Modelisation 3D de milieu urbain
Les modèles empiriques
Ces modèles sont basés sur des observations du bilan d’énergie des villes. Ils sont créés pour être statistiquement étalonnés avec des mesures de ce bilan de surface urbain. De manière générale, ces modèles utilisent relativement peu de données de forçage et demandent peu de puissance de calcul. Ces données sont principalement des données classiques de météorologie, ainsi que des données sur le type de surface et l’occupation des sols. Ils font l’hypothèse que le comportement physique des surfaces est directement lié aux flux énergétiques observés. Par suite, plus les mesures sont nombreuses, c’est-à-dire plus le jeu de données considéré est important, et plus les relations ainsi obtenues sont pertinentes. L’un des meilleurs modèles pour représenter cette catégorie aujourd’hui est sans doute le modèle SUEWS (Surface Urban Energy and Water Balance Scheme Järvi et al. 2011, Ward et al. 2016a, Järvi et al. 2014) dans son estimation du bilan d’énergie de surface urbaine. Ce modèle considère 7 types de surfaces différentes (Figure 2). Il combine plusieurs sousmodèles et méthodes pour estimer les différents termes à considérer : 𝑄 ∗ : le modèle NARP (Net All-wave Parameterization, Offerle et al. 2003b, Loridan et al. 2011) calcule l’exitance dans les courtes longueurs d’onde, ainsi que l’éclairement et l’exitance dans les grandes longueurs d’onde, en fonction du flux radiatif incident dans les courtes longueurs d’onde, de la température, de l’humidité relative et de l’émissivité des surfaces. Si ces entrées ne sont pas disponibles, SUEWS peut utiliser des mesures directes de 𝑄 ∗ . 𝑄𝐹 : deux modèles simples sont combinés, l’un utilisant la densité de population et le nombre de degrésjours de chauffage et de refroidissement (Järvi et al. 2011), et l’autre basé sur une relation linéaire par morceaux avec la température de l’air (Loridan et al., 2011). SUEWS peut aussi utiliser des valeurs précalculées par des modèles externes, comme LUCY (Allen et al. 2011, Lindberg et al. 2013) ou GreaterQF (Iamarino et al. 2011). Δ𝑄𝑆 : il est en général calculé par le modèle OHM (Objective Hysteresis Model, Grimmond et al. 1991, Grimmond & Oke 1999a, 2002) avec Δ𝑄𝑆 = 𝑓(𝑄 ∗ , 𝑎1 , 𝑎2 , 𝑎3) fonction de 𝑄 ∗ et de coefficients calibrés empiriquement. Les modèles AnOHM (Analytical Objective Hysteresis Model, Sun et al. 2017) et ESTM (Element Surface Temperature Method, Offerle et al. 2005) sont en cours d’intégration dans SUEWS. Leurs approches sont plus analytiques. 𝑄𝐸 et 𝑄𝐻 : une équation de Penman-Monteith modifiée permet de calculer le flux de chaleur latente. Le flux de chaleur sensible est estimé comme le résidu de l’énergie disponible. 𝑄𝐸 = 𝑓(𝑄 ∗ − 𝑄𝑆 , 𝑏1 , 𝑏2) fonction des flux déjà estimés et de deux paramètres empiriques. Equilibre hydrique des surfaces : il est estimé avec des données de précipitation, d’irrigation et de drainage, à partir d’approches du modèle « Urban water balance model » (Grimmond et al., 1986) et du schéma d’évaporation et d’interception urbaines de Grimmond et Oke (1991). Ce type de modèle empirique est très efficace en termes de simplicité et de vitesse de calcul. Un désavantage, cependant, est la limitation à un intervalle de conditions définies par des études empiriques initiales. Ils utilisent en effet des jeux de données finis liés aux conditions de types de surface, climatiques, de saison, etc., dans lesquelles ils ont été mesurés. 27 Figure 2 : Les 7 types d’utilisation du sol considérés par le modèle SUEWS. Paved – Pavé (imperméable) ; Buildings – Bâtiments ; Evergreen trees – Arbres persistants ; Deciduous trees – Arbres caduques ; Grass – Herbe ; Bare soil – Sol nu ; Water – Eau. 𝐸,𝐼𝐸, 𝑃 sont liés au flux hydrique. Source (Ward et al., 2016a)
