’isolant. Lorsqu’une tension est appliquée, le champ électrique se concentre au niveau des défauts et cavités, des charges s’accumulent dans ces zones et finalement un claquage survient le long de la cavité. Ces phénomènes sont liés à la densité, aux défauts et à la stœchiométrie de la couche diélectrique, le mode de dépôt impacte donc fortement le claquage diélectrique. Park et al. montrent par exemple que le claquage du dioxyde de titane est principalement dû aux lacunes en oxygène du matériau. Ces lacunes forment des filaments conducteurs ce qui entraîne le claquage de l’isolant lorsqu’il est soumis à un fort champ électrique. Le phénomène de claquage influencé par la présence de lacunes en oxygène a aussi été mis en évidence pour le dioxyde de zirconium [26]. Certaines équipes réalisent des recuits à l’oxygène pour les films minces d’oxyde, afin de combler les lacunes pour diminuer les courants de fuite et augmenter la tenue en tension [28] . Grâce à une étude théorique et expérimentale, McPherson et al. ont proposé une relation entre la permittivité diélectrique d’un isolant et son champ de claquage. Ils ont calculé les champs de claquage théoriques de certains diélectriques à l’aide d’un modèle thermomécanique basé sur l’étude des liaisons dans les matériaux diélectriques . Leur étude montre que plus un matériau a une permittivité élevée, plus son champ de claquage est bas (Figure 5). Finalement, ils ont établi une relation liant le champ de claquage 𝐸𝐵𝑑 et la permittivité relative d’un matériau 𝜀 ′ 𝑟 : 𝐸𝐵𝑑 ∝ 𝜀 ′ 𝑟 −𝛽 où le paramètre 𝛽 est de l’ordre de 1/2. Cette tendance montre que pour le choix d’un diélectrique il est nécessaire de trouver un compromis entre la valeur de permittivité et la résistance au champ électrique appliqué. Cependant, il faut noter que l’étude des liaisons dans les isolants est théorique ; du fait de la présence de défauts, des échantillons réels présentent probablement des champs de claquage plus faibles que ceux calculés par McPherson et al.
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