Modélisation du paysage agricole et inférence du risque pour l’accompagnement des réseaux d’épidémiosurveillance
Définir les menaces
La veille sanitaire internationale
Le premier rôle de la surveillance est d’anticiper les menaces imminentes, apprendre à connaître les organismes qui émergeront demain sur le territoire et établir des priorités. Cette vigilance se décline sous deux formes. La première est une veille générale non ciblée qui vise à détecter des signaux faibles d’émergences inattendues. La seconde, qui découle en partie de la première, se focalise sur des organismes nuisibles particuliers, identifiés sur des listes définies au niveau national et international (voir chapitre 16). Elle vise à préciser des scénarios possibles d’émergence, pour organiser une surveillance des points d’entrée probables, et à assembler un corpus de connaissances qui serviront à caler la surveillance et la lutte après émergence. On parle ici de connaissances sur la biologie de l’organisme, son habitat (hôtes et niche écologique), ses modes et capacités de dispersion, ses impacts, et sur les moyens de détection et de lutte connus. 48 Il existe différentes veilles actives en santé des plantes comme exemple la newsletter de l’EFSA1 (Plant Health Newsletter2 ), les alertes de CABI3 (Pest alerts4 ), les notifications de PestLens (APHIS-PestLens5 ), le service d’information de l’OEPP6 (EPPO reporting7 ) ou encore les bulletins de veille de la Plateforme ESV (Encadré 1). Pour acquérir ces connaissances, chaque veille ausculte de façon régulière la littérature scientifique (publiée dans des journaux à comité de lecture), les médias, qui mettent en lumière les derniers évènements, et parfois les signaux envoyés lorsque le grand public exprime sur internet des suspicions ou observations de symptômes. Ainsi, à la remontée d’informations identifiées par un réseau d’experts, s’ajoute une collecte d’informations partiellement automatisée via des outils d’extraction de contenu (« web scraping », par exemple MedISys) des journaux d’intérêt ou des flux RSS d’agrégateurs de publications scientifiques (tels que PubMed ou Google Scholar) ou de médias (comme Google News). Ces programmes utilisent des critères basés sur des listes de mots-clés ciblant les organismes nuisibles ou plus généralement la santé des plantes. Cette collecte automatique permet d’atteindre une certaine exhaustivité mais elle ramène aussi beaucoup d’articles non pertinents et doit donc être triée. Ce tri est souvent manuel – et donc chronophage et fastidieux – mais des outils de classification ou de hiérarchisation (basés sur l’apprentissage automatique, ou « machine learning », et sur la fouille de texte, ou « text mining ») sont de plus en plus sollicités. Idéalement, les articles identifiés sont stockés dans une base de données, et les acteurs de la veille diffusent les informations plus ou moins retravaillées via des bulletins ou un site web dédié.
. La classification des organismes nuisibles
En France, la surveillance des végétaux est régie par le règlement européen ((UE)2016/2031) relatif aux mesures de protection contre les organismes nuisibles aux végétaux qui classe les Organismes nuisibles Réglementés ou Émergents (ORE) (voir chapitre 16). Par exemple, Xf est classée OQP (Organisme réglementé de Quarantaine Prioritaire) car présente en Europe et pouvant menacer de nombreuses cultures françaises. Le champignon Bretziella fagacearum est un OQ (Organisme réglementé de Quarantaine) car il est présent uniquement en Amérique et menace essentiellement les chênes en France. Chaque type d’organisme nuisible se voit associé un type de surveillance (annuelle ou pluriannuelle) et une zone concernée (tout le territoire, tout le territoire hors zone délimitée, zone protégée, environnement de production). Les états membres de l’UE (Union Européenne) doivent mettre en place des mesures complémentaires de surveillance et de lutte pour l’ensemble des organismes de quarantaine de l’UE afin de renforcer la surveillance. En France métropolitaine, cela se fait par arrêté ministériel ou préfectoral. Depuis le 14 décembre 2019, les territoires ultramarins français sont considérés comme pays tiers de l’Europe du point de vue des questions phytosanitaires et doivent disposer de listes d’ORE adaptées à chacun. 3. Définir une stratégie d’échantillonnage Le plan de surveillance définit ce que l’on surveille (importations, compartiments naturels, parcelles agricoles), avec quel effort d’échantillonnage (combien d’échantillons par parcelle, combien de parcelles), à quelle fréquence. Les plans de surveillance sont amenés à évoluer régulièrement en fonction du risque et de l’état sanitaire du territoire. Ils répondent à plusieurs objectifs spécifiques. Le premier est d’anticiper l’arrivée de bioagresseurs non encore présents sur le territoire – on parle alors de vigilance. Cette étape est l’occasion d’accumuler des connaissances sur l’organisme. Le deuxième objectif est de s’assurer et assurer les autres pays que le territoire est exempt de ces organismes nuisibles. Le statut exempt a des conséquences sur la réglementation et les importations / exportations de matériel végétal. Le troisième objectif est la détection précoce des tous premiers foyers d’installation des populations émergentes, une condition nécessaire pour espérer éradiquer ces populations. Enfin en cas d’échec de ces stratégies d’anticipation, la surveillance s’attachera à suivre la propagation des populations émergentes afin d’accompagner la lutte. Selon l’organisme, et l’objectif, différentes stratégies d’échantillonnage pourront être mises en place et éventuellement combinées.
