Modélisation de l’émission des poussières dans les PDRs
Modèle plan-parallèle de transfert de rayonnement
Le transfert de rayonnement à géométrie plan-parallèle semi-infini (1 dimension) est l’approximation la plus simple que nous puissions faire. Évidemment, la géométrie des PDRs est presque toujours bien plus compliquée. La Tête de Cheval constitue cependant une exception que nous pouvons étudier avec ce modèle car sa géométrie en est suffisamment proche. Par ailleurs, l’approximation plan-parallèle constitue un point de départ pour passer à une géométrie sphérique.
Principe du modèle
La figure 7.1 montre une vue schématique du modèle plan-parallèle semi-infini. La dimension perpendiculaire à l’axe étoile-nuage est donc considérée comme infiniment grande et nous définissons aussi le champ excitateur comme plan-parallèle semi-infini. Cette dernière hypothèse n’est valable que si le nuage éclairé est assez loin de l’étoile illuminatrice. Nous ne considérons alors le transfert que le long de l’axe étoile-nuage, perpendiculaire au bord du nuage. En effet, pour le calcul du transfert de rayonnement l’unique variable est la profondeur z par rapport au bord du nuage. Le nuage est caractérisé par le profil de densité nH(z) que nous lui imposons. Nous éclairons le nuage par une de ses faces et par une seule étoile comme c’est le cas des objets étudiés ici. Nous diluons le champ de rayonnement stellaire en fonction de l’éloignement à l’étoile illuminatrice. En effet, le rayonnement d’une étoile voit son flux diminuer comme 1/d2 avec d la distance à l’étoile. Au champ de rayonnement de cette étoile s’ajoute le champ interstellaire moyen de Mathis et al. (1983). Les poussières peuvent absorber ou diffuser le rayonnement. De plus, la diffusion d’un photon peut faire varier la direction de propagation de ce dernier. Le caractère plan-parallèle semi-infini du nuage permet de ne pas tenir compte explicitement de l’angle avec lequel un photon est diffusé. Nous n’en tenons compte qu’en faisant une différence entre les photons diffusés avec un angle inférieur ou supérieur à 90◦ par rapport à leurs directions initiales (i. e. vers l’avant ou vers l’arrière, respectivement). Ainsi, dans notre modèle de transfert, un photon se trouvant à une profondeur donnée z du nuage peut évoluer selon quatre possibilités. Il peut être : 1. transmis sans intéraction avec la poussière 2. absorbé 3. diffusé vers l’avant 4. diffusé vers l’arrière (i. e. rétrodiffusé) Les photons diffusés vers l’avant sont considérés comme transmis. Nous travaillons dans l’approximation que les photons rétrodiffusés ne le sont qu’une seule fois et retournent donc vers les couches moins profondes du nuage sans jamais plus être rétrodiffusés (ce qui les ferait retourner vers les couches les plus profondes). Le flux du champ de rayonnement à la profondeur z du nuage s’écrit : F(z, λ) = Ftransmis(z, λ) + Fr´etrodiff(z, zmax, λ) (7.1) où Ftransmis(z, λ) est le flux incident ayant été éteint par les parties du nuage comprises entre 0 et z et Fr´etrodiff(z, zmax, λ) est le flux rétrodiffusé par les parties du nuage comprises entre z et zmax. Il est donc nécessaire de donner une profondeur finie (zmax) au nuage pour le calcul du rayonnement rétrodiffusé. Le calcul du transfert de rayonnement ne fait intervenir que les sections efficaces d’absorption et de rétrodiffusion des poussières. La section efficace d’absorption σabs(λ) est donnée explicitement par le modèle de poussière. Il nous faut calculer la section efficace de rétrodiffusion σr´etrodiff(λ).
