près une période durant laquelle la mécanisation et l’automatisation ont fortement progressé en agriculture, les technologies relevant du numérique pour une agriculture intensive en information s’imposent désormais pour contribuer à l’efficience des procédés de production agricole. Ces dernières décennies ont vu l’apparition de nombreuses technologies innovantes, notamment de nouveaux capteurs, de nouveaux robots, des nouvelles techniques de localisation, de télédétection, etc. L’usage de ces technologies se répand. Le défi actuel de l’agriculture, dans un contexte de croissance de la population mondiale, est d’améliorer la qualité et la quantité des produits tout en respectant l’homme et l’environnement.
Une des voies pour y parvenir est d’améliorer la précision des opérations agricoles. En effet, l’agronomie a jusqu’à des périodes récentes privilégié le principe d’homogénéité des parcelles pour deux raisons. La première est que la plupart des parcelles étaient, en Europe, de taille suffisamment réduite pour justifier l’uniformité des interventions sur chaque parcelle ou ensemble de parcelles. La deuxième tenait à l’absence des moyens techniques et économiques nécessaires pour qualifier la variabilité intra-parcellaire. Les exploitations agricoles sont cependant aujourd’hui de plus en plus grandes. Cela a conduit, et conduit encore, à une réorganisation et un regroupement des parcelles, notamment pour les grandes cultures. Rester dans une approche conventionnelle de la gestion des cultures peut alors conduire à mettre en oeuvre des opérations culturales trop uniformes [41].
La variabilité intra-parcellaire est à l’origine du développement de l’agriculture de précision. Dans les années 80, aux USA, des cartes avec des analyses tous les 100 mètres sur la fertilité des sols, ont mis en évidence la nécessité d’une modulation des apports d’engrais suivant les zones [127]. La gestion de la variabilité intraparcellaire pour la fertilisation a été une des premières applications de la notion d’agriculture de précision pour les céréales [41]. La notion d’agriculture de précision s’applique également à d’autres pratiques culturales. Par exemple, dans le cas de la pulvérisation phytosanitaire, l’uniformité de traitement peut provoquer un sous ou un sur-traitement des parcelles, ou de zones des parcelles, avec pour résultat une efficience moins grande des produits épandus [115]. Or de nombreux produits phytosanitaires présentent des effets négatifs pour l’environnement et la santé humaine [101]. Une meilleure efficience des traitements, favorisant ainsi une réduction des quantités épandues, pourrait contribuer à la réduction de ces risques. Si on considère la culture de la vigne, à l’échelle du couvert végétal, pulvériser les parcelles de façon uniforme peut conduire à des doses de produit rapportées à la surface de feuillage très variables [48], avec les surdosages et sous-dosages associés, et également générer des pertes hors du végétal cible.
Le développement et le déploiement des technologies de capteurs (localisation GPS, capteurs fixes ou embarqués, télédétection, imagerie aérienne et embarquée sur drones,…) incitent les agronomes et les informaticiens à concevoir des méthodes et des outils pour évaluer avec précision la variabilité intra-parcellaire. Par exemple, l’outil Farmstar [76] permet de moduler la dose d’azote à partir d’images satellites. Il y a une tendance à utiliser de plus en plus les approches d’agriculture de précision. Ceci se justifie, d’une part, par l’ effort technologique qui continue à se développer et d’autre part par le travail de sensibilisation auprès des agriculteurs.
Par ailleurs, l’agriculture mécanisée qui était largement déployée dans les pays industrialisés dans les années 70 nécessite la disponibilité d’une main d’oeuvre qualifiée pour effectuer des tâches et traitements localisés, répétitifs et pénibles. Ces travaux agricoles sont complexes, mais aussi dangereux (exposition à des produits phytosanitaires, accidents de travail comme résultant, par exemple, du renversement d’une machine agricole). Ils nécessitent donc un coût important en terme de temps, d’effort physique, de présence sur le terrain.
