Modélisation de la structure fine de la turbulence quantique et classique
Tendance à la cristallisation
Recherche d’une solution vortex stationnaire Afin de tester les différents modèles ajustés dans la partie 3.1.2, on commence par étudier la structure interne des vortex dans chacun de ces modèles. Pour cela, on recherche une solution à un vortex stationnaire à l’équation (3.1). Comme expliqué dans la partie 3.1.2, on s’intéresse uniquement au modèle de Berloff-Roberts et à notre proposition de modèle donnée à l’équation (3.10). Pour le modèle de Berloff-Roberts, on cherche alors une solution vortex stationnaire à l’équation (3.6).
Principe
On recherche une solution stationnaire à un vortex, qu’on choisit d’axe Oz sans perte de généralité. Comme dans le chapitre précédent, l’invariance par translation le long de l’axe du vortex permet de réduire le problème à une équation à deux dimensions. La solution stationnaire 26 Structure, dynamique et reconnexion de vortex dans un modèle non-local de superfluide recherchée vérifie alors l’équation à deux dimensions suivante : 0 = − ∂ 2 ∂x2 + ∂ 2 ∂y2 ! Ψ + hG2D ∗ |Ψ| 2 − µ i Ψ, (3.18) où G2D(x, y) = ´ G(r)dz est la version 2D du potentiel d’interaction et où le produit de convolution n’est alors intégré que sur les variables x et y dans le plan orthogonal à l’axe du vortex. Afin de résoudre numériquement l’équation (3.18), on utilise une méthode dite de relaxation. Cette méthode consiste à remarquer que la solution stationnaire de l’équation de Gross-Pitaevskii est aussi solution stationnaire de l’équation suivante : ∂Ψ ∂t = + ∂ 2 ∂x2 + ∂ 2 ∂y2 ! Ψ − hG2D ∗ |Ψ| 2 − µ i Ψ, (3.19) qui est une équation de type équation de la chaleur où le terme d’énergie potentielle apparaît comme un terme de source. Par analogie avec le problème de la chaleur, on s’attend alors à ce que la solution de l’équation stationnaire (3.18) soit la solution à temps long de l’équation (3.19). En pratique la recherche d’une solution stationnaire de l’équation de Gross-Pitaevskii (ou plus généralement toute équation de type Schrödinger) revient à résoudre l’équation (3.19) et chercher sa solution à temps long pour une condition initiale donnée. Cette méthode est aussi appelée propagation en temps imaginaire, puisque l’équation (3.18) est obtenue depuis l’équation de Gross-Pitaevskii par le changement de variable temporelle t 7→ −it. Dans notre cas, on choisit une condition initiale vérifiant les contraintes imposées par la présence d’un vortex à savoir une variation de 2π de la phase lors d’un tour autour du cœur du vortex, et l’annulation de la fonction d’onde Ψ sur le cœur. En pratique, on choisit la condition initiale suivante : Ψ (#»r , t) = f(r)e iθ , (3.20) où on a introduit les coordonnées polaires (r, θ) dans le plan perpendiculaire à l’axe du vortex. L’amplitude f(r) est choisie de telle sorte à vérifier les propriétés essentielles de la solution de l’équation (2.23), à savoir f(0) = 0 et f(∞) = 1. La forme exacte de cette amplitude n’a pas d’importance sur le résultat final de la relaxation, mais choisir une condition initiale proche de la solution attendue permet de réduire le temps d’établissement de l’état stationnaire de l’équation (3.19). Typiquement, on utilise un profil en tangente hyperbolique f(r) = tanh(r).