Modélisation de l’émission des poussières dans la Tête de Cheval
Un des problèmes majeurs lors de l’observation d’un objet astrophysique est que nous mesurons un signal intégré sur une ligne de visée. Il peut être difficile voir impossible de remonter à la distribution de matière émettrice le long de la ligne de visée. La géométrie de la Tête de Cheval permet de réduire les problèmes liés à l’intégration du signal sur la ligne de visée. Elle présente en effet une face approximativement plane éclairée par une étoile et observée de profil. Nous pouvons faire l’approximation que cette étoile illuminatrice et la Tête de Cheval se situent dans le même plan perpendiculaire à la ligne de visée (e. g. Habart et al., 2005). De plus, la Tête de Cheval est la seule source intense en IR sur cette ligne de visée. La Tête de Cheval est donc un objet idéal pour suivre l’évolution des différentes espèces du gaz et de la poussière en fonction de la profondeur dans le nuage dense et de les comparer aux modèles de PDR à 1 dimension. Notons de plus que le filament IR observé au bord de la PDR est très étroit (Fig. 7.2) et nécessite une résolution inférieure à ∼ 10′′ pour bien résoudre les variations d’émission au travers de ce dernier. 7.2.1 Description de la Tête de Cheval et définition des paramètres du modèle La Tête de Cheval est une protubérance de gaz et de poussière qui se situe du coté ouest du nuage moléculaire L1630 (Fig 7.11). L’observation dans le visible de l’ouest du 106 7.2. Modélisation de l’émission des poussières dans la Tête de Cheval nuage L1630 est dominée par l’émission dans la raie Hα de la nébuleuse IC434. La Tête de Cheval tire son nom de la forme que l’extinction dessine en avant plan de cette émission Hα (Fig. 7.2). Le gaz ionisé ainsi que la Tête de Cheval sont illuminés par σ Ori, un système binaire O9.5V (Warren & Hesser, 1977) dont la température effective est de 34620 K (Schaerer & De Koter, 1997). σ Ori est située à une distance de 352±113 pc et la distance de L1630 a été estimée à ∼ 400 pc par l’étude de la distance d’étoiles B dans Orion (AnthonyTwarog, 1982). En considérant que σ Ori est située dans le même plan que la Tête de Cheval, perpendiculaire à la ligne de visée, la distance angulaire qui les sépare (∼ 0.5◦ ) correspond à une distance de 3.5 pc. La Tête de Cheval a été étudiée par de nombreux auteurs dans le visible, l’IR et le sub-millimétrique (e. g. Zhou et al., 1993; Abergel et al., 2003; Pound et al., 2003; Teyssier et al., 2004; Habart et al., 2005; Hily-Blant et al., 2005; Pety et al., 2005; Ward-Thompson et al., 2006; Philipp et al., 2006; Goicoechea et al., 2006). Les paramètres de notre modèle décrit à la section 7.1 sont (i) le champ de rayonnement incident et (ii) le profil de densité du nuage. Le champ de rayonnement est défini par une étoile de rayon 8.5 R⊙ rayonnant comme un corps noir de température égale à 34620 K (i. e. le rayon et la Teff d’une étoile O9.5V, Schaerer & De Koter, 1997). Notre but est de modéliser le filament d’émission IR qui apparaît au bord dense illuminé de la Tête de Cheval (Fig.7.2). La région HII, située à l’ouest du bord dense illuminé (i. e. entre le bord dense et l’étoile excitatrice) absorbe peu dans le continuum des poussières. Nous n’en tenons donc pas compte ici et plaçons donc le nuage à 3.5 pc de l’étoile. Cependant, cette région a pour effet d’absorber les photons d’énergie supérieure ou égale à 13.6 eV qui est l’énergie d’ionisation de l’hydrogène. Nous tronquons donc à 13.6 eV le champ de rayonnement qui illumine le nuage dense. Le flux dans l’UV lointain du champ de rayonnement, à la surface du bord dense est de χ = 61.4 en unité de champs de Mathis et al. (1983) et entre 6 et 13.6 eV, ce qui est en accord avec les estimations précédentes (e. g. Habart et al., 2005). Le profil en densité que nous utilisons pour le bord dense est celui défini par Habart et al. (2005). Dans leur travaux, Habart et al. (2005) ont utilisé des observations du gaz (H2, CO, Hα) et de la poussière (bandes IR des PAHs et émission millimétrique). En comparant ces données au modèle de PDR “de Meudon” (Le Bourlot et al., 1993; Le Petit et al., 2002), ils ont défini un profil analytique de densité qui permet de rendre compte des observations avec le modèle. Ce profil a la forme suivante : nH(z) = ( n 0 H × (z/z0) β : z ≤ z0 n 0 H : z > z0 (7.10) avec n 0 H = 2 105 H cm−3 , z0 = 0.02 pc (10′′) et β =4. Ce profil de densité permet de reproduire les profils d’émission observés en fonction de la profondeur et les intensités relatives des différentes espèces. Le modèle PDR “de Meudon” prédit une structure quasiment isobar avec P = 4 × 106 K cm−3 pour ce profil de densité. Aussi, lorsque ce modèle est utilisé avec une pression constante de 4 × 106 K cm−3 (i. e. sans a priori sur le profil de densité), il permet de retrouver un profil de densité comparable au profil de l’équation 7.10. Cela représente une bonne confirmation de la cohérence du modèle. La figure 7.3 schématise le modèle utilisé pour modéliser l’émission IR. La valeur de zmax est fixée à 0.5 pc ce qui permet de bien tenir compte du rayonnement rétrodiffusé puisque le profil d’émission des poussières ne varie pas pour des valeurs plus élevées. Le modèle calcule l’émission des poussières en fonction de la distance à l’étoile (i. e. de la profondeur dans le nuage) en utilisant le champ de rayonnement calculé par le transfert de rayonnement. Le spectre d’émission calculé par DUSTIAS est en erg s−1 H−1 qui représente une puissance émise par atome d’hydrogène. Nous connaissons le profil de densité nH(d). Nous pouvons donc convertir l’émission de erg s−1 H−1 à erg s−1 cm−3 . Si nous divisons par 4π, nous avons la puissance émise par cm−3 et par unité d’angle solide en considérant que l’émission des poussières est isotrope. Il est alors simple de convertir l’émission des poussières en erg s−1 cm−3 Hz−1 sr−1 . Nous pouvons négliger la profondeur optique de la Tête de Cheval dans l’IR puisque sur la ligne de visée, la profondeur dans le visible est de AV ∼2 au pic d’émission à 5-8.5 µm (Abergel et al., 2002) et monte jusqu’à AV ∼30 vers l’intérieur du nuage. Il reste donc à multiplier cette valeur par la profondeur du nuage (lPDR) puisque, dans la réalité, l’intensité observée est intégrée sur toute la ligne de visée. Nous obtenons alors une intensité en erg s−1 cm−2 Hz−1 sr−1 , converti ensuite en MJy sr−1 . Pour comparer avec les observations d’IRS, les profils d’émission modélisés sont convolués par la PSF du télescope de Spitzer, modélisée par une gaussienne de largeur à mi-hauteur FWHM(′′) = 0.24 λ (µm) (voir le “Spitzer Observer’s manual, § 7.4).