Stratégies d’échantillonnage classiques
En l’absence de foyer déjà détecté, on réalise communément une surveillance peu orientée, qui recouvre une large surface du territoire avec un réseau de capteurs physiques ou humains efficaces, selon des stratégies d’échantillonnage classiques en statistiques (échantillonnage systématique, aléatoire simple, stratifié ou en grappe). Pour optimiser le ratio bénéfice / coût de cette surveillance, l’utilisation d’un réseau de surveillance préexistant est une solution efficace. Par exemple, le Réseau National de Surveillance Aérobiologique, qui mesure les taux de pollens allergènes aux abords des 50 villes au moyen de pièges à spores, sera désormais également utilisé pour détecter précocement la présence d’agents pathogènes fongiques dans les airs. De même, concernant le nématode du pin, Bursaphelenchus xylophilus, OQP actuellement présent au Portugal et en Espagne, le caractère exempt du territoire français est ainsi confirmé chaque année depuis 2013 par une surveillance étroite des pins français réalisée par les correspondants observateurs du Département Santé des Forêts et par une surveillance des matériaux bois réalisée par les services décentralisés de la DGAL (Direction Générale de l’Alimentation). Tous les dépérissements suspects sont signalés et font l’objet d’analyses en laboratoire, ainsi que toutes les importations de matériaux bois issues des pays contaminés. Il est possible de calibrer l’effort d’échantillonnage de façon à atteindre un certain objectif d’efficacité. Cela peut se faire a priori en utilisant des principes statistiques. Par exemple, pour le HLB à la Réunion, dans les communes considérées comme indemnes, le protocole d’échantillonnage établi par l’Anses8 est calibré pour que la probabilité de ne pas détecter la maladie dans une zone où elle circulerait à faible fréquence soit inférieure à 5%. Il prévoit ainsi de prélever 60 agrumes par hectare, soit en moyenne 30 arbres par parcelle. On peut aussi optimiser un réseau a posteriori en utilisant les données passées et en simulant comment des allègements du réseau affectent ses performances. Cette démarche a par exemple permis de montrer qu’il était possible d’alléger le réseau de placettes de surveillance de la septoriose du blé en Champagne Ardennes (Michel 2016).