Les modèles de végétation adaptés
Une approche classique pour modéliser le fonctionnement du bilan d’énergie des surfaces urbaines est d’adapter un modèle de végétation existant (Soil Vegetation Transfer Scheme – SVAT) (Masson, 2006). L’intérêt est de bénéficier des très nombreux acquis scientifiques dans ce domaine. Cependant, les zones urbaines ayant un comportement énergétique très différent des zones rurales, des modifications importantes sont nécessaires pour bien modéliser le bilan d’énergie urbain : Flux radiatifs: l’architecture spécifique des villes implique un comportement radiatif très différent de celui des zones rurales. La Figure 3 illustre cette différence à partir d’images simulées avec le modèle DART avec des maquettes schématiques de paysages urbain et agricole où l’albédo de tout matériau est 0.4. Ainsi, le paysage urbain a un albédo de 0.16, et une réflectance directionnelle entre 0.1 et 0.43, alors que le paysage agricole a un albédo de 0.19 et une réflectance directionnelle entre 0.15 et 0.26. Ce résultat ne peut être extrapolé à tout le domaine spectral, car les matériaux des paysages naturels et urbains ont des propriétés spectrales très différentes, et bien évidemment différentes de 0.4. De plus, les paysages urbains ont des albédos qui dépendent de leur architecture. Beaucoup d’études ont montré que les villes ont un albédo plus faible que les zones rurales environnantes (Arnfield, 1982; Oke, 1982, 1987). Par suite, une méthode classique d’adaptation des SVATs est de spécifier un albédo de surface relativement faible, par exemple de l’ordre de 0.15 (Taha, 1999). D’autre part, la présence de pollution et d’aérosols peut aussi affecter l’albédo urbain (Arnfield, 2003). Flux de chaleur anthropogénique : étant surtout dû aux émanations d’énergie des bâtiments, ce flux peut varier énormément selon les saisons et les jours ouvrés ou non, par exemple du fait de la différence d’utilisation du chauffage et de la climatisation. Une méthode classique pour estimer son intensité est d’inventorier les différentes consommations d’énergie. Il a été ainsi déterminé que dans le centre de Tokyo, les flux anthropogéniques peuvent atteindre 200W/m² en été et 400W/m² en hiver (Ichinose et al., 1999). Flux de stockage : il est beaucoup plus important que pour les zones rurales. Une méthode classique d’adaptation est de remplacer les surfaces végétalisées des SVATs par des surfaces imperméables (Atkinson, 2003). Cela n’étant pas toujours suffisant, une approche plus précise consiste à utiliser le modèle OHM (Arnfield et Grimmond, 1998 ; Taha, 1999). Flux de chaleur turbulents : ils diffèrent beaucoup des zones rurales, car les bâtiments perturbent les flux d’air. Une adaptation classique est d’augmenter la longueur de rugosité par rapport aux zones rurales 28 (Grimmond et al., 1998 ; Grimmond et Oke, 1999b). Elle peut être améliorée en prenant en compte la distribution spatiale des bâtiments (Bottema, 1997). a) b) c) d) e) f) Figure 3 : Simulations DART de paysages urbain (haut) et naturel (bas) schématiques. Le paysage naturel est un champ de maïs (LAI=1.2). Maquettes de paysage (a, d). Images en réflectance au nadir (b, d). Réflectance directionnelle (c, f). L’albédo de tout matériau est 0.40 : feuille=feuille=0.2 et sol=mur=0.4. L’atmosphère est définie par le modèle de gaz « USSTD » et le modèle d’aérosols « Rural 23km », pour une longueur d’onde de 0.56µm. L’angle zénithal solaire est 60°. La réflectance varie entre 0.10 et 0.43 pour le paysage urbain et entre 0.15 et 0.26 pour le champ de maïs.
