Modèles réduits pour l’etude des mécanismes et de la modulation de l’oscillation australe El Niño
L’Oscillation Australe El Niño
La Circulation de Walker
La principale source d’énergie que reçoit la surface terrestre vient du rayonnement solaire. Cet apport n’est pas uniformément réparti. Il est en particulier maximal à l’équateur et minimal aux pôles en raison de l’inclinaison de la Terre. Pour redistribuer l’excédent d’énergie de l’équateur vers les pôles, une immense machine thermique est en place avec une circulation de grande échelle dans l’océan et l’atmosphère. La circulation atmosphérique générale est représentée en figure 1.1. Elle redistribue environ la moitié de l’excédent d’énergie. Cette circulation est à la fois méridionale et zonale, avec une symétrie entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud. La circulation méridionale s’organise en plusieurs cellules qui communiquent de proche en proche (la cellule de Hadley, puis la cellule de Ferrel et enfin la cellule polaire). La circulation zonale est constituée de vents d’est (i.e. dirigés vers l’ouest) en surface à l’équateur et aux pôles et de vents d’ouest en altitude aux latitudes moyennes (le jet-stream). Cette géométrie est due à la force de Coriolis, qui en raison de la rotation de la Terre induit une déviation des courants de grande échelle (vers la droite dans l’hémisphère nord, et vers la gauche dans l’hémisphère sud). Cette circulation atmosphérique s’accompagne d’une importante circulation océanique de surface, dont les courants s’organisent à grande échelle en gyres qui suivent le sens de rotation de l’atmosphère. Une circulation océanique de profondeur, la circulation thermohaline, redistribue également l’excédent d’énergie, de manière beaucoup plus lente mais plus efficace en raison de la capacité calorifique de l’eau (mille fois plus importante que celle de l’air). La circulation du Pacifique équatorial (lieu du phénomène ENSO) est fortement liée à la circulation générale. Elle est marquée par une circulation atmosphérique de surface orientée vers l’ouest (les alizés), une circulation océanique de surface également orientée vers l’ouest, ainsi qu’une intense convection atmosphérique (dans la zone de convergence intertropicale). Figure 1.1 : Schéma de la circulation atmosphérique générale (http://www.educnet.education.fr) Figure 1.2 : Représentation de l’état (a) La Niña, (b) de référence, (c) El Niño du Pacifique équatorial. Sont indiqués les températures de surface de la mer (couleurs), la profondeur de la thermocline, le sens de circulation des masses d’air (flèches noires) et des masses d’eaux (flèches blanches), ainsi que les zones de convection atmosphérique (nuages) (Source : NOAA). L’état moyen du Pacifique équatorial (obtenu en moyennant les conditions dans le temps) est représenté sur la figure 1.2.b. De manière générale, les eaux chaudes de l’océan (moins denses) sont situées en dessous de la surface et au dessus des eaux froides de profondeur (plus denses). Ce volume d’eaux chaudes, ou contenu thermique, est délimité par la surface appelée thermocline qui le sépare des eaux froides de profondeur : plus la thermocline est profonde et plus la réserve d’eaux chaudes est importante. Le Pacifique équatorial contient les réserves d’eaux chaudes les plus importantes de la planète, en raison de son ensoleillement maximal. Toutefois, la circulation océanique transporte ces eaux vers l’ouest. Ce sont notamment les vents de surface (les alizés) qui entretiennent ce transport océanique par friction. En conséquence le volume d’eaux chaudes est situé à l’ouest du Pacifique équatorial, ce qui se traduit par une thermocline plus profonde et des températures de surface plus élevées. On nomme cette zone la piscine d’eaux chaudes, ou Warm Pool. A l’est, les eaux sont renouvelées par des eaux plus froides (par transport d’Ekman vertical ou méridien) et on nomme cette zone la langue d’eaux froides. Aussi, le niveau moyen de la mer est de 60 cm plus haut à l’ouest qu’à l’est, tandis qu’en subsurface la