Financement et distribution gratuite
Sur le plan économique, bien que la majorité des patientes françaises bénéficient d’une couverture complémentaire, force est de constater que le vaccin anti-HPV est onéreux, avec un coût par dose, frais de dispensation inclus, de 136.70 euros. En termes d’avance de frais, il convient d’ajouter le coût d’au moins trois consultations médicales (pour l’information, la prescription et les injections) au coût des 2 ou 3 doses.
Il apparaît que la majorité des pays étudiés, contrairement à la France, ont introduit le facteur « gratuité » ou plutôt « offre vaccinale » dans leur politique vaccinale anti-HPV.
Une étude française de 2012 visant à déterminer les facteurs déterminants de vaccination et de dépistage du cancer du col avait mis en évidence une association entre couverture vaccinale et indicateurs de niveau socio-économique. Les jeunes filles ne disposant pas d’une couverture complémentaire maladie privée et appartenant aux ménages aux plus bas revenus, avaient une probabilité bien moins importante d’être vaccinées en schéma complet, comparées aux jeunes filles appartenant aux ménages disposant d’une couverture complémentaire maladie privée et ayant les revenus les plus élevés. [51]
Une étude réalisée en Australie s’est intéressée au comportement des Hommes homosexuels âgés de 16 à 20 ans et a montré que 80 % (IC 95% : 72,2-87,2) n’achèteraient pas le vaccin du fait de son coût ; en revanche si le vaccin était offert gratuitement, 95 % (IC95% : 80-90) seraient prêts à révéler leur homosexualité à un professionnel de santé pour obtenir le vaccin. [52]
Ces résultats suggèrent que le facteur économique, c’est-à-dire le fait de pouvoir accéder ou non au vaccin selon les moyens dont on dispose, pourrait être un déterminant important de la couverture vaccinale. Cette hypothèse est plausible pour la vaccination anti-HPV, la plus chère parmi celles recommandées dans le calendrier vaccinal français.
L’efficacité de la réduction des coûts directs pour la vaccination en vue d’une augmentation de la participation est bien établie, particulièrement pour les personnes en privation financière, et s’inscrit dans la logique et le succès des programmes vaccinaux financés par l ‘État. [53]
Recommandations
Vaccination des garçons
Bien que la vaccination anti-HPV ait été initialement indiquée pour la prévention du cancer du col utérin et ciblée uniquement sur les filles, de plus en plus de pays recommandent et financent actuellement des programmes de vaccination anti-HPV mixtes comme c’est le cas en Autriche depuis 2008, aux États-Unis depuis 2011, au Canada depuis 2012, en Australie depuis 2013, et bientôt au Royaume-Uni ou en Norvège.
En France, bien qu’elle soit actuellement discutée, la vaccination des garçons n’est pas encore identifiée comme une priorité, seule une recommandation visant à vacciner les homosexuels hommes, plus exposés aux HPV que les hétérosexuels, a été émise en 2016. Le HCSP rappelle dans son rapport du 19 février 2016 que : « l’augmentation de la couverture vaccinale des jeunes filles reste la priorité pour la prévention des maladies liées à l’infection par les HPV et qu’une couverture vaccinale élevée chez les femmes procure une protection indirecte chez les hommes hétérosexuels ». [20]
Les raisons pour lesquelles les programmes destinés aux hommes n’ont pas été plus universellement appliqués se trouvent dans leur rapport coût-efficacité moins favorable que les programmes féminins au prix actuel des vaccins, la morbidité moindre des infections par HPV chez les hommes et leur protection indirecte par les programmes de vaccination féminins.
Pourtant, impliquer autant les garçons que les filles dans le programme de vaccination présente plusieurs avantages surtout dans les régions à faible couverture vaccinale
− Il a été démontré que pour une CV féminine inférieure à 40%, le rapport coût-efficacité de la vaccination masculine si elle est appliquée de manière efficace devient favorable. En effet, l’inclusion de la vaccination masculine systématique contribue à majorer l’efficacité d’un programme en majorant la couverture vaccinale générale de la population et en induisant une protection indirecte des filles non vaccinées par immunité de groupe.
− Dans une méta-analyse récente, Drolet M et al. estiment que le risque de survenue de condylome chez les garçons âgés de moins de 20 ans est réduit de 44 % (10 % ; 53 %) lorsque la couverture vaccinale des filles est supérieure à 50 %, cette immunité de groupe a été observée en Australie, Nouvelle-Zélande et Danemark. À l’inverse lorsque cette couverture est inférieure à 50 % chez les filles âgées de 20 ans, l’argument de protection indirecte des garçons par la vaccination féminine n’est pas vérifié comme en Allemagne, Suède et USA. [54]
− Un programme de vaccination mixte pourrait dans un second temps « désexualiser » le vaccin et en augmenter l’acceptabilité par les jeunes filles et par la même augmenter la couverture vaccinale féminine.
