Modélisation de préférences avec la Théorie de l’Utilité Multi-Attribut couplée à une intégrale de ChoqueT
Aide à la décision multicritère
De la problématique de l’aide à la décision multicritère
L’aide à la décision est un domaine d’étude de la recherche opérationnelle qui peut être défini comme « l’activité de la personne qui, par l’utilisation de modèles mathématiques, aide les décideurs à obtenir des éléments de réponse au cours d’un processus de décision » [123]. Les méthodes d’aide à la décision sont employées pour adresser de nombreux problèmes comme par exemple l’amélioration des architectures des systèmes complexes [110, 116] ou encore l’évaluation de plans de gestion de crise (cf. chapitre 4). Dans la plupart des problèmes de décision, le décideur est amené à considérer plusieurs critères différents. Ces derniers pouvant éventuellement être contradictoires les uns avec les autres à l’image de la surface habitable et du coût dans le cas de l’acquisition d’un logement. La communauté de l’aide à la décision multicritère (mcda) propose de nombreux modèles et outils pour représenter et résoudre de tels problèmes de décision [88, 118]. Les problèmes de décision multicritère sont généralement classés en quatre catégories : choix, tri, rangement et description [123]. Le problème du choix vise à déterminer l’ensemble (éventuellement singleton) des meilleures alternatives offertes au décideur. Le problème du tri cherche quant à lui à affecter à chaque alternative une catégorie de sorte à classer ces dernières selon une typologie préalablement déterminée. Dans le problème de rangement, le but est de définir une relation d’ordre entre les différentes alternatives de décision considérées. Finalement, la problématique de description consiste à fournir des informations relatives aux choix qui peuvent être effectués. Quelques notations fréquemment utilisées en aide à la décision multicritère sont à présent présentées. L’ensemble des alternatives qui doivent être comparées les unes aux autres est dénoté X. Chaque alternative est caractérisée par p attributs numérotés selon l’ensemble des attributs P = {1, · · · , p}. Pour chaque attribut k, un espace de définition Ωk ⊂ R est défini ainsi qu’une fonction zk : X → Ωk qui associe à chaque alternative x ∈ X sa valeur pour l’attribut k. De façon analogue, 64 Chapitre 2 – Modélisation de préférences en aide à la décision multicritère la fonction z : X → Ω associe à chaque alternative x ∈ X un vecteur de l’espace des attributs Ω = Ω1 × · · · × Ωp. En conséquence, à chaque alternative x ∈ X correspond un vecteur de Y = {z(x) = (z1(x), · · · , zp(x)) | x ∈ X}. Cet ensemble Y ⊂ Ω est appelé l’ensemble des alternatives dans l’espace des attributs. Le problème de la planification avec préférences (cf. chapitre 1) peut être considéré comme un problème de choix puisqu’il consiste à fournir au décideur au moins l’un des meilleurs plans au sens des préférences définies dans le problème. Par conséquent, seule la problématique du choix sera considérée dans la suite de cette étude. Dans ce contexte, le terme solution (ou encore plan) pourra être utilisé en lieu et place du terme alternative.
Résolution des problèmes d’aide à la décision multicritère
La résolution d’un problème de décision multicritère peut être décrite à travers les trois étapes suivantes : (i) la construction d’un ensemble d’attributs préférentiels, (ii) la réalisation d’un modèle de préférences et enfin (iii) la recherche des alternatives préférées. Chacune de ces étapes successives est présentée dans la suite de cette section. Construction d’un ensemble d’attributs préférentiels La première étape a pour vocation de déterminer les différents attributs préférentiels à utiliser ainsi que leurs espaces de définition. Il s’agit intrinsèquement d’une activité de modélisation et elle constitue ainsi le premier choix du décideur : l’élicitation des points de vues à considérer pour évaluer les différentes alternatives les unes par rapport aux autres. L’ensemble des attributs préférentiels construit doit vérifier les propriétés d’exhaustivité, de cohésion et de non redondance [124]. L’ensemble des attributs est exhaustif s’il permet de comparer n’importe quel couple d’alternatives (x a , xb ) ce qui correspond intuitivement à l’idée qu’aucun attribut n’a été oublié. Ainsi si pour tout attribut k ∈ P, zk(x a ) et zk(x b ) sont jugés identiques alors x a et x b sont indifférenciés par rapport à l’ensemble des attributs P. 65 Chapitre 2 – Modélisation de préférences en aide à la décision multicritère La propriété de cohésion traduit l’idée qu’aucun attribut n’est inutile. Il existe pour chaque attribut k ∈ P au moins un couple d’alternative (x a , xb ) tel que x a soit préféré à x b avec zk(x a ) étant préféré à zk(x b ) et zj (x a ) étant jugé identique à zj (x b ) pour tout j ∈ P\{k}. L’ensemble des attributs est non redondant s’il ne contient aucun attribut identique. Par conséquent, la suppression d’un attribut entraîne nécessairement la violation d’une des deux propriétés précédentes. Par ailleurs, il est également possible de hiérarchiser les attributs retenus en formant des sous-ensembles d’attributs alors utilisés pour définir un attribut unique. Par exemple, dans le cas de la comparaison d’étudiants, un décideur peut utiliser comme attributs