thermocline est de 100 m plus profonde. Le gradient zonal de température de l’océan entretient une circulation atmosphérique zonale en altitude dans laquelle les masses d’air s’élèvent par convection au-dessus des eaux chaudes de l’ouest puis subsident au-dessus des eaux froides de l’est. Cette circulation d’altitude se boucle avec les vents alizés en surface pour former une cellule de convection zonale, la cellule de Walker. On retrouve une cellule similaire à l’équateur dans l’océan Atlantique, et une cellule inversée dans l’océan Indien. Par ailleurs la variabilité océanique et atmosphérique de ces trois océans est en partie connectée (Illig et Dewitte, 2006; Jansen et al., 2009; Chen, 2011), mais ce sujet ne sera pas abordé ici. Cet état de référence du Pacifique équatorial peut toutefois être déstabilisé pour basculer en état El Niño (figure 1.2.c), ou de manière opposée, La Niña (figure 1.2.a). On attribue de manière générale cette déstabilisation à la rétroaction de Bjerknes, dans laquelle la cellule atmosphérique de Walker et le gradient zonal de température de l’océan s’intensifient ou s’atténuent mutuellement (Bjerknes, 1969). En supposant 18 Introduction une légère intensification de la cellule de Walker par rapport à l’état de référence, les alizés forcent un transport océanique additionnel vers l’ouest, ce qui intensifie le gradient zonal de température de l’océan. En retour, le gradient zonal de température intensifie la convection à l’ouest et la subsidence à l’est, et donc la cellule de Walker. En conséquence la perturbation initiale est amplifiée, ce qui peut conduire le système à l’état La Niña, marqué par un gradient zonal de température et une cellule de Walker plus intense. On peut suivre le même raisonnement pour une légère réduction de la cellule de Walker, ce qui peut conduire le système en état El Niño. En état El Niño, les alizés s’affaiblissent et les eaux chaudes de l’ouest envahissent le reste du bassin. Comme la zone de convection atmosphérique suit le déplacement des eaux les plus chaudes, pour des épisodes de grande ampleur où ces eaux atteignent le centre du Pacifique, il est possible d’observer une double cellule de convection atmosphérique avec des subsidences à la fois dans l’est et l’ouest. Ainsi l’état El Niño n’est pas exactement l’état opposé à La Niña. Figure 1.3 : Evolution temporelle des indices Nino3.4 SSTA et SOI (Source : NOAA). Pour caractériser l’état du Pacifique à un instant donné, on utilise des indices d’anomalies représentatifs de la grande échelle, tels que par exemple l’indice Niño 3.4-SST ou l’indice SOI qui sont montrés en figure 1.3. Pour calculer ces indices, on retire la climatologie (i.e. les moyennes saisonnières) du signal total. Un indice de temperature positif par exemple signifie un état anormalement chaud par rapport aux moyennes saisonnières. L’indice Niño 3.4-SSTA mesure la température des eaux de surface moyennée le long de l’équateur (170°W-120°W, 5°N-5°S). Il est positif pendant El Niño et négatif pendant La Niña. L’indice SOI mesure la différence de pression atmosphérique de surface entre l’est (Tahiti) et l’ouest (Darwin) du Pacifique. Cette pression augmente à l’ouest avec l’intensité de la convection et diminue à l’est avec l’intensité de la subsidence. Ainsi, l’indice SOI mesure l’intensité de la cellule atmosphérique de Walker. Les signaux sont très correlés et montrent une oscillation interannuelle entre états El Niño et La Niña, ce qui constitue le cycle ENSO. D’autres indices sont utilisés comme la position zonale de l’isotherme ~28°C en SST ou de l’isohaline ~34.8 PSU qui quantifient l’étendue des eaux chaudes de la Warm Pool vers l’est (Delcroix et al., 2000; Singh et al., 2011). L’intensité du gradient zonal de la profondeur de thermocline L’Oscillation Australe El Niño 19 est également très représentatif, mais ce n’est pas un indice usuel. Ces signaux sont très corrélés, ce qui met en évidence un lien fort entre la circulation atmosphérique et océanique de grande échelle du Pacifique équatorial.
