Modèles de pilotage internes du développement durable

Analyse et enseignements du cas

Au-delà des spécificités organisationnelles et culturelles propres à l’entreprise, celui- ci nous semble offrir une série d’enseignements plus généraux (A) et permet de formuler une série de propositions concernant les modèles de pilotage internes du développement durable. Nous structurerons ces enseignements autour de quatre points : dans un premier temps, nous soulignerons les limites d’un modèle du volontarisme managérial fondé uniquement sur le soutien du directeur général de l’entreprise (B). Dans ce cadre, nous soulignerons la fragilité d’une position d’interface sans connaissances propres (C). Nous aborderons ensuite les limites d’une approche générique de l’implémentation, fondée sur des démarches de progrès incrémental (D). Enfin nous montrerons l’enjeu, pour les acteurs en charge du pilotage et de l’animation d’une démarche de développement durable, d’agir sur les représentations internes des acteurs de l’entreprise (E). Il s’agit, plutôt que de « mettre en œuvre » et de déployer la démarche, de se doter d’une capacité dialogique avec l’ensemble des acteurs de l’entreprise, permettant de concevoir de manière progressive le sens de la démarche.  sa portée et le degré de généralité des enseignements que l’on peut en tirer d’un tel cas (David, 2005). En premier lieu, nous avons souligné certaines spécificités organisationnelles et culturelles de l’entreprise, notamment l’existence d’une culture favorable et la profusion interne de pratiques associées au développement durable. Paradoxalement, nous avons vu que ces facteurs n’ont pas nécessairement facilité la structuration d’une démarche originale et différenciée en matière de développement durable, ni l’émergence d’un nouvel acteur en charge du déploiement de la démarche. Un second élément de contingence est relatif à la taille de l’organisation (plus de 100 000 employés) et la structure organisationnelle de l’entreprise (qui peut être assimilée, suivant la typologie classique de Mintzberg (1982), comme une bureaucratie mécaniste à tendance multi-divisionnelle).

Du fait de ces spécificités, notre cas permet de compléter les perspectives ouvertes par les travaux d’Ackerman et Bauer dans les années 1970 sur l’opérationnalisation des démarches de RSE dans les entreprises (Ackerman, 1973, 1975; Ackerman et Bauer, 1976). Comme nous l’avons souligné, ces auteurs ont étudié, dans une perspective proche de la notre, la manière dont les entreprises américaines structuraient des démarches dans les domaines environnementaux et sociaux, et animaient un processus de changement organisationnel interne180. Leur propos était centré sur des structures organisationnelles de type multi-divisionnelles (Mintzberg, 1982), caractéristiques de grands groupes diversifiés disposant d’un fort niveau d’autonomie de décision vis-à-vis de la direction générale181. Le cas d’EnergyCo s’inscrit dans un contexte social de maturité accrue des pratiques environnementales et sociales des entreprises. De même, il met en jeu une structure organisationnelle distincte (plutôt de type bureaucratie mécaniste). De ce fait, il nous semble constituer un terrain intéressant de prolongement et de mise à l’épreuve de ces travaux initiaux (cf. encadré 5.2).

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Plus profondément, il nous semble cependant que la valeur du cas d’EnergyCo ne tient pas à son degré plus ou moins fort de représentativité. La « représentativité » d’une étude de cas unique peut en effet faire l’objet de débats difficiles à trancher concernant les variables de contingence à prendre en compte pour juger de cette représentativité. Dans des contextes émergents dans lesquels une étude de cas unique est sollicitée, ces variables font bien souvent défaut ou apparaissent inadaptées ex-ante. Evaluée sur des critères de représentativité, l’étude de cas apparaît par nature moins performante et aboutie qu’une étude statistique effectuée sur un échantillon plus large. Un tel critère apparaît finalement comme peu pertinent, voire absurde pour juger de la richesse d’une étude de cas unique (Weick, 2007). A titre d’exemple, Siggelkow évoque une situation fictive dans laquelle un chercheur découvre un cochon doué de parole, rédige un article sur ce phénomène extraordinaire mais voit son article refusé sous le prétexte que son étude n’apparaît pas statistiquement représentative (Ramachandran, 1998; Siggelkow, 2007) ! Cet exemple vise à souligner qu’une méthodologie de type « cas unique » trouve une grande partie de sa valeur dans la capacité d’une situation précise et contingente à mettre à jour de nouveaux phénomènes, à produire un nouveau regard et à renouveler des modes de compréhension et d’analyse. Ainsi, il apparaît qu’une étude ce cas unique n’a pas seulement pour objectif de produire des connaissances et des propositions s’inscrivant dans une logique hypothético déductive182. La portée et la généralité d’un cas unique se trouve plutôt dans sa capacité à soulever de nouvelles questions générales, à requalifier des perspectives existantes, à dégager une nouvelle classe de questions, etc. Notre cas nous amène à aborder une question qui nous semble de portée générale : celle des relations entre la formalisation d’une approche stratégique du développement durable, les choix de pilotage et les dynamiques organisationnelles associées à la démarche. C’est sur ces questions que nous allons développer notre analyse. Au-delà des spécificités de la structure et de la culture organisationnelle, les enseignements du cas nous semblent d’une portée générale, dans la mesure où il permet de discuter l’ensemble des approches de pilotage génériques développées par les entreprises et les consultants majoritairement basées sur l’idée classique d’une dissociation entre définition et mise en œuvre de la stratégie. Nous verrons que, par extension, le cas d’EnergyCo invite à repenser de manière plus générale la question du pilotage interne du développement durable (cf. partie III de ce chapitre).

 

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