L’Australie étant à l’avant-garde des programmes de vaccination contre le HPV destinés aux femmes et maintenant aux hommes, le pays est bien placé pour fournir des données utiles concernant la dynamique de protection de la population. Les modélisations de programmes à forte couverture de population (90%) réalisées en 2008 ont montré que l’ajout de la vaccination masculine permet un contrôle plus rapide de l’infection à HPV, et suggère qu’elle est nécessaire pour parvenir à son éradication.
[55] La dernière modélisation en termes d’impact au long cours de la vaccination anti-HPV montre que la perspective d’élimination du HPV serait retardée de 2 ans si les garçons n’étaient pas inclus dans leur programme. [44]
Dans les conclusions du rapport du HCSP, en défaveur de cette mixité, on peut lire que « les études médico-économiques conduites dans les pays développés montrent que l’extension de la vaccination aux hommes hétérosexuels est très rarement une stratégie coût-efficace lorsque la prévention des maladies pour lesquelles l’AMM des vaccins a été octroyée est considérée ». [20] Et pourtant, une revue critique de littérature conduite dans divers pays en 2013 a isolé plusieurs facteurs optimisant le rapport « coût-efficacité » de la vaccination des hommes tels que la prise en compte de l’ensemble des pathologies liées à l’infection par les HPV, une couverture vaccinale suboptimale ainsi qu’un prix de vaccin inférieur. [56]
Les études incluant des pathologies hors AMM comme les pathologies ORL secondaires aux HPV concluent ainsi à la rentabilité de la vaccination masculine. La couverture vaccinale des femmes joue également un rôle majeur puisque l’impact de la vaccination des hommes en dépend et lorsque la couverture vaccinale chez les femmes est au-dessous de 40 % comme c’est le cas en France, la vaccination des hommes se révèle attractive. [57] Enfin, la vaccination mixte est susceptible d’être coût-efficace lorsque le prix unitaire du vaccin est diminué [58], mais seule une distribution de masse, par exemple scolaire, peut permettre aux États de négocier le prix d’achat des vaccins aux laboratoires.
Les programmes de vaccination mixtes « filles-garçons » semblent donc être la stratégie la plus efficace pour rompre la chaîne d’infection et la circulation du virus au sein de la population et constitueraient un élément stratégique important pour réduire l’incidence des cancers et maladies liés à l’HPV.
Avancer l’âge d’initiation
Le vaccin GARDASIL 9® (Sanofi Pasteur MSD) a obtenu depuis 2015 une autorisation européenne de mise sur le marché selon un schéma à 3 puis 2 doses chez les filles et les garçons à partir de l’âge de 9 ans, qui est également l’âge d’initiation recommandé par l’OMS. [59]
Cette recommandation, appliquée dans la majorité des pays, dont l’Australie, n’est pas la norme pour la France, qui après avoir initialement recommandé le vaccin pour les jeunes filles de 14 ans, a avancé l’âge-cible à 11 ans. L’initiation à 9 ans est seulement réservée aux jeunes patientes et patients immunodéprimés, greffés ou en attente de transplantation.
Pourtant, vacciner plus précocement semble présenter plusieurs avantages et pourrait contribuer au succès d’autres programmes vaccinaux. Plusieurs études ont montré que le jeune âge à l’initiation était associé à des taux globaux d’achèvement du schéma vaccinal anti-HPV plus élevés. [60]
Cibler une population plus jeune permet d’obtenir une réponse immunitaire plus forte selon plusieurs études tout en protégeant efficacement tout au long de l’adolescence jusqu’au début de l’âge adulte, avec un taux d’anticorps en plateau durant huit à neuf ans. [61]
Sur le plan de l’exposition au HPV, il est démontré que le vaccin est d’autant plus efficace que les jeunes filles n’ont pas encore eu de rapports sexuels, ce qui est le cas de minimum 97% des moins de 11 ans et 95% des moins de 12 ans selon diverses études conduites en Europe, [62] et pourtant, le pourcentage restant doit être pris en considération car il correspond à une population très exposée à ce virus. En effet, les rapports sexuels précoces sont associés à plusieurs cofacteurs connus pour l’infection à HPV (partenaires multiples, tabac). [63]
Par ailleurs, il apparait qu’à l’âge de 15 ans, jusqu’à 23,4% des jeunes filles ont eu des rapports sexuels, ce qui souligne l’importance d’achever le schéma vaccinal le plus précocement possible. L’initiation précoce de la vaccination offre également et logiquement plus de temps à la réalisation et à la réflexion parentale pour l’achèvement de la série vaccinale, et donc des taux de couverture plus élevés. Plusieurs études ont ainsi montré que le jeune âge était associé à des taux globaux d’achèvement du vaccin anti-HPV plus élevés [64] avec des facteurs de réussite cependant encore peu connus. Pour exemple, les pédiatres pourraient jouer un rôle plus important qu’ils ne le font actuellement en France, car ces spécialistes à l’aise avec les recommandations vaccinales et les procédures de suivi, semblent plus à même que d’autres de compléter les séries vaccinales comme cela a été constaté dans l’étude de Rubin et ses collègues en 2012. [65]