Modélisation de la diffusion multi-composants dans un bain de corium diphasique oxyde-métal

Le travail de thèse présenté dans ce manuscrit s’inscrit dans le cadre de l’étude de la propagation d’un accident grave de réacteur à eau légère. Au cours d’un accident grave, la perte de refroidissement du cœur du réacteur nucléaire est susceptible de conduire à sa fusion partielle ou complète et mener ainsi à la formation d’un bain fondu : le corium. Ce matériau liquide à haute température (environ 3000 K) est formé suite à la fusion du combustible nucléaire (dioxyde d’uranium UO2), des gaines en alliage de zirconium partiellement oxydées (Zr, ZrO2) et des structures métalliques environnantes (Fe, Cr, Ni, …).

Lors de l’arrivée de ce bain liquide vers le fond de la cuve du réacteur se pose la question de la tenue ce cette dernière au chargement thermique exercé par le corium. Cette question est de première importance vis-à-vis du maintien de la cuve du réacteur. Une des approches de sûreté envisagée consiste en le maintien de ce bain fondu dans la cuve par un renoyage externe du puits de cuve dans le but d’en extraire par convection le flux de chaleur transmis à la paroi de la cuve.

Le comportement du bain de corium résulte du couplage entre deux grands types de phénomènes : les interactions thermochimiques au sein de ce bain multi-composants et son comportement thermo-hydraulique au travers de la convection naturelle qui s’y installe. Le corium est un système multi-composants (U-O-Zr-acier) complexe de par les phases (liquides, solides) en présence. Notamment, la présence d’une lacune de miscibilité liquide-liquide influence la répartition des phases oxyde et métalliques et par là-même joue un rôle important sur le flux de chaleur transmis à la cuve et in fine le succès de la stratégie de rétention du corium en cuve. Plus particulièrement, l’existence d’une couche d’acier supérieure de faible épaisseur constitue une des principales menaces pour l’intégrité de la cuve. En effet, cette couche supérieure étant très conductrice, elle peut conduire à un phénomène de concentration du flux de chaleur latéral transmis à la cuve (« focusing effect » en anglais). Ce phénomène est susceptible de mener à une rupture prématurée de la cuve.

Dans le cadre des études de sûreté visant à évaluer le maintien de l’intégrité de la cuve au chargement thermique exercé par le bain de corium, le point clé est l’évaluation du flux de chaleur qui lui est transmis. Dans l’approche standard, le flux de chaleur est évalué pour des configurations stationnaires du bain de corium. Ces configurations correspondent à une répartition des phases liquides oxyde et métalliques obtenue à partir de considérations relatives à l’équilibre thermodynamique du système U-O-Zr-acier. Néanmoins, cette approche stationnaire a récemment été remise en cause pour une évaluation « enveloppe » du risque de percement de la cuve par un phénomène de « focusing effect » transitoire. En effet, l’épaisseur de la couche d’acier supérieure peut se trouver être inférieure à celle obtenue par ce raisonnement stationnaire : il faut ainsi avoir recours à une modélisation transitoire du comportement du bain de corium pour garantir une évaluation « enveloppe » du flux de chaleur.

Dans les codes scénarios accidents graves qui visent à simuler la propagation d’un accident grave de réacteur nucléaire, une modélisation transitoire du comportement du bain de corium est présente. Cette modélisation transitoire repose sur des modèles thermo-hydrauliques « 0D » d’évaluation du flux de chaleur ainsi que sur la modélisation de phénomènes physiques transitoires influençant l’état de stratification du bain. Pour autant, ces modélisations transitoires sont entachées d’incertitudes. D’une part, les modèles thermo-hydrauliques reposent sur l’utilisation de corrélations du flux de chaleur associées à un régime thermo-hydraulique du bain établi et ne peuvent capturer les transitoires relatifs à l’établissement de la convection naturelle par le changement rapide d’une condition aux limites. D’autre part, le manque de connaissances quant aux transitoires associés aux phénomènes thermochimiques rend également leur modélisation macroscopique incertaine. Afin de gagner en connaissances sur ces phénomènes pour une modélisation transitoire plus précise du bain de corium, une approche complémentaire à la conduite de programmes expérimentaux est le développement d’une modélisation « fine » du comportement du bain de corium pour un sous-ensemble de phénomènes.