Oscillateurs
La forte corrélation entre les différentes composantes du système du Pacifique équatorial (cf. figure 1.3) suggère que l’on peut décrire l’évolution du cycle ENSO dans un espace réduit de variables. Cet exercice est courant pour appréhender la complexité des systèmes climatiques (notamment le très grand nombre de variables et de processus mis en jeu). En suivant cette approche, les modèles réduits ont pu décrire les mécanismes essentiels du cycle ENSO. Les modèles réduits les plus simples sont des oscillateurs parfaits, linéaires, dans lequel El Niño est l’exact opposé de La Niña. Ce sont des modèles d’anomalies, dans lequel l’état moyen du Pacifique équatorial est prescrit. Ces modèles expliquent en particulier deux composantes essentielles du cycle ENSO : le développement des épisodes El Niño et la Niña ainsi que la transition entre ces épisodes. Dans ces modèles, c’est la présence d’une rétroaction positive rapide et d’une rétroaction négative lente qui permet au système d’osciller. A partir d’une perturbation initiale du système, la rétroaction positive rapide entraîne la croissance d’un événement El Niño (ou La Niña). La rétroaction négative lente vient ensuite renverser la croissance initiale en sa phase opposée, et le même mécanisme de croissance/renversement se répète ensuite ce qui résulte en une oscillation régulière. La rétroaction positive communément envisagée est la rétroaction de Bjerknes décrite précédemment, dans laquelle la cellule atmosphérique de Walker et le gradient zonal de température de l’océan s’intensifient ou s’atténuent mutuellement. La rétroaction négative lente du système est communément attribuée à l’ajustement de l’océan. Plusieurs modèles réduits existent pour expliquer cette rétroaction négative, dont les fondements sont similaires mais qui divergent par les processus mis en jeu ou encore leur représentation. L’oscillateur retardé (Suarez et Schopf, 1988 ; Battisti et Hirst, 1989) est un modèle dans lequel l’ajustement de l’océan est décrit par des composantes transitoires, les ondes équatoriales de Kelvin et Rossby. Il est représenté en figure 1.4. Les ondes équatoriales de Kelvin et Rossby ont une échelle planétaire (>1000 km, plus que la taille de la France). Elles se propagent le long de l’équateur, sont supposées non dispersives, et sont confinées en latitude (5°N-5°S) en raison de la force de Coriolis. Les ondes de Kelvin se propagent vers l’est (~3 cm/s) et les ondes de Rossby vers l’ouest (~1cm/s), ce qui correspond respectivement à 2 et 8 mois pour traverser le Pacifique équatorial. Elles se réfléchissent partiellement aux frontières que forment, à l’ouest, le réseau d’îles à faible bathymétrie de l’archipel indonésien/malaisien et du continent océanique (130°E), et, à l’est, les côtes sud-américaines (80°W). Ces ondes transportent plusieurs propriétés. On distingue les ondes dites de downwelling (i.e. approfondissement) qui réchauffent l’océan de surface en approfondissant la thermocline, des ondes dites d’upwelling (i.e. soulèvement) avec l’effet 20 Introduction opposé. Lorsque un évènement El Niño se développe, la réduction des alizés (qui se traduit dans le modèle par des anomalies positives de vent de surface) force une onde de Kelvin de downwelling et une onde de Rossby d’upwelling. L’onde de Kelvin de downwelling réchauffe l’est du Pacifique et intensifie El Niño (en participant à la rétroaction positive de Bjernkes). Plus tard, l’onde de Rossby d’upwelling (qui se propage plus lentement) se réfléchit au bord ouest du Pacifique en une onde de Kelvin d’upwelling. C’est ensuite le retour de cette onde d’upwelling qui refroidit l’est du bassin et peut renverser les conditions en La Niña. En résumé c’est la propagation des ondes qui explique le retard entre la rétroaction positive rapide (par onde de Kelvin de downwelling directement forcée) et la rétroaction négative lente (par onde de Kelvin d’upwelling réfléchie). En réalité le vent ne force pas une seule onde mais une succession d’ondes d’upwelling et de downelling (cf. figure 1.4), et c’est le résidu entre ces ondes qui fait lentement osciller le système