Les modèles de canopée urbaine
Ce type de modèle est plus récent que les modèles et méthodes décrits précédemment. Ils sont conçus pour simuler plus précisément le bilan d’énergie des villes, en utilisant une modélisation plus réaliste de la canopée tridimensionnelle des villes. Ils se basent sur une géométrie voulue la plus proche possible de la réalité des paysages urbains, avec une représentation effective des surfaces verticales et horizontales. Au minimum, les toits, les murs et la route sont différenciés, ce qui permet de leur attribuer des propriétés énergétiques indépendantes, plutôt que moyennées sur l’ensemble de la canopée urbaine résultante (comme c’est le cas dans les modèles de végétation adaptés). Les effets radiatifs sont modélisés en prenant en compte l’exposition des différents éléments de surface, ce qui permet de résoudre explicitement les positions des ombres et les réflexions d’ordre 1. Le stockage peut lui aussi être plus précisément estimé, en utilisant les équations de conduction de la chaleur directement sur les différentes surfaces. La précision de ce terme peut être notamment augmentée en considérant plusieurs couches superposées pour former les différentes surfaces, avec chacune des propriétés thermiques différentes. Encore une fois dans ce genre de modélisation, la précision et la complexité change d’un modèle à un autre, selon les choix et les simplifications effectuées. Par exemple, la plupart de ces modèles n’incluent pas encore complètement la végétation dans le paysage urbain, tous n’utilisent pas le même nombre de couches atmosphériques interagissant avec la canopée urbaine, le transfert radiatif ne prend pas toujours en compte les réflexions multiples, etc. Quelques exemples des modèles sont introduits cidessous, représentant différentes approches de la modélisation du bilan d’énergie. 29 Le modèle TEB TEB (Town Energy Balance, Masson 2000) est un modèle de référence pour le calcul du bilan d’énergie des villes. Sa représentation géométrique est simple : l’élément urbain de base est un canyon (Figure 4) tel que défini par (Nunez and Oke, 1977) à partir d’une rue infinie entre deux murs surmontés d’un toit chacun. La ville est ainsi représentée par un réseau de canyons de longueur infinie, sans intersections, moyenné selon toutes les directions. TEB est un modèle à couche unique, ce qui signifie que la canopée urbaine est directement liée au modèle d’atmosphère au niveau des toits. L’air dans le canyon, lui, est défini par une vitesse de vent suivant un profil 1D logarithmique, une température et une humidité constante. Les différents bilans (radiatif, turbulents et de stockage) sont simulés pour chaque surface générique (toit, mur, route), chacune étant composée de plusieurs couches. Des sources additionnelles de chaleur anthropogénique sont introduites si elles sont connues, ainsi que la température interne des bâtiments. TEB a été validé dans plusieurs zones urbaines denses (Masson et al., 2002 ; Lemonsu et al., 2004). Figure 4 : Vue schématique de la configuration à couche unique du modèle TEB. Les lignes en pointillé représentent l’interaction des surfaces avec le modèle atmosphérique (Source : Masson, 2006). Une voie de complexification consiste à considérer plusieurs couches entre la canopée urbaine et l’atmosphère avec une approche dite de traînée. Cela permet de modéliser plus précisément le profil paramétrique de l’air dans le canyon urbain (vitesse du vent et température). C’est le cas par exemple du modèle de Martilli et al. (2002). Il est également possible de considérer de la végétation dans la canopée urbaine et les équations de bilan d’énergie associées. Par exemple, le modèle TEB-Veg est une adaptation récente du modèle TEB prenant en compte de la végétation basse dans le canyon urbain (TEB-Veg, Lemonsu et al., 2012). 30 Modèle SOLENE Le modèle SOLENE (Péneau, 1989) du laboratoire CERMA (CEntre de Recherche Méthodologiques d’Architecture) a initialement été conçu pour estimer l’ensoleillement extérieur ou intérieur de projets architecturaux, notamment en simulant les tracés d’ombre et les durées d’éclairage naturel au cours de la journée. Il a été étendu à la simulation de températures et de flux de chaleur de surface urbaine par des modules de calcul de transfert d’énergie, allant jusqu’à l’échelle du quartier (Groleau, 2003 ; Hénon, 2008). Il définit une représentation 3D de la scène à l’aide de maillages triangulaires dans lesquels chaque facette est caractérisée par un ou deux matériaux et leurs propriétés optiques et thermiques. Un algorithme estime par l’utilisation des facteurs de formes entre les différentes facettes les réflexions multiples par itérations successives et en déduit les flux nets radiatifs pour chaque facette sur l’ensemble du spectre électromagnétique. L’éclairement est calculé à partir d’un maillage du ciel au-dessus de la scène couplé à un modèle de luminance de ciel. Les surfaces sont composées de deux couches de matériau, caractérisées par leur épaisseur, leur capacité calorifique et leur conductivité, pour la modélisation thermique des parois pour le calcul des flux d’énergie et des températures. Modèle DART-EB Le modèle DART-EB est un module de bilan d’énergie associé au modèle de transfert radiatif DART (Discrete Anisotropic Radiative Transfer – Energy Budget, Gastellu-Etchegorry et al., 2015 ; Al Bitar, Landier, et al., 2017). Les différents flux de chaleur sont calculés similairement au modèle TEB, mais le bilan radiatif est estimé de manière beaucoup plus précise grâce au modèle de transfert radiatif 3D DART. Ce modèle est introduit par la suite. Il simule le transfert radiatif à partir de maquettes de paysage où les différents éléments sont simulés par des facettes et du matériel turbide au sein d’une matrice 3D de voxels rectangulaires. Ainsi, il permet de simuler avec précision les différentes interactions du rayonnement (e.g., diffusions multiples et émission thermique des différentes surfaces urbaines). Le modèle DART-EB est couplé à DART et y ajoute une modélisation du bilan d’énergie calculant les températures de chacune des surfaces de la scène 3D en utilisant le bilan radiatif simulé par DART, et en simulant les principaux mécanismes énergétiques (conduction, moment turbulent, flux de chaleurs, humidité du sol, etc.). Ces mécanismes sont simulés similairement aux approches du modèle TEB, mais un profil de vent vertical est considéré, ainsi qu’une variation verticale de la résistance thermodynamique des murs. Chaque surface (toits, murs, sols) est discrétisée en plusieurs couches pour la simulation des flux de chaleur de conduction.