Comparaison des coupes modélisées et observées
A partir des cubes de donnée IRS (α, δ, λ), nous fabriquons des images dans différents domaines spectraux en moyennant pour chaque pixel (α, δ) l’intensité sur la dimension λ entre deux bornes λmin et λmax. Nous définissons ainsi quatre images aux longueurs d’onde 7 – 9, 11 – 12, 23 – 25 et 30 – 32 µm (Fig. 7.4). Les deux images à 7 – 9 et 11 – 12 µm sont représentatives des bandes d’émission des PAHs tandis que les images à 23 – 25 et 30 – 32 µm sont représentatives de l’émission continuum. Nous définissons ensuite pour chacune des quatre images des coupes moyennes au travers du filament. Ces moyennes sont effectuées sur toutes les coupes situées entre deux coupes limites représentées sur la figure 7.4. En pratique, nous moyennons 7 coupes par image. Ces 7 coupes par image ainsi que les coupes moyennes sont représentées sur la figure 7.5. Comme nous l’avons vu précédemment, il est nécessaire de fixer une profondeur lPDR dans le modèle pour ajuster l’intensité absolue émise. Nous calculons lPDR, indépendamment pour chaque longueur d’onde, en ajustant la valeur de l’intensité modélisée à celle de l’intensité observée pour le pixel au pic du profil. Pour le modèle, cette valeur est calculée en moyennant le profil entre -1.275′′ et 1.275′′ de part et d’autre du pic puisque les pixels ont 2.55′′ de coté. La valeur de lPDR devrait être la même pour les quatre longueurs d’onde étudiées si le spectre modélisé avait la même forme que le spectre observé. Cependant, les valeurs de lPDR calculées sont différentes pour les quatre longueurs d’onde. Dans un premier temps, nous utiliserons néanmoins ces valeurs sans nous préoccuper de ce désaccord, dans le but de comparer les formes des profils modélisés et observés. Nous étudierons en110 7.2. Modélisation de l’émission des poussières dans la Tête de Cheval suite les raisons de ce désaccord. La figure 7.5 montre la comparaison des profils ainsi obtenus avec les coupes faites dans les données IRS SL-LL. Cette figure montre que les profils modélisés sont systématiquement plus étroits que les profils observés. Cette conclusion avait déjà été atteinte par Habart et al. (2005) et Goicoechea et al. (2006) qui ont modélisé les profils d’émission du gaz dans ce filament. Ces auteurs ont attribué l’élargissement des profils observés à l’inclinaison du bord dense illuminé par rapport à la ligne de visée. Notons que cet élargisssement peut avoir d’autres causes : (i) une légère sphéricité du bord dense, (ii) la présence de plusieurs bords superposés ou encore (iii) des effets d’inclinaison. Notons que ces effets de projection ont un impact négligeable sur le rapport d’émission bandes/continuum modélisé au travers du filament puisque les profils d’émissions des bandes et du continuum IR moyen modélisés sont très semblables. Les valeurs de lPDR utilisées pour ajuster les intensités modélisées ne sont pas les mêmes pour toutes les longueurs d’onde. Les profondeurs vont de lPDR ∼ 0.033 pc et lPDR ∼ 0.032 pc pour l’émission à 7 – 9 et 11 – 12 µm à lPDR ∼ 0.096 pc pour l’émission à 30-32µm. Elles sont cohérentes car du même ordre de grandeur avec la profondeur lPDR ∼ 0.1 pc utilisée par Habart et al. (2005) pour la modélisation avec le modèle PDR “de Meudon”. La profondeur lPDR utilisée pour ajuster l’émission aux longueurs d’ondes dominées par la présence de bandes de PAH (7 – 9 et 11 – 12 µm) est plus faible d’un facteur 2.5 à 3 que celle utilisée pour ajuster l’émission aux longueurs d’onde dominées par le continuum. L’émission relative des bandes par rapport au continuum est donc trop élevée dans le modèle. Le modèle de poussière utilisé est ajusté sur les observations des nuages diffus à haute latitude galactique (“Cirrus”). Nous pouvons donc conclure que le rapport d’émission bandes/continuum est 2.5 à 3 fois moins élevé au pic d’émission IR de la Tête de Cheval que dans les “Cirrus”.