entre El Niño et La Niña. Des variantes de l’oscillateur retardé existent, qui ont la même formulation explicite du retard dû à la propagation d’ondes mais diffèrent par les processus considérés. Dans l’oscillateur advectifréflectif (Picaut et al., 1997; Clarke et al., 2000), les ondes réchauffent l’océan de surface à travers les processus d’advection zonale plutôt que de thermocline. Dans l’oscillateur WPO (Weisberg and Wang, 1997), les réflexions d’ondes au bord ouest s’affranchissent de la frontière océanique et s’opèrent plutôt par un couplage local entre l’océan et l’atmosphère. Figure 1.4 : Schéma d’évolution du modèle d’oscillateur retardé, à l’équateur en fonction de la longitude et du temps. Sont indiqués les anomalies de SST (zones grisées), les anomalies de vents de surface (flèches en trait gras), et les faisceaux de propagation des ondes équatoriales de Kelvin et Rossby (flèches en trait fin, up pour upwelling et down pour downelling) (Source: Wang et Picaut, 2004). Le modèle de recharge/décharge se distingue des modèles précédents car il considère un ajustement à échelle de l’ensemble du bassin (Jin, 1997a). A l’équateur, les vents alizés induisent un transport zonal de surface mais aussi un transport méridien en raison de la force de Coriolis, le transport de Sverdrup. Ce transport méridien recharge ou décharge lentement le contenu thermique (i.e. la profondeur de la thermocline) de toute la bande équatoriale du Pacifique, ce qui constitue la rétroaction négative lente L’Oscillation Australe El Niño 21 permettant au système d’osciller. Les quatre phases d’évolution du modèle de recharge/décharge sont représentées sur la figure 1.5. En phase El Niño (I) l’est du Pacifique se réchauffe, par conséquent l’affaiblissement des alizés force une diminution de l’inclinaison zonale de la thermocline ainsi qu’un transport de Sverdrup vers les hautes latitudes. Ce transport décharge ensuite lentement le contenu thermique sur l’ensemble de l’équateur, ce qui se traduit par un soulèvement homogène de la thermocline (II). Ce soulèvement homogène refroidit les eaux de surface de l’Est ce qui permet au système de basculer en phase La Niña (III). Les mêmes rétroactions permettent ensuite la recharge du contenu thermique (IV) et le rebasculement en phase El Niño (I). Figure 1.5 : Schéma des quatre phases d’évolution (de I à IV) du modèle de recharge/décharge, à l’équateur dans le plan de surface (longitude et latitude) et le plan vertical (longitude et profondeur). Sont indiqués les anomalies de température de surface de la mer (SSTa), de tension de vent zonal (a , flèches en trait fin), de transport de Svedrup méridien (flèches en trait gras), ainsi que les anomalies de profondeur de la thermocline équatoriale (trait gras) par rapport à une profondeur de référence (trait pointillés) (Source : Meinen et McPhaden, 2000). Le mécanisme fondamental d’oscillation est donc le retard entre l’ajustement des anomalies de SST et celui du contenu thermique sur l’ensemble du bassin (appelé WWV pour Warm Water Volume). Notons que l’on peut caractériser l’ajustement de l’océan dans ce modèle à travers l’évolution temporelle de deux modes zonaux de la profondeur de thermocline, le mode de Tilt (ou inclinaison zonale, I et III) et le mode de WWV (ou approfondissement/soulèvement homogène, II et IV). Clarke (2010) montre en particulier que ces modes intègrent à échelle interannuelle la propagation rapide des ondes équatoriales Kelvin et Rossby. Ainsi, on peut aussi expliquer le mécanisme de recharge/décharge à travers l’évolution lente du résidu (le WWV) issu de la propagation des ondes équatoriales, tout comme dans les théories de type oscillateur retardé. Dans les observations toutefois, d’autres processus que celui de recharge/décharge contrôlent aussi l’évolution du WWV (Lengaigne et al., 2011). Une revue complète des modèles ENSO de type oscillateurs parfaits est 22 Introduction proposée par Wang et Picaut (2004). Ils proposent également un oscillateur unifié qui par modification de ses paramètres passe d’une dynamique de type oscillateur retardé à une dynamique de type recharge/décharge.
