MODELE ORGANIQUE DE L’EXPERIENCE D’A. N. WHITEHEAD POUR OBSERVER LES SITUATIONS D’ACTIVITES

 MODELE ORGANIQUE DE L’EXPERIENCE D’A. N. WHITEHEAD POUR OBSERVER LES SITUATIONS D’ACTIVITES

Cadre de la philosophie du processus et modèle organique de l’expérience de Whitehead L’objectif notre travail n’est pas de faire une thèse sur la philosophie du processus dans laquelle s’inscrivent les travaux développés par A.N. Whitehead (appelés ci-dessus et ci-après modèle organique de l’expérience). Cependant, sa présentation, même synthétique, comme nous la proposons ici, est une nécessité. C’est l’objectif de cette première section. Cette théorie est l’une des plus importantes dans le courant de l’expérience n°2. En effet, A. N. Whitehead au cours de ses travaux a développé une métaphysique complète et originale dans le cadre de la philosophie du processus et est une des sources de l’expérience n°2.

Dans cette métaphysique, l’expérience n’est plus considérée à partir d’une structure sujet-prédicat (comme cela est le cas pour l’expérience n°1 et comme nous l’avons vu tout au long du chapitre 1) mais comme une réalisation (un procès) permanente de recréation de la réalité (la nature). La nature (le réel, ou encore, l’expérience) est un tissu de relations entre les événements qui se produisent. Tout est relations. Elle nous offre un cadre idéal pour proposer un modèle innovant de réponse à notre problématique de recherche car l’expérience n’est plus prise sous l’angle cognitif des sujets ou comme transcendante, mais comme un enchevêtrement d’événements qui forment un tout qui inclus toutes les entités hétérogènes en action.

Il est reconnu par toutes les études sur Whitehead (Hélal, 1979) que son œuvre philosophique (car Whitehead était aussi un mathématicien reconnu ayant travaillé aux Principia Mathematica avec Bertrand Russell) est une construction qui va de ses ouvrages des années 1910-1920: La théorie relationniste de l’espace (Whitehead, 1916), An Enquiry into the Principle of Natural Knowledge (Whitehead, 1919a) et Concept Of Nature (Whitehead, 1919b), jusqu’à ceux des années 1930 avec : Adventures of Ideas (Whitehead, 1933) et Modes of Thought (Whitehead, 1938). Entre les deux, il écrira son opus magnum, Process and Reality (Whitehead, 1929). Ce dernier contient sa métaphysique complète. Whitehead est ainsi associé à l’origine de la philosophie du processus.

Il a été notamment influencé par W. James et H. Bergson, ses contemporains, tout autant que Hume et Locke, ses  prédécesseurs, sur la compréhension de l’expérience comme une réalisation, et cela en très forte opposition avec l’expérience transcendantale de Kant. Contemporain d’Einstein (qui n’était pas métaphysicien), dont il accepta totalement les théories physiques, il s’est aussi positionné en critique de la métaphysique associée à la physique classique (Descartes, Newton) qui découle de la métaphysique Aristotélicienne (avec laquelle il est donc aussi très critique).

Il s’est ainsi appuyé sur la vision de la nature de Spinoza, la vision relativiste de l’espace de Leibniz, les découvertes d’Einstein, ou encore la théorie des Idées de Platon, pour développer sa métaphysique. Aujourd’hui, nous retrouvons ses travaux (entre autres) chez Bruno Latour, qui l’a mobilisé pour théoriser l’acteur-réseau (que nous avons déjà vu) et chez Gilles Deleuze et Félix Guattari dans leur création de la théorie du rhizome. Nous avons synthétisé toutes ces influences dans la figure 67. Elle montre que le modèle organique de l’expérience d’A. N. Whitehead est à la fois l’un des plus complexes à retracer mais aussi l’un des plus difficile à comprendre pleinement. 

Schème conceptuel du modèle organique de l’expérience nécessaire pour l’observation de situation d’activités

Événements (occasions actuelles)

Qu’est-ce qu’un événement dans le modèle organique de l’expérience ? Le concept d’événement dans le modèle organique de l’expérience de Whitehead est central. Il en va de même dans toute philosophie du processus, comme l’affirme (Deleuze, 1987) qui déclame : « mais il fallut attendre longtemps, longtemps, pour que le cri, cette espèce de cri retentisse à nouveau : tout est événement ! ». L’événement est l’entité centrale dans les premières œuvres philosophiques de Whitehead (événements qui deviendront les entités actuelles dans Procès et Réalité). Alors nous pouvons nous poser la question : qu’est-ce qu’un événement ?