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Dans ce cadre, la modélisation de la thermo-hydraulique du bain par une approche CFD (« Computational Fluid Dynamics ») apparaît comme une voie prometteuse pour traiter la convection naturelle. Pour aller plus loin, une telle approche doit prendre en compte des phénomènes thermochimiques transitoires influençant le comportement du bain de corium, et en particulier la cinétique de stratification des phases liquides oxyde et métalliques. Les modélisations actuelles de ce phénomène dans les codes de calculs ne sont pas compatibles avec cette approche CFD de la thermo-hydraulique de par leur caractère essentiellement macroscopique.

Le développement de l’industrie électronucléaire s’est effectuée en plusieurs étapes : on parle de génération de réacteurs. Le parc français est constitué de 58 réacteurs à eau pressurisée de seconde génération et produisant 76.3% de l’électricité française (chiffres RTE 2015). Parmi ces réacteurs, on distingue trois paliers correspondant à la puissance électrique fournie [1] :
• 34 réacteurs produisant une puissance électrique de 900 MWe ;
• 20 réacteurs de 1300 MWe ;
• 4 réacteurs d’une puissance de 1450 MWe.

Un réacteur EPR (European Pressurized Reactor) de 3ème génération et produisant une puissance de 1650 MWe est actuellement en construction sur le site nucléaire de Flamanville.

L’énergie nucléaire provient des réactions de fission entre un neutron thermique et un noyau d’uranium 235 qui conduisent à la production de noyaux fils et de neutrons pouvant à leur tour engendrer de nouvelles fissions : on parle de réactions en chaîne. Le combustible nucléaire, sous forme de pastilles de dioxyde d’uranium UO2 enrichi, est placé au sein d’une gaine en alliage de zirconium : l’ensemble pastilles gaine constitue le crayon combustible. Ces crayons combustibles sont rassemblés sous forme d’assemblages combustibles (un assemblage est constitué de 264 crayons combustibles) au sein du cœur du réacteur .

Table des matières

Introduction générale
1 Contexte
1.1 Les accidents graves de réacteurs nucléaires à eau légère
1.1.1 Fonctionnement et sûreté des réacteurs nucléaires
1.1.2 Propagation d’un accident grave
1.1.2.1 Phénoménologie relative à la formation d’un bain fondu
1.1.2.2 Relocalisation du corium en fond de cuve
1.2 La rétention du corium en cuve de réacteur
1.2.1 Stratégie de rétention du corium en cuve
1.2.2 Etat stationnaire du bain de corium en fond de cuve
1.2.2.1 Phénoménologie
1.2.2.2 Configurations stationnaires « enveloppes » pour l’application réacteur
1.3 Vers une modélisation transitoire du bain de corium
1.4 Transitoire de stratification d’un bain de corium oxyde-métal
1.4.1 Phénoménologie
1.4.1.1 La cinétique de stratification
1.4.1.2 Effet de la présence d’une croûte réfractaire à l’interface acier/oxyde
1.4.1.3 Influence de l’oxydation du bain par une atmosphère gazeuse
1.4.2 Modélisation de la cinétique de stratification dans les codes de calculs
2 La méthode du champ de phase : un outil numérique pour la modélisation de la cinétique de stratification
2.1 Description des critères de choix de l’outil numérique
2.2 La méthode du champ de phase
2.2.1 Description générale
2.2.2 Les modèles phénoménologiques
2.2.2.1 La fonctionnelle de Ginzburg-Landau généralisée
2.2.2.2 Modèles cinétiques
2.2.2.3 Pertinence de la méthode du champ de phase pour la modélisation « fine » du comportement d’un bain de corium
2.3 Les données d’entrée d’une modélisation par la méthode du champ de phase
2.3.1 L’information thermodynamique relative aux équilibres de phases : la méthode CALPHAD
2.3.1.1 Le modèle associé de la base NUCLEA
2.3.1.2 Le modèle du liquide ionique de la base TAF-ID
2.3.2 Les paramètres d’une modélisation par champ de phase
2.3.2.1 Les paramètres d’interface
2.3.2.2 Les paramètres cinétiques
Conclusion générale

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