Instabilités Couplées
Les oscillateurs parfaits décrits précédemment proposent un ensemble de rétroactions positives et négatives qui permettent au système couplé du Pacifique équatorial d’osciller entre phases El Niño et La Niña, et qui sont décrites de manière heuristique. D’autres études ont systématisé l’identification des rétroactions positives et négatives du Pacifique équatorial et ont proposé leur classification, décrite en termes d’instabilités. La description des instabilités est appréhendée en général à travers l’analyse de stabilité linéaire, pour des anomalies à un état moyen prescrit. On identifie les instabilités dominantes qui sont potentiellement les plus à mêmes de se développer (e.g. pour une légère perturbation du système). Cette approche a permis d’étendre la compréhension des mécanismes ENSO à travers deux composantes essentielles : l’identification des échelles spatiales et temporelles ainsi que des processus dominants du couplage entre l’océan et l’atmosphère (Neelin et al., 1998). Figure 1.6 : Schéma de la structure spatiale des instabilités couplées du modèle de Fedorov et Philander (2001), en fonction de la longitude et de la latitude, pour (A) les processus de thermocline (B) les processus d’advection zonale. Sont indiqués les zones d’anomalies de SST et de profondeur de thermocline (couleurs), ainsi que les anomalies de tension de vent zonal (flèches). Les instabilités dominantes dans le Pacifique équatorial à échelle interannuelle sont couplées, c’està-dire résultent d’une interaction entre l’océan et l’atmosphère. On considère généralement leur propagation le long de l’équateur (en 1D), parfois en milieu infini (i.e. sans frontières). Les instabilités sont classées notamment selon le type de processus physiques qui les maintient. On distingue deux types de processus importants dans l’océan. Ce sont les processus de thermocline où l’approfondissement de la thermocline réchauffe les eaux de surface, et les processus d’advection zonale où les courants océaniques zonaux transportent de la chaleur en raison du gradient zonal moyen de Température (Hirst, 1986 ; An et Jin, 2001). Fedorov et Philander (2001) identifient deux types d’instabilités couplées associées à ces processus dans un modèle du Pacifique équatorial. Elles sont représentées sur la figure 1.6. Les processus de thermocline L’Oscillation Australe El Niño 23 induisent une rétroaction à distance entre l’est et l’ouest du bassin, similaire à celle décrite dans le modèle de recharge/décharge. En revanche, les processus d’advection zonale induisent une instabilité couplée locale, se propageant lentement vers l’ouest. Ces instabilités sont différenciables de par leur structure spatiale, leur propagation ainsi que les processus mis en jeu. D’autres processus notables ont été identifiés, tels que par exemple les interactions entre l’atmosphère et la couche de mélange océanique (Dommenget, 2010; Wang et Xie, 1998). Les instabilités sont également classées selon les temps d’ajustement des différentes composantes du système couplé. Neelin (1991) a identifié les instabilités de type slow SST mode, que l’on rencontre à la limite asymptotique où le temps d’ajustement de la SST est grand devant le temps d’ajustement de la dynamique océanique. Ainsi, les échelles temporelles d’ENSO dépendent de l’ajustement dynamique de l’océan, mais aussi de l’ajustement thermodynamique de la couche de mélange océanique. Figure 1.7: Fréquence (yr-1) et taux de croissance (yr-1) des solutions du modèle conceptuel de An et Jin (2001). Les solutions sont représentées en fonction de l’intensité du couplage océan-atmosphère (taille des symboles, de 0 à 200% de la valeur nominative), pour les processus de thermocline seuls (cercles blancs), les processus d’advection zonale seuls (carrés), et les processus combinés (cercles noirs). Les solutions oscillantes admettent un complexe conjugué, symétrique par rapport à l’axe vertical. Pour les processus combinés, on observe une solution