Mise en place d’une grille d’analyse inspirée de la théorie des jeux
De l’acteur au joueur
Lorsqu’on l’on assimile le conflit à un objet, il est aisé de comprendre que ce sont les acteurs qui le façonnent et l’influencent ; et ceci a lieu à tous les niveaux du conflit, de sa naissance à l’émergence de solutions, complètes ou partielles, et enfin à l’application concrète de ces solutions. Le jeu est une situation où des individus sont conduits à faire des choix parmi un certain nombre d’actions possibles et dans un cadre défini à l’avance. Le résultat de ces choix conditionne alors l’issue du jeu. Une question qui peut se poser est celle de la multitude des joueurs. En effet, difficile lorsqu’on est face à un conflit opposant autorités locales, associations, commerçants, Etat… de déterminer le nombre exact de joueurs. Dans ces cas, regrouper les joueurs présentant les mêmes intérêts permet de simplifier le jeu. Par exemple, regrouper en un même joueur les opposants à un projet, de l’autre les acteurs favorables. Attention, on ne peut toutefois simplifier de façon manichéenne un conflit, d’autres facteurs interviennent comme la variabilité du comportement, ou encore la légitimité des acteurs, concepts que nous aborderons par la suite. Un exemple de ce type de conflit, opposant les riverains à l’appareil étatique, est le conflit de type NIMBY, qui a depuis une vingtaine d’années une tendance à se développer et à apparaitre chaque fois qu’un projet se justifiant de l’intérêt général s’apprête à démarrer. Dans le cas notamment du TGV-Ouest (LGV entre Paris et Rennes), les acteurs « favorables » au projet : Etat, SNCF, régions Pays-de-Loire et Bretagne, ont vu monter une opposition ferme de la population riveraine organisée en association. Ce type de conflit présente une opposition entre plusieurs parties, présentant une diversité de natures et de structures, et ce même au sein de la population : opposition NIMBY due à un sentiment de propriété sur l’espace, ou rejet dû à une impression que l’usager est lésé dans sa dignité de citoyen. 21 Ce conflit entre riverains et groupement d’intérêt peut ainsi être modélisé par un jeu à deux participants. B] Gouvernance et légitimité : Se pose dans l’analyse du conflit la question de la légitimité. Qui a droit à la parole ? Qui peut prétendre être un acteur à part entière ? Cette légitimité est à deux niveaux : • Légitimité du groupe face aux autres groupes, • Légitimité du représentant du groupe face au groupe lui-même. Cette légitimité peut se construire avant ou pendant le conflit . Pour illustrer ce concept, nous prendrons l’exemple du conflit autour de l’installation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, conflit qui s’éternise depuis les années 60 entre l’Etat, la ville de Nantes et la population emmenée par les associations environnementales. Très récemment un nouvel acteur est entré en jeu, la Commission de dialogue 2012 concédée par le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault et chargée de faciliter les échanges entre les différents partis. L’arrivée de celle-ci dans le jeu a été contestée, on lui reprochait un manque de légitimité. Pourquoi ? Car les associations reprochent que les nominations des experts composant cette commission ont été faites sans concertation. Par conséquent, ce nouveau joueur n’a pas de légitimité face aux autres groupes que celui dont il est issu. C] Le jeu du « Dilemme du Prisonnier » : Le plus célèbre exemple de jeu, repris à maintes reprises dans cette théorie et permettant d’illustrer de nombreux cas de figure, est celui dit « Le Dilemme du Prisonnier », il est ainsi organisé : Deux personnes sont accusées d’un crime pouvant être passible d’une peine d’emprisonnement de 10 ans. La justice n’ayant pas suffisamment de preuves contre eux, elle les interroge séparément. Leurs options sont : • Si les deux se dénoncent mutuellement, chacun purgera une peine de 5 ans de prison. • Si les deux se taisent, ils ne feront que de 2 années de prison. • Si l’un dénonce l’autre qui lui-même se tait, alors le délateur sera libre, l’autre sera puni de 10 ans d’emprisonnement. Il s’agit d’un jeu à information complète mais imparfaite, car posant un choix simultanément, il est impossible de savoir ce que l’autre a décidé. C’est également un jeu à somme nulle, car il n’y a pas clairement de gagnant ou de perdant. En revanche, il est intéressant de remarquer que ce jeu est une situation de conflit, puisque les deux prisonniers ont des intérêts qui divergent. Lors de l’étude des conflits d’usages dans des espaces multifonctionnels la structure d’information est relativement complète, de plus c’est un jeu plus ou moins répété, car on s’inscrit dans une perspective temporelle. Dans cette situation, il n’y a pas d’asymétries informationnelles fortes, puisque chacun connait les motivations et les intérêts de l’autre. Ce n’est pas réellement un dilemme du prisonnier puisque que c’est un jeu séquentiel. N.B. : Au cœur de la théorie des jeux se trouve le concept de la rationalité ; il faut toujours, concernant le comportement d’un joueur (ici d’un acteur), préciser si son comportement est parfaitement rationnel ou non. Par définition, un comportement rationnel en théorie des jeux est la recherche du gain maximal.