L’apport de la télédétection
L’étude du bilan d’énergie des villes passe par l’approche dite de paramétrisation des nombreux paramètres et propriétés des éléments de la canopée urbaine. A l’échelle d’une ville, ces paramètres sont très variables spatialement et temporellement. Cela complique considérablement l’estimation et la mesure des propriétés utiles au calcul des différents termes du bilan d’énergie. Cependant, avec l’augmentation du nombre de capteurs satellites et leur amélioration, en particulier en termes de de précision radiométrique et de résolution spatiale, les scientifiques ont accès à de plus en plus d’informations utiles. Un intérêt majeur des satellites d’observation de la Terre est de fournir une observation synoptique qui couvre des villes entières, avec un rythme de revisite régulier. Ceci explique que de plus en plus d’études scientifiques les utilisent pour estimer des cartes de propriétés urbaines utiles pour modéliser les différents termes du bilan d’énergie urbain. Les mesures de télédétection sont aussi classiquement utilisées pour réaliser des classifications des surfaces selon leur type de fonctionnement, qui peuvent elles-mêmes être incorporés à des modèles comme SUEWS (décrit précédemment) dont cette distinction dans les comportements de surface fait partie des données d’entrée. De telles classifications peuvent par exemple être obtenues grâce à des méthodes de spectral unmixing (Mitraka et al. 2012, 2013). Les données satellite obtenues par des capteurs thermiques permettent également 31 d’obtenir des cartes de température de surface. Ces cartes de température sont directement utiles à des modèles comme ESTM pour estimer le flux de chaleur de stockage. La longueur de rugosité, utile notamment dans le calcul des flux turbulents pour les modèles SVAT adaptés aux paysages urbains, peut également être déterminée à l’aide de mesures de télédétection (Kato et Yamaguchi, 2005 ; Xu et al., 2008 ; Kanda et al., 2007). D’autre part, les images satellites nocturnes peuvent être utilisées pour estimer la densité de population et l’activité des villes, ce qui peut être intégré dans les estimation des flux anthropogéniques. La détermination des propriétés physiques (propriétés optiques et thermiques) à partir d’observations satellites est très difficile compte tenu de la variabilité spatiale de ces matériaux, de grande hétérogénéité 3D de l’architecture urbaine. Ainsi, les méthodes d’inversion utilisées pour dériver la surface foliaire des arbres à partir d’observations satellites ne sont en général pas applicables, du moins avec une bonne précision, car en tout point du milieu urbain, l’environnement radiatif, et donc la réflectance des surfaces végétales, dépend de l’architecture urbaine locale. En effet, les bâtiments avoisinants affectent beaucoup l’éclairement solaire direct et l’éclairement atmosphérique. Ces difficultés expliquent l’intérêt de l’approche originale conçue et implémentée durant ce travail de thèse. Cette approche permet de dériver d’images satellites la distribution spatiale des propriétés optiques et thermiques des différents matériaux urbain, qui assurent une quasi égalité entre les images satellites et les images simulées par le modèle DART, par pixel, satellite. Elle permet donc d’estimer le bilan radiatif urbain uniquement à partir d’images satellites. Par contre, l’estimation du bilan d’énergie urbain uniquement à partir de données de télédétection total n’est pas encore possible, même si des projets ambitieux comme le projet URBANFLUXES (urbanfluxes.eu) sont réalisés dans ce sens.
Table des Figures |