Méthodes numériques
Contrairement au chapitre 2, on ne réduit pas ici l’équation (3.19) à une équation radiale en utilisant l’invariance par rotation. Au lieu de cela on résout le problème de relaxation à deux dimensions, en utilisant une méthode pseudo-spectrale : les conditions aux limites sont donc périodiques et imposées par le calcul dans l’espace de Fourier. On s’attend donc à ce que l’invariance par rotation soit brisée près des bords du domaine de résolution, à cause des effets de la périodicité dans les directions x et y. Plus explicitement, la méthode pseudo-spectrale consiste à résoudre l’équation (3.19) dans le domaine de Fourier : ∂Ψb ∂t = −k 2Ψ +b µΨb − NL, d (3.21) où le chapeau représente la transformée de Fourier spatiale et NL = G2D ∗ |Ψ| 2 Ψ le terme d’interaction non-linéaire et non-locale. La périodicité ainsi imposée pose un problème pour la 3 Calibration d’un modèle non-local 27 condition initiale choisie. En effet la condition Ψ(r, 0) = tanh(r)e iθ représente un vortex centré en l’origine du domaine, mais n’est pas périodique en x et en y : elle présente une discontinuité en amplitude et en phase au bord du domaine. Si la discontinuité en amplitude peut être minimisée en augmentant la taille du domaine, la discontinuité en phase ne dépend pas de la taille du domaine. Pour palier à ce problème, on choisit comme condition initiale un ensemble de quatre vortex disposés en carré et alternant le signe de leur circulation. La discontinuité de la phase est ainsi minimisée et la relaxation dans l’espace de Fourier gomme rapidement les défauts de périodicité. Cette procédure est visualisée sur la figure 3.2. Le résultat est que la fonction d’onde présente une symétrie due à la périodicité : on ne représentera plus qu’un quart du plan de la simulation, les trois autres étant simplement des images permettant d’obtenir la périodicité et n’apportent pas de physique supplémentaire au problème. Pour les simulations à trois dimensions du chapitre 4, on ne montrera de même qu’un huitième du cube et on omettra les images présentes dans le reste du domaine. Fig. 3.2 Profil de la phase de la condition initiale choisie. (a) : une condition initiale à un seul vortex présente une importante discontinuité aux bords et n’est donc pas périodique en x et en y. (b) : une condition à quatre vortex en carré alternés limite la discontinuité de phase au bord et facilite la périodisation lors de la relaxation dans l’espace spectral. Le terme non-linéaire nécessite un traitement soigneux dans cette méthode de résolution. Tout d’abord, à cause de sa non-linéarité il n’est pas calculable simplement dans l’espace de Fourier. En pratique, on doit repasser dans l’espace réel pour calculer le module au carré de Ψ, puis repasser dans l’espace spectral pour calculer la convolution avec G2D qui devient simplement un produit. Finalement le produit de convolution est retransformé dans l’espace réel pour la multiplication avec Ψ, puis repassé une dernière fois dans l’espace de Fourier pour calculer la dérivée ∂tΨ et intégrer b l’équation (3.21). En outre, le terme non-linéaire est suceptible de créer des hautes fréquences dans le spectre de Ψ. Dans le cadre discrétisé d’une simulation numérique ces hautes fréquences peuvent b devenir problématiques si elles dépassent la fréquence de Nyquist de la simulation. Dans ce cas, ces nouvelles fréquence apparaîtront sous la forme d’alias à basse fréquence par repliement spectral et fausseront la dynamique réelle du système non discrétisé. Pour s’affranchir de ce problème, on peut s’affranchir des alias en filtrant manuellement toutes les fréquences susceptibles d’être repliées dans le spectre par effet de la non-linéarité. Pour une non-linéarité d’ordre deux, Orszag [46] montre ainsi qu’il est suffisant de couper toutes les fréquences au-delà de deux tiers de la fréquence de Nyquist, avant et après multiplication deux à deux dans l’espace réel. On pourrait argumenter que la non-linéarité de l’équation de Gross-Pitaevskii étant d’ordre trois, il ne faut pas utiliser la règle des deux-tiers d’Orszag mais son équivalent à l’ordre trois qui préconise de couper toutes les fréquences au dessus de la moitié de la fréquence de Nyquist. Cependant cette méthode implique un coût plus important en résolution spatiale, puisqu’elle implique d’éliminer plus de fréquences que la règle des deux-tiers. De plus ici le terme non-linéaire est calculé par produits deux à deux 28 Structure, dynamique et reconnexion de vortex dans un modèle non-local de superfluide successifs : on ne manipule réellement à chaque étape du calcul qu’une non-linéarité quadratique. Il suffit donc d’appliquer successivement la règle des deux-tiers à chaque multiplication pour éliminer les alias. Cette méthode est évidemment plus coûteuse en temps puisqu’on réalise deux déaliasings successifs au lieu d’un seul pour