Visions de l’État, des parents et de la société Checkland (1981) considère la vision dans la MSS comme la finalité poursuivie en fonction des acteurs.
La vision, selon lui, est assimilable à la notion de « weltanschauung» ou vision du monde. Elle est ce vers quoi tendent les acteurs dans un système. La vision est symbolisée par le « W » dans le CATWOE décrit dans les lignes précédentes. Elle renvoie au caractère téléologique ou finaliste de la MSS. Le Sénégal vise la scolarisation primaire universelle. Il entend ainsi assurer à tout enfant sénégalais une éducation de qualité permettant un développement économique et social dans un contexte d’équité et d’égalité des chances en dehors de toute discrimination (Drame et al., 2017; République du Sénégal, 2013a). La vision de l’État se trouve dans la politique éducative (Daffé et Diagne, 2009; République du Sénégal, 2005). Elle apparaît également dans le curriculum de l’éducation qui la matérialise et l’opérationnalise (Depover et Noël, 2005). La vision qui sous-tend l’acte éducatif n’est pas toujours la même pour tous les acteurs dans un perspective systémique (BergvallKarebom et al., 2003; Filion, 2012; Forget, 2013). La vision des pouvoirs publics sénégalais en matière d’éducation ne se réduit pas immédiatement à celle des familles ancrées dans les cultures traditionnelles. Les parents, à leur tour, souhaitent que les enfants connaissent les valeurs fondamentales de la société sénégalaise et y adhèrent.
L’école doit permettre aux enfants de se connaître et de connaître la culture sénégalaise. Les parents pensent que l’école formelle de langue française est le lieu pour acquérir des compétences favorisant une insertion sur le plan professionnel (Charlier, 2004; Gueye et Sene, 2009) et non pour les forger à s’enraciner aux valeurs sénégalaises articulées à la religion. Par conséquent, l’éducation dispensée à l’école française doit être complétée par une éducation culturelle, éthique et religieuse qui est l’apanage des écoles coraniques (Charlier, 2004; Chehami, 2016). En plus de cela, l’enfant est sensibilisé au sein de la famille aux valeurs culturelles et traditionnelles au coeur desquelles se trouve la solidarité familiale (Dimé, 2007; A. B. Diop, 2012; Drame et Kamphoff, 2014). La famille est considérée comme une valeur cardinale de la société sénégalaise. Elle en est le ciment qui sert de socle aussi à la solidarité. La vision des parents et de la société, dans un sens plus large, à propos de l’éducation des personnes en SR apparaît souvent équivoque ou difficile à saisir dans les discours et les actes quotidiens. Certains parents pensent que l’enfant en SR n’est pas comme les autres enfants. Les parents développant de tels points de vue ont tendance à exclure leur enfant en SR de toute scolarisation, ce qui a comme effet de le confiner du coup en marge de la société avec, comme principale activité, la mendicité (ACPF, 20 II a; 1. Diop, 2012a; Drame et al., 2017).
Détenteurs d’enjeux dans le système éducatif
Dans le système éducatif formel sénégalais, le principal décideur et détenteur d’enjeux demeure le gouvernement, avec l’ai de de son ministère de l’Éducation qui organise et pilote l’enseignement du préscolaire au secondaire en passant par l’enseignement primaire et l’enseignement moyen. Les services déconcentrés du Ministère qui sont installés dans les différentes localités du pays représentent l’État et exercent le pouvoir de décision en matière d’éducation. Le Sénégal est divisé en 14 régions subdivisées en départements. Ces derniers sont composés de villes et de communes urbaines ou rurales (ANSD, 2014; République du Sénégal, 2013a, 2013b). Le système éducatif est administré dans chaque région par une inspection d’académie [lA]. Les inspections de l’éducation et de la formation [IEF] , relevant des lA s’occupent de l’enseignement préscolaire, primaire et des collèges d’enseignement moyen [CEM] dans les départements et les communes du pays (Tendeng, Diompy et Villemonteix, 2015). Les lycées, en charge du cycle terminal de l’enseignement secondaire, sont sous la tutelle des lA. Les lA et les IEF prennent aussi en charge l’alphabétisation des adultes (République du Sénégal, 2013a).
Les autres détenteurs de pouvoir dans le secteur de l’éducation sont les parents, les enseignants et les élèves, sans oublier les organismes communautaires de base intervenant dans le secteur de l’éducation. Les parents ont la possibilité d’inscrire ou non leurs enfants à l’école et ce, même si le gouvernement se donne l’obligation de veiller à l’instruction et à l’éducation de chaque enfant (Charlier, 2004; Chehami, 2016; Huet-Gueye et De Leonardis, 2007). Ces chercheurs mentionnent également la possibilité de choix des parents de retirer à tout moment les enfants de l’école formelle ou non. Ils décident de l’éducation que l’enfant doit suivre. Certains parents se donnent le choix entre l’école formelle ou les écoles arabes ou coraniques (Chehami, 2016). D’autres parents vont choisir d’orienter l’enfant à l’apprentissage d’un métier, le dispensant de passer obligatoirement par l’école. Les chefs religieux et ceux coutumiers exercent certes un pouvoir sur l’éducation à travers les parents qui sont leurs adeptes. Les opinions et les décisions des marabouts ou chefs religieux ayant une emprise sur la société à tous les niveaux sont soutenues par les personnes qui leur font allégeance et qui peuvent être des parents d’élèves. Les enseignants et les élèves, à travers leurs syndicats et les associations, sont capables d’exercer aussi une contrainte sur l’ école.
