Modélisation des transferts d’air et leur impact sur le comportement hygrothermique de l’enveloppe des bâtiments
Cas des bâtiments à ossature bois
Ce type de système constructif est en plein essor en France. Dans le domaine de la maison individuelle, la part de marché est passée de quelques pourcents en l’an 2000 à 12% en 2013 [Corcier, 2015]. En plus des avantages environnementaux reconnus du matériau bois (faible énergie grise, ressource renouvelable et recyclable, puits de carbone), cette typologie constructive est particulièrement adaptée pour atteindre des niveaux de consommation exigeants. En effet, l’isolation thermique intégrée, placée entre les ossatures, ainsi que la structure multicouche, permet d’obtenir des parois très performantes pour une épaisseur relativement réduite. Une paroi ossature bois type est présentée à titre d’exemple (fig. 1.4). On retrouve la membrane pare vapeur (8), qui joue aussi le rôle de pare air. Le vide technique présent entre le pare vapeur (8) et le parement intérieur (10) est fortement recommandé, pour permettre le passage des gaines électriques sans avoir à percer le pare vapeur. Un complément d’isolation (9) peut être placé dans ce vide technique. FIGURE 1.4 – Composition d’une paroi ossature bois de type « ossature à isolation croisée ». Source : CETE de Lyon [Jobert, 2007]. Maîtriser les transferts par diffusion de vapeur d’eau dans les parois ossature bois est particulièrement important, car la présence d’humidité peut mettre en péril la durabilité de la struc22 ture porteuse, en plus du risque d’altération des performances thermiques et de développement fongique. Pour fortement réduire la migration de vapeur d’eau de l’intérieur vers l’extérieur, et ainsi éviter l’accumulation d’eau dans la paroi, un pare vapeur (8) est placé côté intérieur (côté « chaud »). Lorsqu’un complément d’isolation (9) est placé dans le vide technique, il convient d’évaluer le risque lié à l’humidité à l’interface avec le pare vapeur. En cas de mauvaise mise en œuvre ou d’absence de pare-vapeur, des risques de condensations sont à craindre surtout au niveau de l’interface entre l’isolant (6) et le panneau de contreventement (7). La structure multicouche et la présence de nombreux joints, rend les enveloppes à ossature bois très sensibles aux défauts d’étanchéité à l’air en cas de mauvaise mise en œuvre. Comme mentionné dans la section (1.2), les fuites d’air parasites induisent un risque lié à l’advection de vapeur, en plus de celui lié à la diffusion de vapeur. Pour être capable de quantifier l’impact des fuites d’air parasites sur les pathologies liées à l’humidité, il est nécessaire d’identifier les typologies de défauts les plus souvent rencontrées. Si l’impact qualitatif des fuites d’air sur le comportement hygrothermique d’une paroi est désormais établi, peu d’outils de simulation existent pour estimer cet impact de manière quantitative. 1.4 Typologie des défauts d’étanchéité Les défauts d’étanchéité les plus courants dans les maisons à ossature bois sont connus. Seize « détails constructifs à surveiller particulièrement » ont été listés dans l’annexe A du DTU 31.2 [AFNOR, 2011], et pour chacun d’eux, des exemples de solutions sont proposés. En complément, des campagnes de mesure de la perméabilité à l’air réalisées sur un grand nombre de bâtiments en France par le CEREMA [Litvak, 2005, Fournier et al., 2005], ont permis d’identifier les grandes familles de fuites d’air pour chaque typologie constructive. La (fig. 1.5) présente les familles de fuites propres aux bâtiments à ossature bois. Le point commun de toutes ces fuites est qu’elles sont situées au niveaux des jonctions entre les éléments constitutifs de l’enveloppe. Cette classification des fuites est basée sur la nature des jonctions à traiter, comme la liaison menuiserie-paroi, mur de soubassement-dalle, etc… Même si l’on est capable d’identifier les points d’entrée et de sortie d’air sur l’enveloppe, le cheminement de l’air à l’intérieur d’une paroi d’un bâtiment à ossature bois peut s’avérer plus ou moins complexe. Du point de vue du type d’écoulement d’air, nous distinguerons deux