oscillante (fréquence~0.25 yr-1) et légèrement instable (taux de croissance~0.05 yr-1) représentative du cycle ENSO. Le cycle ENSO nait en partie d’une déstabilisation de la circulation moyenne, et l’approche des instabilités couplées permet d’envisager cette relation. Dans les modèles d’ENSO linéarisés, l’état moyen prescrit agit comme une source d’énergie pour la croissance des anomalies. Il contrôle les échelles spatiales et temporelles du cycle ENSO qui est simulé (taux de croissance, période d’oscillation, structure spatiale, propagation…). Ainsi plusieurs études ont cartographié un ensemble de régimes ENSO en fonction de l’intensité des divers processus reliés à l’état moyen. La figure 1.7 montre la stabilité du modèle conceptuel
Introduction de An et Jin (2001)
L’analyse de stabilité met en évidence un mode dominant (le mode ENSO) qui est représentatif du cycle ENSO. Ce mode est représenté pour différentes valeurs du couplage entre l’océan et l’atmosphère (qui caractérise l’intensité de la réponse en vent aux anomalies de SST), ainsi que pour différentes configurations des processus thermodynamiques. Lorsque les processus sont considerés isolément, les processus de thermocline (d’advection zonale) favorisent un mode ENSO dissipé et à basse (haute) fréquence. Pour la combinaison de ces processus en revanche, le modèle simule un mode ENSO plus représentatif, légèrement instable et à basse fréquence. Bejarano et Jin (2008) suggèrent plutôt que ces deux processus conduisent à la coexistence de modes couplés indépendants : les processus de thermocline favorisent le mode de recharge/décharge d’ENSO, proche du quadri-annuel, tandis que les processus d’advection zonale favorisent un mode biannuel que l’on retrouve aussi dans les observations. La sensibilité d’ENSO à l’état moyen du Pacifique équatorial ne se limite pas aux processus de thermocline et d’advection zonale, mais aussi à un grand nombre de processus qui sont à l’œuvre dans l’océan (dont la couche de mélange océanique en particulier) et dans l’atmosphère. On peut citer entre autres la stratification océanique (e.g. structure barocline, Dewitte, 2000; Dewitte et al., 2007; 2009), l’affleurement océanique équatorial (relié à l’intensité des alizés, Fedorov et Philander, 2001), les courants de friction dans la couche d’Ekman (Neelin et al., 1994), la réponse atmosphérique aux anomalies de SST (An et Wang, 2000), ou encore les couches barrières de sel (Maes et al., 2002).
Irrégularité
Les modèles réduits expliquent la nature oscillatoire d’ENSO, toutefois des considérations théoriques supplémentaires sont nécessaires pour expliquer l’irrégularité du cycle ENSO. L’évolution temporelle des indices d’anomalies de SST et de contenu thermique (WWV) est montrée sur la figure 1.8. Les indices sont oscillants et déphasés (les anomalies de contenu thermique précèdent celles de SST), ce qui est en accord avec la théorie de recharge/décharge. Toutefois l’oscillation n’est pas régulière. Elle est marquée premièrement par l’asymétrie entre phases El Niño et La Niña, les phases El Niño étant de plus grande intensité et de plus courte durée. Par ailleurs, après une phase de décharge du contenu thermique, le cycle peut marquer une pause : la recharge est en fait de plus longue durée que la décharge. Ces caractéristiques sont illustrées plus clairement sur la figure 1.9, qui montre l’évolution du cycle dans l’espace de phase des anomalies de SST et de contenu thermique. Cette répresentation montre l’intensité ainsi que la durée de chacune des phases du cycle ENSO (qui suit principallement le sens horaire). La phase de recharge/La Niña (en haut à gauche) est plus longue et moins intense que les autres phases. Cette observation amène Kessler (2002) à considérer ENSO plutôt comme un cycle incomplet qui commencerait par un événement El Niño (en haut à droite) et se terminerait après décharge du contenu thermique en phase de recharge/La Niña.
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