la «règle des un-demi» prescrite pour une non-linéarité d’ordre trois. Cependant le coût en temps de calcul de ces deux opérations successives est préférable au coût en résolution spatiale. En effet pour garder la même résolution spatiale que le problème non déaliasé, il faudrait multiplier la résolution de la simulation par 2d où d est la dimensionalité du problème dans le cas de la règle des un-demi, contre (3/2)d pour la règle des deux tiers. Cette différence est importante notamment pour le cas des simulations à trois dimensions présentées dans chapitre 4. Pour cette raison, on utilise dans toutes les simulations numériques la règle des deux-tiers successivement à chaque produit deux à deux dans l’espace réel. Afin d’intégrer en temps l’équation (3.21) on choisit comme schéma numérique le schéma Runge-Kutta d’ordre quatre. Ce schéma est soumis à une condition de stabilité numérique que nous avons cherché de manière empirique en partant de la condition Courant-Friedrisch-Lewy (CFL) de l’équation de la chaleur δt < δx2/2 [47]. Le terme non-linéaire de l’équation de Gross-Pitaevskii impose une condition plus drastique, et on observe que prendre δt = δx2/64 est suffisant pour obtenir un schéma stable numériquement. Pour faire ce choix on fixe arbitrairement la résolution spatiale δx = 1/16, ce qui correspond à seize pixels par longueur d’onde de roton. La taille de la grille de simulation donne alors la taille physique du domaine de résolution. Afin de tester les effets de la périodicité, on réalise la relaxation numérique sur des grilles de 1282 , 2562 , 5122 et 10242 ce qui correspond à des tailles de domaines de L = 8, 16, 32 et L = 64 longueurs d’ondes de rotons respectivement. La relaxation est arrêtée arbitrairement quand le champ Ψ (#»r , t) semble avoir atteint un état stationnaire. Pour cela on calcule l’énergie totale à chaque pas de temps : E = ¨ R2 |∇Ψ| 2 + 1 2 |Ψ| 2 G2D ∗ |Ψ| 2 − µ |Ψ| 2 d 2 r (3.22) On choisit alors d’arrêter la relaxation au bout de 50000 pas de temps, ce qui correspond à une durée T ≈ 3. La variation relative d’énergie entre deux pas de temps est alors de l’ordre de δE E ∼ 10−7 . Les relaxations numériques sont réalisée par un code Matlab, la DNS de l’équation (3.19) étant peu coûteuse à deux dimensions pour des tailles de grille allant jusqu’à 10242 . On réalise de même des relaxations numériques du modèle d’interaction locale afin de pouvoir en déduire l’influence des rotons dans un modèle de superfluide. Afin de pouvoir comparer les deux modèles, on choisit comme potentiel chimique du modèle local la valeur µ = c 2/2 obtenue par ajustement du modèle non-local. Choisir le même potentiel chimique permet alors de comparer deux modèles avec la même célérité du son c = √ 2µ et la même longueur de cohérence ξ = 1/ √µ. Les résultats de ces simulations sont présentés dans les parties suivantes.
Cristallisation statique
L’étude de la relation de dispersion à la partie 3.1.2 est basée sur la linéarisation de l’équation (3.1) autour de la solution uniforme Ψ (#»r , t) = 1 : elle ne prend donc pas en compte les effets de la non-linéarité du problème de Gross-Pitaevskii. Ces effets peuvent être importants et notamment déclencher des instabilités non présentes dans le problème linéaire. On présente dans cette partie les effets non-linéaires observés dans la recherche d’une solution stationnaire à un vortex, à travers une démarche phénoménologique. La solutions stationnaires à un vortex obtenues par la méthode numérique décrite à la partie 3.2.1 sont présentée sur la figure 3.3. Dans le cas du modèle de Berloff-Roberts on observe des modulations intenses de la densité du fluide autour du coeur du vortex, alignées sur un réseau hexagonal. La phase tourne toujours 3 Calibration d’un modèle non-local 29 Fig. 3.3 Résultats de la relaxation numérique décrite dans la partie 3.2.1. (a,c) : densité et phase respectivement de la solution stationnaire obtenue à la fin de la relaxation dans le modèle de Berloff-Roberts. (b,d) : densité et phase respectivement de la solution stationnaire obtenue après 40000 itérations dans notre proposition de modèle. Dans ce modèle les fluctuations de la densité divergent au cours de la relaxation et la simulation explose peu après 40000 itérations. Les profils de densité et de phase sont issus des relaxations sur un grille de taille 5122 . régulièrement de 2π autour du cœur du vortex, suggérant que le fluide s’écoule toujours selon l’écoulement induit par un quantum de circulation. Mais contrairement à l’image d’un écoulement fluide la densité est ici fortement modulée sur un réseau figé dans le temps, ce qui évoque plutôt l’image d’un solide cristallin. On désignera donc dans la suite par cristallisation cette modulation intense de la densité sur un réseau. On note que le pas du réseau de cristallisation ne dépend pas de la taille de la