grands types de fuites : — les fuites directes : l’air traverse l’enveloppe de part en part en passant par un trou ou une fine lame d’air. L’exemple classique est le défaut d’étanchéité entre une menuiserie et une paroi (fig. 1.6, gauche). — les fuites indirectes : l’entrée et la sortie d’air peuvent être éloignées l’une de l’autre. L’air transite alors à travers la paroi en traversant des vides techniques, gaines électriques, fines lames d’air et isolant poreux perméables à l’air. Ce type de défaut est clairement visible au niveau des boitiers de prises électriques côté intérieur (fig. 1.6, droite). FIGURE 1.5 – Localisation des défauts potentiels d’étanchéité à l’air dans un bâtiment à ossature bois [Source : CETE de Lyon] FIGURE 1.6 – Fuites d’air mises en évidence par la thermographie, au niveau de la jonction menuiserie paroi (gauche) et d’une prise électrique (droite). [Source : faconalpes.fr] 1.5 Conclusion du chapitre Dans un contexte énergétique de plus en plus contraint, le secteur du bâtiment s’avère être un poste clé pour limiter la consommation d’énergie. La maîtrise de l’étanchéité à l’air des enveloppes devient incontournable pour atteindre les objectifs des règlementations thermiques actuelles et futures. Les défauts d’étanchéité induisent notamment des surconsommations d’énergie et des pathologies dues à l’humidité. Les enveloppes à ossature bois sont particulièrement concernées puisque très sensibles au transferts d’air. La typologie des défauts d’étanchéité types est connue : le chemin de l’air y est souvent complexe, consistant en des écoulements d’air dans des fines lames d’air, combinées à des milieux poreux perméables à l’air. Il est nécessaire de mieux comprendre l’impact quantitatif des transferts couplés de chaleur d’air et d’humidité à travers ces géométries de défauts d’étanchéité. Pour cela, nous proposons de développer un modèle numérique air chaleur humidité fin à l’échelle du défaut, et une approche plus globale compatible avec l’échelle bâtiment. Modélisation des transferts HAM dans les matériaux poreux Ce chapitre débute par un rappel théorique sur l’air humide, puis le stockage et le transfert d’humidité dans les matériaux poreux à une échelle macroscopique (c’est à dire à celle d’un volume de contrôle). Il s’ensuit d’une revue bibliographique des différents modèles permettant de décrire les transferts couplés de chaleur et de masse dans les matériaux poreux. Ces modèles sont présentés dans un ordre croissant de complexité en terme de couplage, en partant des modèles HM (chaleur-humidité) et HA (chaleur-air) pour aboutir aux modèles HAM (chaleurair-humidité). Suite à cette revue de la littérature, nous détaillons les équations générales qui régissent les transferts HAM. Des hypothèses simplificatrices nous permettent d’aboutir à un système d’équations de conservation assorti de conditions aux limites, qui constituent la base de notre modèle HAM-Lea (« Lea » pour « Leakage » en anglais). Ce modèle est ensuite implémenté dans le logiciel COMSOL Multiphysics, puis une première validation est réalisée en comparant les sorties de HAM-Lea avec ceux de benchmarks numériques mono-dimensionnels issus de la littérature. Dans un second temps, HAM-Lea est utilisé pour modéliser un défaut d’étanchéité réel bi-dimensionnel, qui fait par ailleurs l’objet de mesures expérimentales en température et en humidité. Une comparaison simulation – mesures expérimentales est menée. La précision d’un modèle HAM par rapport à un modèle HA (sans humidité) pour prédire le champ de température est discutée. Après cette validation expérimentale, le modèle HAM-Lea est opérationnel pour simuler des transferts couplés dans les matériaux poreux, avec des géométries bi-dimensionnelles.
Rappels théoriques sur les transferts d’humidité dans les matériaux poreux
Avant d’aborder les modèles décrivant les transferts d’air de chaleur et de masse dans les matériaux poreux, ainsi que les équations de conservations associées, nous allons rappeler les notions de base sur l’air humide, puis sur les mécanismes de stockage et de transfert d’humidité 26 dans les matériaux poreux.
