Modélisation de l’incertitude des données en conception
D’une manière générale, et en se basant sur la décomposition du processus de prise de décision proposée dans la section II.3.2, la capacité à choisir la meilleure alternative de conception est conditionnée par trois principaux facteurs qui sont (i) une définition claire et précise des alternatives de conception que nous voulons comparer, (ii) la capacité à évaluer ou à prédire les performances de ces alternatives et, (iii) la capacité à vérifier l’adéquation entre les performances évaluées sur les alternatives de conception et les attentes et préférences du décideur. Ces conditions sont rarement réunies dans un projet de développement réel. Dans cette section, nous nous penchons principalement sur les incertitudes liées à la description des Modélisation de l’incertitude des données en conception Intégration de la maturité des connaissances dans la prise de décision en conception mécanique – application à un système solaire – 38 alternatives de conception que le décideur souhaite comparer. Il s’agit donc d’incertitudes sur les paramètres de conception. Nous incluons également l’incertitude sur les paramètres du milieu environnant (𝑃𝐸𝑖 ) avec lequel le produit interagit comme, par exemple, la température de fonctionnement, la sollicitation mécanique appliquée sur le produit, etc. Comme nous l’avons mentionné sur la Figure II-4, ces données interviennent dans l’évaluation des alternatives de conception et ont donc un impact sur la prise de décision. Les premières phases de conception sont souvent caractérisées par une description incomplète des alternatives de conception proposées (incertitudes sur les paramètres de conception). Comment ainsi choisir entre plusieurs concepts si on n’est pas en mesure de définir avec certitude les paramètres de conception propres à chaque concept ? Les différentes activités de développement comme, par exemple, les calculs par éléments finis ou les essais mécaniques sur des prototypes physiques, permettent de générer de la connaissance sur les concepts étudiés ce qui contribue à affiner la définition des paramètres de conception et à faciliter ainsi la prise de décision. Cependant, les premières phases de conception, où les décisions ont le plus d’impact sur le cycle de vie du produit [Zim01], sont aussi les phases où la définition des paramètres de conception est la moins précise. La nécessité d’utiliser des moyens pour modéliser et manipuler l’incertitude est plus importante alors au début du projet. La plupart des méthodes assistées par ordinateur comme, par exemple, la modélisation de solides, l’optimisation, l’analyse de mécanisme, etc., requirent une représentation très précise du produit [Ant01]. Dans ces méthodes, il n’est pas possible d’indiquer, par exemple, qu’une dimension est vaguement connue par le concepteur. Avant d’aborder les méthodes qui existent dans la littérature pour modéliser les incertitudes en conception de produits, il serait utile de classifier d’abord les types d’incertitude qu’on peut rencontrer lors du développement d’un produit. On se propose deux types de classification : une première classification est basée sur la nature de l’incertitude (épistémique ou aléatoire), et une deuxième classification qui en fonction des étapes du processus de prise de décision tel qu’il est décrit dans la section II.3.2.
Classification des incertitudes en conception
Incertitude épistémique et aléatoire
Les notions d’incertitude et d’imprécision sont liées et souvent confondues dans la littérature. Selon Malak et al. [Mal09], l’incertitude en conception de produits peut être décomposée en incertitude épistémique et aléatoire. L’incertitude épistémique, appelée aussi imprécision, Intégration de la maturité des connaissances dans la prise de décision en conception mécanique – application à un système solaire – 39 désigne le caractère approximative de certaines descriptions du produit (en l’occurrence les paramètres de conception) ou d’autres données liées au milieu environnant. Il s’agit donc d’incertitudes subjectives dues au manque de connaissances et d’informations sur le système étudié, aux imprécisions de langage et, plus généralement, à la rationalité limitée. Ce type d’incertitude peut être réduit ou même éliminé par davantage d’efforts et d’analyses. Formaliser les moyens d’échange d’informations au sein de l’entreprise contribue à réduire les imprécisions de langage. L’incertitude aléatoire, appelée aussi variabilité, résulte du caractère naturellement aléatoire de certaines caractéristiques physiques du produit (propriétés des matériaux utilisés, cotes réalisées par usinage conventionnel, etc.) ou du système environnant (température de fonctionnement, sollicitations mécaniques du milieu extérieur, etc.). Elle est parfois qualifiée d’incertitude objective [Fer96]. La variabilité est aussi appelée “incertitude irréductible” [Der89] car elle ne peut être ni éliminée ni réduite. L’utilisation de distributions probabilistes est appropriée pour modéliser ce type d’incertitude [Obe99]. Dans les premières phases de conception, les incertitudes de nature épistémique (ou imprécision) sont prépondérantes [Mal09]. Dans la section II.4, nous nous intéressons uniquement aux méthodes qui permettent de modéliser les incertitudes épistémiques.
