Constructions de modèles
Comme nous l’avons présenté précédemment, nous souhaitons nous placer dans le contexte de la théorie des ensembles, dénominateur commun de tous les formalismes formalismes de modélisation introduits jusqu’à présent. Ainsi, nous considérons qu’un modèle est un ensemble de « faits » à propos du système concerné.
Cette simple définition confirme, d’une part, que sans sémantique, un modèle ne nous ap-prend que peu d’informations sur le système qu’il décrit. Pire encore, en supposant qu’une telle sémantique existe, que l’absence de structure des ensembles ne nous permet pas de relier entre eux les faits que le modèle contient. Le prix à payer pour unifier les formalismes semble trop élevé pour mener à bien notre objectif.
Cependant, un modèle n’est pas n’importe quel ensemble, mais un ensemble issu d’un for-malisme bien particulier et qui présente donc les reliquats d’une structure préexistante. Ainsi, tous les modèles correspondant à un formalisme donné exhiberont une forme commune qui peut être utilisée pour classer les modèles. Dans cette section, nous présentons à travers quel-ques exemples comment enrichir cette vue ensembliste de la modélisation pour retrouver des classes de modèles fréquemment rencontrées.
Dans la suite, nous utiliserons la notation pour désigner un modèle. Afin de distinguer la façon de construire l’ensemble des faits d’un modèle du modèle lui-même, nous noterons l’ensemble des faits .
Modèle à observables
Dans ce premier exemple, nous considérons que les faits que contiennent les modèles re-présentent les états du système, c’est-à-dire une description des différentes configurations que peut prendre le système. Chaque état correspond à une observation du système et peut être dé-crit comme un tuple de valeurs, appelées observables. En d’autres termes, le modèle correspond à un ensemble de mesures relevées sur le système étudié.
Chaque observable produit une mesure dans un ensemble de valeurs, appelé le domaine de l’observable. Un modèle définit donc une loi d’exclusion : il distingue parmi l’ensemble de toutes les mesures théoriques possibles la classe des comportements propres au système et exclut celles qui ne le sont pas. Cette approche a été développée par J.C. Willems [46]. L’en-semble des mesures possibles, donné par le produit cartésien des domaines des observables est parfois appelé universum dont un modèle est le sous-ensemble. Cela nous amène à la définition formelle suivante.
Définition 2.3.1 (Modèle à observables). Soit { } ∈ , une famille d’ensembles. Un modèle à observables est un modèle caractérisé par un couple Σ , où
Σ = × × × … est la signature (encore appelé universum) du modèle ; ⊆ Σ est le comportement du modèle .
Les projections ∶ Σ → sont appelées les observables du modèle et est le domaine de l’observable . Les éléments de sont appelés les états du modèle.
Un modèle à observables pourra être plus ou moins précis dans sa description du système, en présentant plus ou moins d’observables, en reposant sur des domaines plus ou moins fins, ou en dénombrant plus ou moins d’états. Cette précision sera formalisée dans la section suivante par un mécanisme d’abstraction entre modèle.
Exemple 2.3.1. Nous reprenons ici la modélisation des états de l’eau de [46]. Suivant la tem-pérature, l’eau existe dans différents états solide, liquide ou gazeux. Le modèle eau suivant décrit les états que prend l’eau pour différentes températures, données ici en degrés Celsius (∘C), à une pression constante de 1013,25 hPa:
Modèle expérimental
Voir un modèle comme un ensemble ne dit rien sur la façon de construire ce modèle. Une première manière de spécifier un ensemble est d’en donner une définition par extension. On parlera de modèle expérimental lorsque l’ensemble est défini par extension à partir des résultats d’expériences.
Exemple 2.3.2. Une méthode directe de construction d’un modèle à observables consiste à noter les valeurs mesurées de chaque observable sur une feuille, comme dans le cas d’un jour-nal de bord « maritime », où les observations relevées se limitent à celles qui sont estimées pertinentes pour la navigation (voir Fig. 2.10), et à effectuer autant de relevés que possible. On peut considérer qu’à chaque ligne un état du système est décrit et que les valeurs relevées défi-nissent une relation (au sens mathématique) entre les observables. Les colonnes correspondent aux observables ( dans la définition ci-dessus) et toutes les valeurs qu’une observable peut prendre forment son domaine ( ci-dessus). Par exemple, WINDS Direction ∈ {N, NE, E, SE, S, SW, W, NW}
Modèle équationnel
Distinguer un ensemble dans un sur-ensemble de possibilités consiste à donner un prédicat décidant de l’appartenance d’un élément à l’ensemble. Une façon de spécifier un tel prédicat est décrit dans [46] par la donnée d’une équation mettant en relation deux quantités. Ce principe amène à la notion suivante de modèle équationnel.
Définition 2.3.2 (Modèle équationnel). Un modèle équationnel est caractérisé par un couple de fonctions , de même signature → pour deux ensembles et donnés, tel que Les classes de modèles que nous avons données jusqu’ici correspondent à la distinction d’un sous-ensemble admissible de faits à partir d’un univers plus grand. Avec cette nouvelle classe, nous commençons à nous intéresser aux modèles dont l’ensemble associé peut être enrichi d’une structure mathématique particulière provenant d’une propriété qu’il exhibe. Dans ce premier exemple, on s’intéresse aux modèles à observables dont le comportement est entière-ment déterminé par une partie de ses observables, que nous appellerons observables privilégiées.
Définition 2.3.3 (Modèle à observables privilégiées). Soient = Σ , un modèle avec observables (i.e., Σ = ∏ ∈ ) et ⊂ un sous-ensemble d’observables. Le modèle est à observables privilégiées si, et seulement si,
Cette définition n’est pas sans rappeler quelques concepts propres au domaine des bases de données relationnelles, introduites par E. F. Codd dans [9]. Un modèle à observables est très proche d’une relation, au sens de l’algèbre relationnelle, avec sa signature Σ pour schéma et son comportement comme extension, l’ensemble des tuples de la relation. Les observables privilégiées sont elles à rapprocher de la notion de clé primaire (ou plus précisément de super-clé) : dans un modèle à observables privilégiées, chaque ∈ ∏ ∈ identifie de manière unique un tuple de s’il existe. Plus précisément, c’est à la notion de dépendance fonctionnelle que correspondent les observables privilégiées. En effet, l’équation de la définition décrit l’existence d’une fonction codée au sein de .
Exemple 2.3.4. En reprenant le modèle gaz de l’exemple 2.3.3, il est possible de remarquer que l’équation des gaz parfaits permet de déterminer sans ambiguïté n’importe laquelle de ces observables à partir des deux autres. Nous pouvons donc montrer qu’à partir de gaz, trois modèles à observables privilégiées reposant sur les trois dépendances fonctionnelles peuvent êtres construits : (Volume, Pression → Température), (Température, Pression → Volume) et (Température, Volume → Pression).
Modèle dynamique
L’étude des systèmes dynamiques porte sur l’évolution des états du système au cours du temps. Usuellement, les aspects temporels sont modélisés par l’action du temps sur l’état du système. Cette action repose sur la nature monoïdale [16] de l’ensemble utilisé pour représenter le temps. Un monoïde est un triplet = , 0 , + (noté ici additivement) tel que est un ensemble arbitraire, + est une loi de composition interne binaire associative ( , , ∈ , + ( + ) = ( + )+ ) et munie d’un élément neutre 0 (∀ ∈ , 0 + = + 0 = ). Dans le cadre de la modélisation du temps, les éléments de correspondent à des durées et la loi de composition fournit un moyen de cumuler ces durées.