L’air humide
En physique du bâtiment, l’air humide peut être vu comme un mélange de gaz parfaits contenant de l’air sec et de la vapeur d’eau. Le diagramme de l’air humide (aussi appelé diagramme psychométrique ou diagramme de Mollier), donne les caractéristiques physiques de l’air humide en fonction de la température (fig. 2.1). Pour une température donnée, un volume d’air peut contenir une quantité maximale de vapeur d’eau, atteinte lorsque la pression partielle de vapeur d’eau est égale à la pression de vapeur saturante. L’humidité relative de l’air se définit alors comme le rapport de la pression partielle de vapeur d’eau sur sa pression de vapeur saturante : ϕ = pv Psat(T) (2.1) En ordonnée du diagramme, on trouve l’humidité absolue de l’air ou humidité volumique, qui est reliée à la pression partielle de vapeur d’eau par la loi des gaz parfaits : ρvap(T, ϕ) = Mw RT pv (2.2) En reprenant le schéma proposé par [Jobert, 2013], à partir d’un volume d’air situé en A (T = 20°C, ϕ = 0, 6 et ρvap = 8, 2 g/kg), on peut par exemple atteindre le point de rosée en humidifiant ce volume d’air jusqu’au point B (T = 20°C, ϕ = 1 et ρvap = 13, 8 g/kg), ou en le refroidissant jusqu’au point C (T = 12°C, ϕ = 1 et ρvap = 8, 2 g/kg). FIGURE 2.1 – Diagramme de l’air humide, d’après [Jobert, 2013] Il existe une interaction entre l’air humide et les matériaux avec lesquels il est en contact.
Fixation de l’humidité dans les matériaux poreux
La plupart des matériaux utilisés dans la construction sont poreux. On distingue alors ceux présentant majoritairement des pores interconnectés (bois, isolant fibreux, plâtre, etc) de ceux présentant des pores fermés (polytstyrène, XPS). La première typologie autorise des transferts de vapeur d’eau, d’eau liquide, ou d’air à travers les pores du matériau. On dit qu’un matériau est hygroscopique lorsqu’il est capable de stocker une quantité significative d’humidité provenant de l’air environnant. Si on place un tel matériau dans un volume d’air avec une humidité relative donnée, ce matériau va évoluer vers un état d’équilibre hygrique correspondant à une teneur en eau volumique w. La courbe de sorption d’un matériau donne l’évolution de sa teneur en eau d’équilibre en fonction de l’humidité relative (fig. 2.2). Dans la gamme de température propre à la physique du bâtiment, l’impact de la température sur la courbe de sorption est généralement négligé. C’est la raison pour laquelle, la courbe de sorption est souvent appelée « isotherme de sorption » et déterminée à une température de référence Tref = 25°C. Cette courbe est une représentation simplifiée car les phénomènes de sorption et de désorption d’humidité suivent un phénomène d’hystérésis plus ou moins marqué. La teneur en eau dépend donc aussi de l’histoire du matériau. FIGURE 2.2 – Forme type de l’isotherme de sorption d’un matériau hygroscopique (en bleu), et non-hygroscopique (en rouge) Les mécanismes de stockage de l’humidité dans un matériau poreux hygroscopique varient selon la gamme d’humidité relative considérée. On distingue trois domaines : — Le domaine hygroscopique (0 ≤ ϕ ≤ 0, 98) : il couvre les teneurs en eau que le matériau peut atteindre lorsqu’il est contact avec de l’air humide. Pour les faibles humidités relatives (ϕ < 0.5), les molécules d’eau (diamètre de l’ordre de 0,3 nm) sont adsorbées sur les parois des pores, formant des couches successives. Ce processus est de moins en moins efficace car les molécules d’eau des couches supérieures sont moins liées à la paroi du pore que celles des couches inférieures, d’où la convexité du début de la courbe de sorption. A partir d’une humidité relative d’environ 50%, d’abord dans les pores les plus fins 28 (taille inférieure à 100 nm), les couches de molécules d’eau adsorbées peuvent se rejoindre et ainsi former un ménisque : c’est la condensation capillaire. A mesure que l’humidité relative augmente, ce phénomène a lieu dans des pores de taille supérieure, d’où la concavité de la courbe de sorption dans cette région. La teneur en eau maximale que le matériau peut atteindre en contact avec de l’air humide correspond généralement à une humidité relative de 98%, qui délimite la