Décomposition en fonction des étapes du processus de prise de décision
Dans la section II.3.2, la prise de décision multicritère en conception de produits est représentée par un processus de quatre étapes. Nous identifions dans cette section les sources d’incertitude dans chacune de ses étapes. Etape I : définition des alternatives de conception à comparer. Comme nous l’avons déjà expliqué au début de la section II.4, des incertitudes peuvent caractériser la définition des paramètres de conception propres à chaque concept. Ces incertitudes peuvent être de nature épistémique lorsque les concepteurs n’ont pas assez de connaissances sur les concepts pour fixer leurs paramètres de conception d’une manière précise. L’incertitude de type variabilité peut aussi être présente sur ces paramètres comme, par exemple, les variabilités dans les propriétés des matériaux utilisés ou les variabilités dans les côtes usinées. Etape II : Evaluation des performances des alternatives de conception. Cette étape fait intervenir un ensemble de moyens d’évaluation tels que les simulations par éléments finis, les jugements d’experts, les méthodes heuristiques, les essais mécaniques sur des Intégration de la maturité des connaissances dans la prise de décision en conception mécanique – application à un système solaire – 40 prototypes physiques, etc. Or, ces moyens d’évaluation ont souvent une capacité limitée à prédire les performances des alternatives de conception. L’exactitude des modèles de comportement est abordée dans la section II.5. D’un autre côté, le produit à concevoir est en interaction avec un environnement extérieur. Un ensemble de données relatives à cet environnement doit donc être déterminé pour évaluer correctement les performances des alternatives de conception. Or, des difficultés peuvent apparaitre lors de la détermination de ces données, ce qui conduit à des écarts entre les performances prédites et les performances réelles. Etape III : Interprétation des performances. La manière d’interpréter les mesures de performance effectuées à l’étape II dépond des préférences et des objectifs du décideur. Ces préférences et ces objectifs peuvent être incertains dans les premières phases d’un projet de développement. Ces incertitudes sont de nature épistémique et correspondent souvent à une ambiguïté liée à l’expression du besoin du client ou à une mauvaise étude de marché. Comment interpréter, par exemple, une valeur de consommation de 4 l/100km pour un moteur thermique ? A quel point cette valeur est adéquate avec les exigences du client ? Etape IV : Synthèse finale. Comme pour l’étape III, la manière de combiner les différentes interprétations pour donner lieu à un jugement global de l’alternative de conception dépend des préférences du décideur. Ces préférences se traduisent par des importances relatives entre les objectifs de conception et un degré de compensation entre eux. Or, ces éléments ne sont pas souvent clairs, ce qui peut rendre difficile la prise de décision finale. Il peut arriver, par exemple, que plusieurs décideurs aient des points de vue différents sur les importances relatives entre objectifs de conception. D’après cette classification, nous pouvons constater la multitude des sources d’incertitude dans un processus de prise de décision en conception. Elles constituent toutes des causes potentielles pouvant induire en erreur le décideur dans ces choix. Il est important de noter que certaines sources d’incertitude peuvent être plus importantes que d’autres en fonction du contexte et de la phase considérée du projet de développement. Nous rappelons que dans la suite de la section II.4, nous nous intéressons aux imprécisions (incertitudes épistémiques) dans la définition des paramètres de conception et dans les données qui caractérisent le milieu environnant. L’exactitude des modèles de comportement est abordée dans la section II.5.