Environnement politique et légal
Le système éducatif sénégalais est contenu dans la Loi d’orientation de l ‘éducation nationale de 1991 modifiée en 2004. Cette loi s’exprime à travers la Lettre sectorielle de politique éducative (République du Sénégal, 2005) en y traçant les lignes directrices de l’éducation et ce, tant pour le système formel que pour l’éducation informelle. Ce dispositif s’est enrichi avec la Loi N°9/201 0 portant sur l’orientation sociale relative à la promotion et à la protection des personnes handicapées [LOS] de l’an 2010. Le Sénégal, à travers les textes mentionnés précédemment, affirme le droit d’accès des enfants en SH à l’éducation à l’instar des autres enfants. Dans cette foulée, il semble préconiser une éducation spéciale ouverte, dans la mesure du possible, vers une éducation inclusive en passant par des classes d’intégration installées dans les écoles ordinaires (République du Sénégal, 2013a). Le Sénégal a ratifié la Convention de l ‘Organisation des Nations unies [ONU] relative aux droits des personnes handicapées [CDPH] et a signé le protocole additionnel de cette dernière (ONU, 2006). La CDPH oblige les États à améliorer de façon notable les conditions des personnes en situation de handicap en leur assurant, entre autres, une éducation de qualité dans une approche inclusive (Cuenot, 2015; Schulze, 2010; Wehmeyer et Patton, 2017). Le Sénégal, en adhérant à cette Convention, s’oblige juridiquement à changer les conditions de vie des personnes en SH, d’autant que les termes de la CD PH ont force de loi suprême selon sa Constitution (Diouf, 2008).
Dans cette même lancée, la LOS favorise l’accès et le maintien des enfants et des jeunes en SH à l’éducation en réaffirmant le droit à l’éducation de tous les enfants du pays. Elle prévoit l’ octroi d’allocations d’études facilitant la poursuite des études secondaires aux ÉSH dans un contexte inclusif (Drame et al., 2017). La LOS appuie l’éducation et la formation des personnes en SH dans tout le cursus scolaire et universitaire par la multiplication des écoles spécialisées, l’accessibilité aux écoles ordinaires, le soutien financier et matériel. Le soutien matériel et financier se faisant, entre autres, à travers des aménagements physiques des écoles, un soutien financier aux études, une meilleure formation des enseignants ainsi que par la mise en place de commissions départementales d’éducation spéciale. À partir des années 1990, le Sénégal a mis en place une politique de décentralisation consistant à développer une gouvernance locale participative et de proximité. Aussi, l’État et le pouvoir central ont transféré la gestion de certaines compétences comme l’éducation, la culture et la santé aux collectivités locales. C’est ainsi que l’enseignement préscolaire et primaire sont du ressort des communes, tandis que les lycées et collèges relèvent du département.
En plus du ministère de l’Éducation et de ses services déconcentrés, les lA et les IEF détiennent un pouvoir de contrôle, de supervision et de gestion des établissements scolaires et de leurs personnels (Tendeng et al., 2015; Voulgre et Villemonteix, 2016). Sur le plan des écoles, le pouvoir de décision est entre les mains des administrateurs scolaires, notamment des directeurs d’écoles préscolaires et primaires, des principaux de CEM et des proviseurs de lycées qui, par ailleurs, sont sous la responsabilité du ministère de l’Éducation par le truchement des IEF et des lA (Cissé, 2009). Les administrateurs scolaires sont également à la tête des conseils de gestion des établissements institués dans les écoles depuis les années 2000. Ces conseils sont des instances de concertation dont la fonction principale est la promotion de l’école en la reliant au milieu social. En leur sein, ils comptent les élèves, les parents, les enseignants et les élus locaux. Le conseil de gestion de chaque établissement élabore et met en oeuvre un projet d’établissement en fonction de ses préoccupations et du contexte social, physique et économique. Le projet peut recevoir le soutien du gouvernement central ou des collectivités locales qui l’abritent, telles que la commune ou le département. Le comité de gestion d’établissement peut aussi profiter de l’assistance de partenaires internationaux, surtout dans le cadre d’accords de coopération décentralisée, parfois initiés par les collectivités à la base. Le conseil de gestion des établissements semble un cadre idoine pour encourager la participation parentale aux activités scolaires ou parascolaires. Il peut favoriser aussi l’amorce de collaboration entre l’école, la famille ou la communauté (Cissé, 2009).
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