limite supérieure du domaine hygroscopique. — Le domaine de saturation capillaire (0, 98 ≤ ϕ ≤ 1) : au delà du domaine hygroscopique, le matériau doit être en contact avec de l’eau liquide pour absorber davantage d’humidité, et ce jusqu’à la saturation capillaire ou saturation libre wcap (on a alors ϕ = 1). — Le domaine de sur-saturation (ϕ = 1) : à la saturation capillaire, de l’air subsiste encore dans certains pores, ce qui explique que wcap < wmax. Il est difficile d’atteindre cette teneur en eau maximale wmax dans les conditions de température et de pression usuelles du bâtiment. Durant ces différentes phases de stockage, plusieurs mécanismes de transfert d’humidité sont mis en jeu. 2.1.3 Mécanismes de transfert d’humidité dans les matériaux poreux sans mouvement d’air Au sein du matériau poreux, sans flux d’air, l’humidité peut être transportée sous forme de vapeur par diffusion et sous forme liquide par capillarité. Dans un volume d’air libre, la diffusion de vapeur d’eau est générée par un gradient de pression partielle de vapeur. Le flux de vapeur diffusif est décrit par la loi de Fick : gdif f = −δ0∇pv(T, ϕ) (2.3) Au sein du matériau poreux, la diffusion de vapeur d’eau est décrite par la même loi, en introduisant cette fois la perméabilité à la vapeur du matériau δmat, avec δmat < δ0 gdif f = −δmat(ϕ)∇pv(T, ϕ) (2.4) Afin de mieux appréhender le sens physique de la perméabilité à la vapeur du matériau, on utilise souvent le facteur de résistance à la diffusion de vapeur : µ(ϕ) = δ0 δmat(ϕ) (2.5) Il convient de noter que dans le domaine hygroscopique, sans flux d’air, le transfert d’humidité est en fait une combinaison de diffusion de vapeur dans les pores, de transfert d’eau liquide par diffusion de surface, et d’un transfert par capillarité dans les plus petits pores remplis d’eau. 29 Cependant, puisque le phénomène de diffusion de vapeur reste prépondérant, le transfert global est décrit par une « diffusion équivalente » régie par une loi de Fick, avec une perméabilité apparente à la vapeur croissante avec l’humidité relative, puis égale à zéro à partir de ϕ = 0, 98 lorsque la majorité des pores sont remplis d’eau. Dans le domaine de condensation capillaire (0, 98 ≤ ϕ ≤ 1), l’humidité est transportée majoritairement par capillarité. La remontée d’eau dans un tube de rayon r en contact avec de l’eau liquide illustre ce phénomène. Les forces intermoléculaires et la tension superficielle de l’eau liquide génèrent une pression de succion, qui aspire l’eau dans le tube jusqu’à une hauteur D. Un équilibre se crée entre la pression hydrostatique et la pression de succion : ρwgD = 2σ r cos θ = Psuc (2.6) La capacité d’un matériau poreux à absorber l’eau liquide dépend donc notamment de la taille de ses pores. A l’échelle du pore, l’équilibre entre les phases liquide et vapeur est décrit par la loi de Kelvin, qui relie la pression de succion à la température et l’humidité relative. Cette loi fait l’hypothèse d’un réseau de pores cylindriques : Psuc(ϕ) = ρwR Mw T ln ϕ (2.7) Le flux d’eau liquide peut être exprimé par une loi de Darcy. Dans les pores fins, la force de gravité est négligeable face aux forces de succion, tandis que dans les pores plus grands, la condensation capillaire n’apparaît que pour des niveaux d’humidité relative proches de 100%. C’est pourquoi le terme de gravité est souvent négligé dans l’expression du flux d’eau liquide par capillarité, et la pression de succion est considérée comme le seul potentiel moteur : gliq = −Kl(ϕ)∇Psuc (2.8) De la même manière que dans [Hagentoft et al., 2004], Psuc est parfois prise comme fonction de l’humidité relative uniquement, avec T = Tref = 298, 15 K comme température de référence. La validité de cette hypothèse pourra être vérifiée lors de la comparaison avec des benchmarks numériques dans la section suivante. On peut également exprimer le flux d’eau liquide en prenant la teneur en eau ou l’humidité comme potentiel moteur (eq. 2.9). La diffusivité hygrique Dw(ϕ) [m2/s] peut être mesurée expérimentalement et sa valeur pour les matériaux de construction courants est disponible dans la littérature.
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