simulation, mais est proche de la taille caractéristique du potentiel d’interaction, à savoir la longueur d’onde du roton. Ce résultat a été observé dans la littérature [48, 49] où des modèles de Gross-Pitaevskii sont utilisés pour modéliser un éventuel état supersolide de l’hélium. Dans le cas de notre proposition de modèle, l’effet de la modulation est encore plus important : la non-linéarité ne sature pas les oscillations de densités qui divergent et font exploser la simulation. La figure 3.3 montre l’état du système peut avant la divergence des oscillations de densité. On observe de fortes modulations autour du cœur du vortex, qui même si elles ne sont pas développé sur un large réseau hexagonal comme dans le modèle de Berloff-Roberts, semblent s’aligner selon trois directions préférentielles. La phase de la fonction d’onde est similaire au cas de Berloff-Roberts : on remarque en effet au cours des simulations que le profil de phase autour du vortex ne change quasiment pas durant la relaxation, ce qui suggère que l’écoulement est déjà qualitativement décrit par la phase de la condition initiale représentée sur la figure 3.2. Notons qu’il n’existe pas encore à notre connaissance de mesure expérimentale de la structure interne du cœur des vortex dans l’hélium II à l’échelle des rotons. En conséquence, il nous est impossible d’affirmer avec certitude qu’une structure cristalline telle qu’observée sur la figure 3.3 est impossible dans l’hélium 4. Cependant à des échelles plus grandes, l’existence de vortex non cristallisés est bien démontrée expérimentalement dans l’hélium superfluide [9] et dans les conden- 30 Structure, dynamique et reconnexion de vortex dans un modèle non-local de superfluide sats de Bose atomiques [50]. Par conséquent, on cherche à obtenir une solution stationnaire à un vortex non cristallisé –i.e. axisymétrique, avec le modèle d’interaction proposé à l’équation (3.10). Pour obtenir une telle solution non-cristallisée en gardant la même proposition de potentiel, il est nécessaire de modifier l’ajustement de la relation de dispersion réalisé dans la partie 3.1.2. En effet il est observé [23, 48] que la tendance à la cristallisation dépend de la hauteur du minimum des rotons : plus leur énergie est basse, plus les rotons sont facilement excités et susceptibles de mener à l’apparition d’un cristal. Pour cette raison, on décide de relever arbitrairement l’énergie du minimum roton reproduite par notre modèle, jusqu’à que la solution stationnaire obtenue par relaxation soit raisonnablement axisymétrique. Pour cela, on suit toujours la procédure d’ajustement décrite à la partie 3.1.2 mais on choisit une valeur plus grande pour la valeur de référence ωe0 dans la minimisation de la fonction D donnée à l’équation (3.16). En partant de la valeur expérimentale [3] ωe0 = 15.1 et en augmentant progressivement ωe0 on trouve qu’il suffit de prendre ωe0 = 18 pour obtenir une solution stationnaire à un vortex non-cristallisé. Les paramètres issus de ce réajustement du minimum roton sont c = 9.74, B = 1.5948, D = 10.512 et E = 0.3851. La nouvelle relation de dispersion ainsi obtenue est présentée sur la figure 3.4, ainsi que le profil radial du potentiel dans l’espace réel et le profil de densité de la solution stationnaire obtenue. Fig. 3.4 (a) : relation de dispersion dans notre modèle (tirets bleus) réajusté de façon à obtenir une solution stationnaire non cristallisée, comparée à la relation de dispersion expérimentale (trait plein noir) et à son ajustement optimal par notre modèle (points-tirets rouges). (b) : profil radial des potentiels d’interaction normalisés par leur amplitude respective en zéro G0, dans notre modèle réajusté (tirets bleus) ainsi que pour son ajustement optimal (points-tirets rouges). Ces amplitudes valent G0 = 0.03 eV dans l’ajustement optimal et G0 = 11.60 eV dans le réajustement du minimum roton. (c) : densité de la solution stationnaire obtenue à la fin de la relaxation dans notre modèle réajusté. (d) : densité de la solution stationnaire obtenue à la fin de la relaxation dans l’ajustement optimal de notre modèle. Les profils de densité (c) et (d) sont issus des relaxations sur un grille de taille 5122 soit une taille physique de L = 32 longueurs d’ondes de rotons ; on représente ici un agrandissement sur une zone de taille 12×12 longueurs d’ondes de roton centrée sur le cœur du vortex. La relation de dispersion obtenue reste relativement proche de la relation expérimentale, comme on peut le voir sur la figure 3.4. Les profils radiaux du potentiel d’interaction présentés sur la figure 3.4 sont cependant relativement différents : on observe un facteur 1000 entre les deux amplitudes, et l’intensité relative des extrema secondaires est aussi radicalement différente. Ce résultat est typique d’un ajustement fin dans l’espace de Fourier, qui peut donner des résultats très