des notes de mathématique, de physique et de langue (l’espace de définition pouvant être l’intervalle [0, 20]). En regroupant les notes de mathématique et de physique, le décideur peut obtenir une note de science créant ainsi une hiérarchie au sein des attributs. Réalisation d’un modèle de préférences Une fois l’ensemble des attributs déterminé, il devient possible de réaliser un modèle des préférences du décideur. Un tel modèle est une relation d’ordre permettant de comparer automatiquement des alternatives entre elles. Afin de présenter la construction de ce modèle, la notion de pré-ordre est introduite. Définition 2.1 – Pré-ordre La relation binaire % ⊂ X × X est un pré-ordre sur l’ensemble X ssi : • ∀x ∈ X, x % x (réflexivité) • ∀x a , xb , xc ∈ X, xa % x b et x b % x c ⇒ x a % x c (transitivité) A partir d’un pré-ordre % , les relations et ∼ sont définies telles que : • ∀x a , xb ∈ X, xa x b ⇔ x a % x b et ¬ (x b % x a ) • ∀x a , xb ∈ X, xa ∼ x b ⇔ x a % x b et x b % x a Un pré-ordre est dit complet si pour toute paire d’éléments x a , xb ∈ X, la relation % est définie (x a % x b ou x b % x a ). 66 Chapitre 2 – Modélisation de préférences en aide à la décision multicritère D’après des études réalisées en psychologie [129], il est plus facile pour les décideurs d’exprimer des préférences ordinales (comparaison d’alternatives entres elles) que des préférences cardinales (évaluation d’alternatives selon une échelle de satisfaction). La relation %D (respectivement D et ∼D) représente les préférences ordinales du décideur. Elle est définie sur l’ensemble des alternatives X et son interprétation est la suivante : • x a %D x b signifie que x a est au moins aussi préférée que x b ; • x a D x b signifie que x a est strictement préférée à x b ; • x a ∼D x b signifie que le décideur n’a pas de préférence entre x a et x b . Dans un souci de simplification, la relation %D est supposée définie sur Ω de sorte que x a %D x b ⇔ y a %D y b avec y a , yb ∈ Y où Y = {z(x) | x ∈ X}. Le but de l’étape de réalisation du modèle de préférences est de construire un pré-ordre complet % qui respecte les préférences du décideur c’est à dire tel que : ∀x a , xb ∈ X, xa %D x b ⇒ x a % x b . Au vue de la proximité entre ces relations, pourquoi est-il nécessaire de construire un tel modèle de préférences ? Il convient de remarquer que % est un modèle de %D et constitue à ce titre une abstraction de cette relation de préférence. Ceci implique qu’il est possible de comparer deux alternatives x a et x b automatiquement au sens de % alors que la présence du décideur est requise pour les comparer au sens de %D . Si l’ensemble des alternatives est grand, il devient impossible de demander au décideur de comparer toutes les alternatives manuellement et le recours au modèle de préférences est indispensable. Tout l’art de cette étape consiste donc à construire un pré-ordre générique sur X à partir d’informations préférentielles portant sur un petit nombre d’alternatives. Les techniques de réalisation de modèles de préférences proposées dans la littérature [57] peuvent être classées en deux catégories : les méthodes de surclassement et les méthodes de critère unique de synthèse. Les méthodes de surclassement telles que les méthodes electre [58, 59] et promethee [146] suivent l’approche dite « Comparer puis Agréger ». Elles consistent à comparer les attributs des alternatives deux à deux puis à agréger les comparaisons ainsi obtenues afin de déterminer si une alternative est préférée à une autre. Les méthodes de critère unique de synthèse à l’image de ahp [141] et de la Théorie de l’Utilité Multi-Attribut (maut) [45, 147] reposent quant à elles sur une approche de type « Agréger puis 67 Chapitre 2 – Modélisation de préférences en aide à la décision multicritère Comparer ». Ces méthodes agrègent tous les attributs d’une alternative entre eux afin d’obtenir un critère unique de synthèse. Ce dernier définit alors un pré-ordre complet sur X qui permet de comparer toutes les alternatives entre elles. Les deux approches présentent des avantages et des inconvénients. Les méthodes de surclassement sont particulièrement indiquées quand les différents attributs ne sont pas commensurables puisque les comparaisons effectuées portent toujours sur un même critère. En revanche, elles sont difficilement utilisables lorsque le nombre d’alternatives considérées est grand puisqu’il est nécessaire de comparer toutes les alternatives deux à deux pour identifier la meilleure d’entre elles. Les méthodes de critère unique de synthèse ne sont pas soumises à cette problématique puisque l’évaluation d’une alternative ne dépend pas des évaluations des autres alternatives. Ainsi, dans le cadre d’une problématique de choix, les méthodes de critère unique de synthèse permettent rapidement de savoir si une alternative est meilleure qu’une autre puisqu’il suffit de comparer cette dernière à la meilleure alternative connue. La problématique de la planification avec préférences au cœur de cette étude étant un problème de choix, les méthodes de surclassement ne sont plus abordées dans la suite de ce document. De plus, seule la Théorie de l’Utilité Multi-Attribut maut est considérée dans le cadre de cette étude. Cette dernière a été retenue en raison de son grand pouvoir expressif (cf. sections 2.2 et 2.3).