Modèle d’interaction sociale pour des agents
conversationnels animés
Interaction cognitivement et socialement située
Les interactions sociales dépendent fortement du contexte de la situation (Cosnier 1993; Cosnier 1996). Pour cet auteur, l’interaction de face-à-face se réalise par la synergie de deux modalités : l’une discursive par laquelle est acheminé l’aspect signifiant de l’énoncé et l’autre pragmatique qui assure la maintenance et la régulation de l’interaction. La voie pragmatique est également appelée processus de co-pilotage. La communication interactive se caractérise par des couplages cognitifs entre acteurs. De ces couplages émerge la signification de ce qui est communiqué. Ces couplages sont dits socialement et émotionnellement situés (Garfinkel 1967; Goffman 1974; Sperber & Wilson 1989; Cahour 2006). Le fait que l’interaction sociale soit « située » signifie que toutes les activités sont fortement couplées au contexte social et culturel. Donc, toutes les fois que le contexte pragmatique change, la signification de l’expression peut changer, parce que chaque contexte réfère à différents objets de l’environnement (Lecerf 1985). Dans le même ordre d’idée, Suchman affirme que l’organisation de l’action est une propriété émergente des interactions entre les acteurs et entre les acteurs et leur environnement d’action. L’approche de la cognition située reprend les principes de l’action située et les applique à la cognition sociale et culturelle. La cognition située s’intéresse aux comportements humains en situation écologique ; c’est-à-dire qui ont lieu dans des situations naturelles.
Rôle du contexte
Le contexte contribue à donner un sens aux interactions. Il existe de nombreuses définitions du contexte, mais de façon générale, il est accepté qu’il sert à préciser une interprétation des actes de communication (Garfinkel & Sacks 1970; Sperber & Wilson 1989; Giunchiglia & Bouquet 1997; Bouquet, Ghidini et al. 2003). Giunchiglia et Bouquet (1997) définissent le contexte comme une collection d’éléments : (paramètres, prétentions, présuppositions…) qui permet de se créer une représentation de la situation. Ces auteurs proposent deux dimensions au contexte : une dimension «pragmatique» quand ce dernier réfère à un élément de la structure du monde et une dimension «cognitive» quand il réfère à un élément de la représentation de l’individu. Alors qu’en sociologie, la notion de contexte réfère souvent aux éléments invariants d’une situation qui servent de cadre aux évènements, l’approche ethnométhodologique (Garfinkel & Sacks 1970; Lecerf 1994; Keel 1999; Poor 2000) associe au contexte les éléments déterminant de la sémantique de la situation. Selon cette approche, le contexte est construit par les acteurs au cours de leurs actions (un environnement localement et socialement organisé d’actions concertées). Pour Sperber et Wilson le contexte est une construction psychologique comportant des faits et des hypothèses que l’auditeur fait sur le monde et qui lui permettent d’interpréter un énoncé (Sperber & Wilson 1989). Cosnier identifie quatre grands éléments au contexte : le cadre, les participants, la relation et la plateforme communicative commune. Pour lui, toute étude d’interaction concrète doit s’appuyer sur une analyse contextuelle ; un énoncé ne peut être interprété que par une mise en rapport avec son contexte (Cosnier 1993). La première composante du contexte, le « cadre », est caractérisée par l’aménagement spatial et temporel (la proxémique) du site, par les scripts (rôles sociaux prévus dans le cadre qui s’organisent selon les règles de cadrage) et par sa finalité. La seconde composante réfère aux « participants » de l’interaction avec ses caractères personnels (sexe, âge, etc.) et sociaux (marqueurs de fonction et hiérarchie) ainsi que le type de relation qui sous-tend sa rencontre. La composante « relation » définit la finalité de ce que l’on cherche à obtenir par l’interaction, par exemple une « relation de service ». La composante « plateforme communicative commune » est constituée par les savoirs partagés; c’est elle qui fournit les présupposés nécessaires à une bonne finalisation de l’interaction. Notre approche du contexte reste proche de celle de l’ethnométhodologie. Nous ferons en sorte qu’il soit construit par les acteurs au cours de leurs interactions. Notre contexte est défini pour trois objets : « l’émetteur », « le récepteur » et « l’objectif de l’interaction » (tableau 2). Ces composantes influencent la structure de la représentation d’un individu du monde.
Contexte sociale : la culture et le rôle de l’identité sociale
La culture est typiquement représentée comme un système complexe de symboles, de significations, de catégories, de modèles, ou de schémas qui structurent l’expérience et l’action (Lyon, 1995). Les acteurs ne réagissent pas simplement à un événement, ils réagissent également aux variations du contexte social dans lequel l’événement se produit. Nous considérons que le contexte social est influencé par la culture ; il est définie par les normes et les règles de la culture (par exemple la prise en compte du genre et le statut). Dans ce cadre, Kerbrat-Orecchioni affirme que les comportements communicatifs sont influencés par la façon selon laquelle différentes cultures conçoivent et expriment la relation interpersonnelle (Kerbrat-Orecchioni 1998). Elle l’envisage cette relation sous trois angles : 1) Une relation « horizontale », caractérisée par des marqueurs proxémiques et kinésiques ainsi que par les modalités d’adressage (tu / vous, appellatifs, etc.) 2) Une relation « verticale », liée au facteur de pouvoir (par exemple, le respect de la hiérarchie). 3) L’axe du consensus / conflit : les cultures se différentient par leur adhésion plus ou moins forte aux notions de consensus ou de conflit. L’identité sociale est un des facteurs qui influence la relation interpersonnelle. Elle est définie par Tajfel comme « la force avec laquelle un individu se réfère à des normes sociales pour se positionner dans la société » (Tajfel 1972). Quand cette force est importante, les situations sont évaluées au regard de leurs conséquences pour le groupe ; il y a alors alignement consensuel. Garcia-Prieto Sol Chevalier (2003) affirme que la prépondérance de l’identité sociale est un des mécanismes psychologiques par lequel les aspects sociaux et culturels du contexte peuvent systématiquement influencer l’évaluation cognitive et l’émotion d’un individu. Nous reprendrons ce concept pour modéliser la gestion des tours de parole et mettre à jour l’état émotionnel et le niveau d’empathie de nos personnages (tableau 2)
1 Introduction |