différents dans l’espace réel. En ce qui concerne les profils de densité, on observe bien une solution stationnaire axisymétrique sur la figure 3.4(c) dans le cas d’un réajustement du minimum roton. On voit donc via cette procédure que les modèles utilisés, que ce soit celui de Berloff-Roberts ou notre proposition, sont incapables de modéliser à la fois une relation de dispersion fidèle à l’expérience et un écoulement fluide dénué de modulations de densités typiques d’un état cristallin. Face à cette difficulté à réconcilier la description linéarisée du problème et les effets de la nonlinéarité, et au niveau de schématisation de la description par l’équation de Gross-Pitaevskii, nous avons décidé d’abandonner complètement le modèle de Berloff-Roberts. En effet le niveau de 3 Calibration d’un modèle non-local 31 description proposé par ce modèle nous a semblé incohérent avec les approximations du formalisme de Gross-Pitaevskii pour l’hélium II.
Cristallisation dynamique
La démarche de réajustement du minimum roton présentée dans la partie 3.2.2 permet d’obtenir une solution stationnaire à un vortex non cristallisé. Cependant ce premier réajustement n’est pas suffisant pour garantir la stabilité modulationnelle des solutions dynamiques de l’équation de Gross-Pitaevskii. En effet on observe lors des simulations de reconnexion de deux vortex décrites au chapitre 4 que l’événement de reconnexion est suffisamment intense pour déclencher des instabilités modulationnelles. On observe alors l’apparition d’un réseau cristallin, équivalent tridimensionnel de celui observé sur la figure 3.3, et ceci même en partant de conditions initiales non cristallisées obtenues par la démarche de la partie 3.2.2. Ce réseau tridimensionnel est visualisé sur la figure 4.1. Pour palier à ce problème, nous avons décidé d’aller plus loin dans notre démarche de réajustement et de relever à nouveau le minimum des rotons jusqu’à obtenir une simulation de reconnexion qui ne fasse pas apparaître de cristallisation spontanée. Pour cela nous avons de plus dû augmenter la célérité du son, car notre modèle ne permettait pas de relever le minimum des rotons sans ajuster simultanément les autres caractéristiques c, ω0 et κ0. Les paramètres du modèle finalement retenus pour toute la suite sont c = 16, B = 2.2635, D = 5.5970 et E = 0.4408. Le résultat de ce second ajustement est représenté sur la figure 3.5. Fig. 3.5 (a) : relation de dispersion dans notre modèle (tirets bleus) réajusté de façon à obtenir une reconnexion sans cristallisation dans le chapitre 4 : l’énergie des rotnons ainsi que la vitesse du son sont relevées par rapport à la figure 3.4. Comparaison avec la relation de dispersion expérimentale (trait plein noir) et à son ajustement optimal par notre modèle (points-tirets rouges). (b) : profil radial des potentiels d’interaction normalisés par leur amplitude respective en zéro G0, dans notre modèle réajusté (tirets bleus) ainsi que pour son ajustement optimal (points-tirets rouges). Ces amplitudes valent G0 = 0.03 eV dans l’ajustement optimal et G0 = 0.11 eV dans le réajustement du minimum roton. (c) : densité de la solution stationnaire obtenue à la fin de la relaxation dans notre modèle réajusté. (d) : densité de la solution stationnaire obtenue à la fin de la relaxation dans l’ajustement optimal de notre modèle. Les profils de densité (c) et (d) sont issus des relaxations sur un grille de taille 5122 soit une taille physique de L = 32 longueurs d’ondes de rotons ; on représente ici un agrandissement sur une zone de taille 12 × 12 longueurs d’ondes de roton centrée sur le cœur du vortex. On obtient bien une solution stationnaire à un vortex non cristallisé, comme on peut le voir sur la figure 3.5(c). En contrepartie, la célérité du son reproduite est c = 16.0 et les caractéristiques du creux des rotons k0 = 6.5963, ω0 = 29.6 et κ = 13.7 contre ce = 9.74, ek0 = 2π, ωe0 = 15.1 et κe0 = 12.9 observés expérimentalement dans notre système d’unités. Les propriétés hydrodynamiques de la solution stationnaire obtenue sont édtudiées plus quantitativement dans la partie 3.3. 3Structure, dynamique et reconnexion de vortex dans un modèle non-local de superfluide 3.3 Analyse de la solution stationnaire On étudie dans cette partie la solution stationnaire à un vortex obtenue dans notre modèle réajusté à la partie 3.2.3. On se place dans le cadre de la description hydrodynamique présentée dans le chapitre 2 et basé sur la transformation de Madelung Ψ = √ρeiφ. Sous cette transformation et dans notre système d’unités, le module au carré de la fonction d’onde s’interprète comme la densité du superfluide ρ = |Ψ| 2 , et la phase de la fonction d’onde comme un potentiel des vitesses #»u = 2#»∇φ. On comparera systématiquement les propriétés du vortex stationnaire dans notre modèle non-local à la solution stationnaire du modèle local.