Stratégies d’échantillonnage basées sur le risque
Une autre approche est l’échantillonnage basé sur le risque. En l’absence de travaux de modélisation de niche basés sur la relation entre facteurs éco-climatiques et sociologiques (voir chapitre 3) et présence ou abondance de l’organisme nuisible, on peut néanmoins définir des critères de risques et des zones cibles à dire d’expert. L’EFSA et l’Anses par exemple réalisent des analyses de risque phytosanitaire (ARP) sur la base de la littérature scientifique existante pour conseiller et orienter les décideurs publics (Vos et al., 2019). 8 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail 51 Par ailleurs, pour les organismes absents du territoire, on peut cibler les points stratégiques d’entrée (Dionisio, 2014) et éventuellement affiner en les croisant avec la présence d’hôtes sensibles ou de conditions écologiques favorables. La Plateforme ESV a ainsi produit un indicateur du risque d’entrée et d’établissement pour le nématode du pin en France. L’analyse a pris en compte des critères de risque d’entrée (importations de matériaux de conifères, zones de stockages de produits bois, comme des palettes, quantités de grumes de pins traitées par les scieries…) et d’établissement (surface d’hôtes sensibles, températures favorables, feux de forêt dont les fumées attirent le vecteur du nématode du pin), pondérés sur dires d’experts. Par une méthode de hiérarchisation, chaque unité épidémiologique (des données sont disponibles à l’échelle du département ou de quadrats de 8 km par 8 km, selon les régions) a été associée à une valeur de risque, visualisable sur des cartes interactives par les acteurs de terrain de la surveillance (Figure 2). Pour des organismes suivis, on peut mobiliser très vite les premières données de surveillance. Pour le HLB à la Réunion, celles-ci ont montré une relation entre la contamination des vergers d’agrumes et (i) l’altitude − Diaphorina citri, le psylle vecteur du HLB circule majoritairement en-dessous de 800 mètres − et (ii) la connectivité des vergers. Un verger est dit connecté s’il est entouré de grands vergers proches, susceptibles d’être des sources de maladie, et il est d’autant moins connecté que ses voisins sont petits et lointains. Depuis ce constat, le choix des parcelles à prélever se fait chaque année en priorisant les parcelles de plus forte connectivité sous les 1000m d’altitude. Figure 2 : Carte du risque d’introduction du nématode du pin en France. Source : Plateforme ESV, https://shiny.biosp.inrae.fr/app/PWN -shiny. Plus la couleur est sombre plus le risque d’introduction dans la région tend vers 1. 52 Enfin, quand des données de surveillance sont disponibles et suffisamment nombreuses, des cartes de risque peuvent être établies à différentes échelles, permettant de mettre en application les méthodes d’inférence du risque développées par la recherche, comme dans le cas de Xf (Martinetti et Soubeyrand, 2018). Il reste à démontrer que ces méthodes sont appropriables par des dispositifs générant de moins importants jeux de données. L’UE, au travers de l’EFSA, s’est récemment dotée d’un outil d’aide à la conception de plans d’échantillonnage afin que la surveillance atteigne partout certains standards. RIBESS (Risk Based Estimate of System Sensitivity) permet de définir un nombre d’inspections ou de prélèvements à réaliser par unité épidémiologique en se basant sur le risque. Il permet de prendre en compte le taux d’erreur attendu en intégrant la fiabilité des outils de détection des laboratoires. Appliqué dans le cadre de la vérification du statut exempt d’un territoire, RIBESS permet ainsi d’assurer les pays tiers qu’un taux d’erreur défini (par exemple 5%) est atteint par la surveillance mise en place.
Échantillonnage à partir de foyers
Lorsqu’un organisme a été détecté sur le territoire, sans pour autant abandonner la surveillance large, une priorité est de délimiter les zones infectées et les zones indemnes afin de déclencher des mesures de lutte ajustées à chaque situation. Pour ce faire, il est naturel d’échantillonner de manière renforcée de petites zones ciblées autour des foyers déjà détectés. Pour les OQP, le suivi de la propagation à partir de foyers est formalisé dans un Plan National d’Intervention Sanitaire d’Urgence (PNISU). Par exemple, pour Xf, le PNISU prévoit que la détection d’un foyer entraîne une obligation d’information à destination des professionnels et du public (articles 12 et 13 du règlement EU 2016/2031). La mise en place de mesures d’éradication et de restriction de mouvement de végétaux, et la délimitation d’une zone infestée et d’une zone tampon par arrêté préfectoral (articles 17 et 18 du règlement 2016/2031). Dans la zone infestée, tous les végétaux hôtes sont inspectés et prélevés qu’ils soient symptomatiques ou asymptomatiques. Dans la zone tampon, les plantes hôtes sont inspectées visuellement et prélevées si suspectes. Si un échantillonnage a lieu, il est basé sur un inventaire des végétaux hôtes, la cartographie du territoire (zone agricole, forêt, zone urbaine, autres zones) et une calibration par l’outil RIBESS. Au fur et à mesure que de nouveaux végétaux sont confirmés positifs, la zone délimitée est recalculée.
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