Tout d’abord, nous venons de le voir, la nature est un passage des événements : « Je ne connais le temps que comme une abstraction tirée du passage des événements. Le fait fondamental qui rend cette abstraction possible, est l’écoulement (passing) de la nature, son développement, son avance créatrice » (Whitehead, 1919b, p.71). Chez Whitehead, l’événement prend un sens alors tout à fait particulier et constitue le tissu de l’expérience (donc de la nature), tout est événement. « Nous sommes habitués à associer à un événement une certaine qualité mélodramatique. Si un homme est écrasé, c’est là un événement compris dans certaines limites spatio-temporelles.

Nous ne sommes pas habitués  à considérer la persistance de la Grande Pyramide à travers une journée définie, comme un événement. Mais le fait naturel qu’est la Grande Pyramide à travers une journée, signifiant par-là la nature entière en elle, est un événement de même caractère que l’accident de l’homme, signifiant par-là la nature entière en elle avec des limitations telles qu’y sont inclus l’homme et l’automobile durant la période où ils furent en contact. » (Whitehead, 1919b, p115-116). Par conséquent chaque événement est une occurrence et, dans Concept de Nature, l’événement est principalement « ce qui arrive » (la Grande Pyramide est là, c’est ce qui arrive) c’est une structure relationnelle de multiples autres événements qui est produite : « Considérez ces trois énoncés : 

« Hier un homme a été écrasé sur le quai de Chelsea » ; b) « L’Obélisque de Cléopâtre est sur le quai de Charing Cross »; et c) « Il y a des lignes sombres dans le spectre solaire ». Le premier énoncé relatif à l’accident survenu à l’homme touche à ce que nous pouvons appeler une occurrence, une chose qui arrive et un événement (occurence, happening, event). J’utiliserai le terme événement qui est le plus court. » […] » (Whitehead, 1919b, p.210) Chaque passage de la nature (chaque événement, chaque occurrence) est un tout des relations entre événements.

C’est cette structure relationnelle qui est ressentie dans sa totalité (c’est-à-dire non découpée) par un événement-percevant (c’est ensuite, qu’il est divisé), qui est un point de référence dans le complexe : « Cet événement n’est pas l’esprit, c’est-à-dire celui qui perçoit. Il est ce dans la nature à partir de quoi l’esprit perçoit. […] L’événement percevant est pour parler grossièrement la vie corporelle de l’esprit incarné. » (Whitehead, 1919b, p.150). L’événement-percevant divise alors ce tout en parties en regard des relations que les parties de l’événement entretiennent mutuellement dans la structure relationnelle de l’événement total :

« Il y a la discrimination du fait en parties, et la discrimination d’une partie du fait en tant qu’elle manifeste des relations à des entités qui ne sont pas des parties du fait, bien qu’elles en soient des ingrédients. […] Ainsi le fait ultime pour la conscience sensible est un événement. Cet événement total est divisé par nous en événements partiels. […] J’utiliserai le terme partie dans le sens arbitrairement limité d’un événement qui est une partie du fait total dévoilé dans la conscience » (Whitehead, 1919b, p.52). Chaque événement devient un complexe de relations entre des parties d’événements (elles-mêmes sont des événements). Donc un événement est composé de relations entre parties d’événements, et l’événement n’est alors pas une simple somme de ses parties. Il forme une unité grâce à la relation d’extension qui est considérée comme transitive :

« Les parties d’un événement sont l’ensemble des événements (à l’exclusion de lui-même) que recouvre l’événement donné. Si a est l’événement donné, et si a recouvre b, et b recouvre c, alors a recouvre c, et b et c sont tous deux des parties de a » (Whitehead, 1919a, p.100). Cela est possible car les événements (donc les parties d’événements) ont la capacité de s’étendre mutuellement les uns sur les autres. Ainsi, ils s’enchâssent mutuellement pour former des totalités : « Les événements sont les relata de la relation homogène fondamentale d’« extension ».

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