Profil radial de densité
Le profil bidimensionnel de densité obtenu sur la figure 3.5(c) est raisonnablement axisymétrique à faible distance du cœur du vortex. On peut alors étudier le profil radial de densité, en relevant les valeurs de la densité suivant l’axe x suffisamment proche du cœur. On compare alors ce profil radial obtenu à celui observé par la même méthode dans le modèle local. Les deux profils sont représentés sur la figure 3.6. Fig. 3.6 Profils radiaux de densité dans notre modèle non-local (en bleu) et dans le cas local (en rouge), obtenus à partir des solutions stationnaires sur une grille de taille 10242 . Les oscillations de densité dans le cas non-local s’atténuent sur une distance typique 1/k1 liée aux propriétés ω0 et κ0 du minimum roton. On observe dans notre modèle non-local que la densité s’annule bien au cœur du vortex en ρ ∝ r 2 , et qu’elle tend en s’éloignant du cœur vers la densité uniforme ρ = 1, en présentant des oscillations autour de cette densité uniforme. Ces oscillations avaient déjà été observées [23,38,42] et s’atténuent sur une distance caractéristique λ1 = 2π/k1 liée à la hauteur et la courbure du creux des rotons : k1 = 2s ω0 κ0 . (3.23) Dans le cas local la densité croît de manière monotone jusqu’à la densité uniforme, et exhibe comme unique distance caractéristique la longueur de cohérence ξ = µ −1/2 . Les oscillations de densités autour du cœur du vortex sont une signature typique des rotons dans le cadre d’une description par l’équation de Gross-Pitaevskii. On retrouve ces mêmes oscillations près de toute annulation de la densité, notamment en présence de parois [38, 39]. On verra dans la partie 3.3.2 3 Calibration d’un modèle non-local 33 que ces oscillations sont aussi présentes dans d’autres quantités hydrodynamiques dans le cas non-local.