C’est pourquoi l’objectif de la robotique agricole est de réduire la pénibilité des travaux agricoles et d’augmenter la productivité. La robotique agricole a connu un « âge d’or » dans la première moitié des années 80 [65]. En France, les premiers pas des robots en agriculture ont été menés par le Cemagref (Antony , Montpellier et Rennes) et les laboratoires bordelais LARFRA et ENSAM. A l’époque, plusieurs robots ont été conçus, et certains concepts ont été un vrai succès. Ainsi, la moitié des exploitations laitières sont aujourd’hui équipées d’un robot de traite des vaches. D’autres robots n’ont pas abouti à des systèmes commercialisés. Cela a été le cas, par exemple, pour le robot cueilleur de pommes Magali [18]. Dans les années 90, les raisons de ces difficultés tenaient à des limitations technologiques, à leurs coûts de mise en oeuvre, et aux cadences productives nécessaires pour en justifier l’emploi. Aujourd’hui, les technologies sont en évolution constante, les capteurs sont de plus en plus précis et de moins en moins chers, les ordinateurs sont de plus en plus performants. Ceci conduit à rendre l’automatisation et la robotisation de plus en plus attractive.
Vers la vérification des procédés agricoles
Le procédé cultural conduit, avec un certain nombre d’opérations culturales tout au long de la saison (préparation du sol, semis, fertilisations, pulvérisations pour la protection de la culture, récolte, etc), et selon les conditions (de climat, de sol, etc), à des effets pouvant être appréciés au plan quantitatif (quantité récoltée, intrants consommés, etc). L’opération culturale elle-même peut-être vue comme un procédé, ayant une dynamique temporelle et spatiale, et pouvant impliquer un ou plusieurs équipements agricoles. En agriculture de précision comme en robotique agricole, on s’attend à ce que l’opération culturale respecte une préconisation spatialisée et soit conforme à des exigences :
• Précision spatiale de l’action effectuée,
• Précision quantitative de l’action effectuée (dose de fertilisant ou de produit phytosanitaire par exemple),
• Durée du chantier de mise en œuvre de l’opération culturale compatible avec des contraintes météorologiques, économiques et sociales,
• Consommation d’intrants et d’énergie conforme aux prévisions,
• etc .
A la conception d’un équipement, ou lors de la définition d’une nouvelle méthode culturale utilisant des équipements existants, il est donc pertinent de vérifier que le procédé mis en œuvre respecte ces exigences. Avant les tests sur le terrain, cette vérification pourrait être initiée en recourant à la simulation du procédé. Mais celle-ci a cependant l’inconvénient de n’être pas exhaustive : tous les comportements potentiels ne sont pas obligatoirement évalués. Pour cette raison, le respect des exigences n’est pas garanti. Dans cette thèse, nous proposons de mettre en œuvre des techniques de modélisation formelle des systèmes d’opération agricole et d’évaluation formelle des exigences, pour aider à la conception d’opérations culturales et des équipements qui réalisent ces opérations. Les techniques qui sont proposées ici relèvent de la vérification formelle par model-checking. D’après la littérature, ces techniques et outils ont peu été employés pour des questions agricoles et environnementales ([57], [86]). Nous proposons donc ici des applications originales du model-checking à l’agriculture de précision et à la robotique.
Le principe général du model-checking est d’évaluer l’ensemble des comportements possibles vis-à-vis du respect d’exigences traduites sous forme de propriétés. Ces exigences portent notamment sur la capacité d’un engin agricole à évoluer et agir avec la précision souhaitée dans l’environnement agricole. Or, l’environnement agricole est très complexe. En fonction de la tâche agricole ou de déplacement de l’engin agricole, et du milieu traversé, la manière de représenter l’environnement agricole peut être différente. Pour des raisons de simplification, nous distinguerons deux types d’environnements :
• Environnement ouvert où l’engin agricole peut se déplacer librement et changer à tout moment de direction. L’environnement et les déplacements peuvent alors être modélisés, par exemple, par une grille à deux dimensions (« 2D ») représentant les positions de l’engin.
• Environnement structuré pour une culture plantée en rangs. Le mouvement de l’engin doit alors impérativement longer ces alignements.
– Lorsque seul le déplacement dans l’inter-rang est considéré, l’engin avance dans une seule direction, la représentation spatiale est mono-dimensionnelle (« 1D »). La granularité de la représentation dans cet espace peut être assez fine, suivant la précision souhaitée dans l’action agricole et les contraintes sur les systèmes physiques.
– Lorsque l’engin se déplace dans une parcelle formée par des rangs, outre le parcours dans l’inter-rang, on considère le choix des rangs à parcourir et leur succession, ainsi que le sens choisi pour parcourir le rang. On parlera ici de « 1D+ ».
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