Profils de vitesse, densité d’impulsion et pseudo-vorticité
Dans le cadre de la transformation de Madelung et dans notre système d’unités, le champ de vitesse induit par un quantum de circulation est #»u = 2 r #»eθ. Ce champ de vitesse diverge au cœur du vortex et la vorticité associée #»Ω = #»∇ × #»u est alors distributionnelle : Ω est infinie sur le cœur du vortex et nulle ailleurs. Numériquement, un champ distributionnel ou simplement divergent pose de nombreux problèmes, que ce soit ici dans l’analyse de la solution stationnaire ou pour l’étude dynamique présentée dans le chapitre 4. Pour cette raison on va considérer plutôt la densité d’impulsion #»j et la pseudo-vorticité #»w associée : #»j = 1 i Ψ ∗ #»∇Ψ − Ψ #»∇Ψ ∗ , (3.24) #»w = #»∇ × #»j = 4#»∇Ψr × #»∇Ψi , (3.25) où Ψr et Ψi sont les parties réelle et imaginaire de la fonction d’onde respectivement. La seconde expression de #»w est notamment utile pour les calculs numériques. Dans le cas d’un quantum de circulation en l’origine, la densité d’impulsion s’exprime alors #»j = 2ρ/r #»eθ. Ce champ est donc borné et s’annule au cœur du vortex en j ∝ r. La pseudo-vorticité est alors elle aussi bornée et alignée selon l’axe du vortex #»w = (2/r)dρ/dr #»ez ; en particulier w prend une valeur finie sur le cœur du vortex. Comme pour le profil de densité présenté à la partie 3.3.1, on suppose que les champs #»u, #»j et #»w sont axisymétriques près du cœur du vortex, et on les évalue en relevant leurs valeurs sur l’axe Ox assez près du cœur. Les profils obtenus sont présentés sur la figure 3.7. Fig. 3.7 (a) : profils radiaux de vitesse (trait plein noir) et de densité d’impulsion dans notre modèle non-local (tirets bleus) et dans le modèle local (points-tirets rouges). Le profil de vitesse est identique dans les deux cas et est numériquement indiscernable du profil u = 2/r prédit par la loi de Biot-Savart. (b) : profils radiaux de pseudo-vorticité dans notre modèle non-local (triangles bleus) et dans le modèle local (carrés rouges), ainsi que leur comparaison à un modèle schématique (en tirets et points-tirets respectivement) décrit dans l’équation (3.26). On observe effectivement sur la figure 3.7(a) que le profil de vitesse diverge en u = 2/r, dans le cas local comme dans le non-local. Ce comportement est extrêmement bien vérifié numériquement, ce qui suggère que le champ de vitesse induit par un vortex stationnaire est un aspect robuste de la description de Gross-Pitaevksii du superfluide, et qu’il ne dépend pas du modèle d’interaction. On 34 Structure, dynamique et reconnexion de vortex dans un modèle non-local de superfluide retrouve de même des profils bornés pour la densité d’impulsion qui s’annule au cœur du vortex en j ∝ r. On observe dans le profil non-local de très légères oscillations typiques des rotons, contrairement au cas local. La figure 3.7(b) représente les profils de pseudo-vorticité dans les deux modèles. On retrouve dans les deux cas un profil qui prend une valeur finie sur le cœur du vortex. Dans le cas local (en rouge), w décroît de manière monotone quand on s’éloigne du cœur. Comme on le verra dans le chapitre 4, en particulier pour donner une interprétation statistique des quantités décrites ici, il est intéressant de modéliser cette décroissance radiale de w. Dans cette optique, on propose le modèle suivant : w(r) = w0 1 + r r0 2 α , (3.26) où w0 est la valeur de la pseudo-vorticité sur le cœur du vortex et (r0, α) sont les paramètres libres du modèle. On commence par ajuster ce modèle sur le profil obtenu avec l’équation de GrossPitaevskii locale. On obtient une reproduction raisonablement fidèle de la décroissance monotone avec les valeurs de paramètres r0 = 0.22 et α = 3.125. Dans le cadre non-local, les paramètres r0 = 0.62 et la même valeur de α reproduisent qualitativement la décroissance de w, mais le modèle (3.26) est incapable de reproduire les oscillations typiques de la présence de rotons. Remarquons que la valeur α = 3.125 est relativement différente de l’exposant α = 2 attendu dans le cas de la résolution de l’équation radiale pour la densité présentée au chapitre 2. En effet loin du cœur et en négligeant les variations d’ordre deux, la densité tend vers la densité uniforme comme l’inverse du carré de la distance au cœur du vortex [19]. En utilisant l’expression w = (2/r)dρ/dr on obtient alors aisément que la pseudo-vorticité se comporte à grand r comme w ∝ 1/r4 , ce qui correspond à α = 2 dans le modèle donné par l’équation (3.26). Dans notre cas, on ajuste le modèle sur des distances qui ne peuvent être considérées comme grandes étant loin du cœur du vortex – voir par exemple les valeurs obtenues pour le paramètre r0. De plus, la solution stationnaire est obtenue ici sur un domaine fini avec des conditions aux bords périodiques. Cette périodicité implique la présence de vortex images qui sont susceptibles d’interagir d’une manière subtile, de telle sorte que l’exposant α = 3.125 décrit mieux la décroissance de w observée ici. Ceci pourrait expliquer que l’on n’observe pas une décroissance en w ∝ 1/r4 . Après l’analyse statique réalisée ici, on étudiera dans le chapitre 4 l’évolution dans le temps des quantités hydrodynamiques lors d’un événement de reconnexion de deux vortex initialement rectilignes.
Remerciements |