Mise en phase de lasers à fibre

Le domaine des sources laser de puissance est un secteur en plein essor. Les applications industrielles concernent la soudure ou le marquage laser, les applications en biomédical… Le secteur de la défense est lui aussi demandeur de lasers de forte puissance : désignation de cible, contre-mesures optiques ou armes lasers. En outre, l’équipe de recherche de l’Onera au sein de laquelle ce travail de thèse a été mené s’intéresse à la conception et aux applications des systèmes Lidar. Les applications visées concernent principalement la mesure de la vitesse du vent, la détection des turbulences et la spectroscopie de l’atmosphère. Les applications du secteur de la défense et les systèmes Lidar ont pour point commun, outre le besoin toujours accru de puissance, de nécessiter une forte cohérence spatiale et temporelle des faisceaux émis. De plus, le faisceau laser, en sortie de système, se propage en espace libre et est soumis à la turbulence atmosphérique.

Les technologies à fibre, développées initialement pour le secteur des télécommunications optiques, permettent aujourd’hui la conception de lasers de puissance avec une bonne qualité spatiale et spectrale. Les avantages sont une grande efficacité de conversion, compte tenu de la longueur du milieu actif, une gestion de la thermique facilitée tout en étant robuste aux perturbations extérieures et une relative compacité des dispositifs mis en œuvre. Cependant, l’énergie extractible d’un laser à fibre de forte luminance est limitée par les propriétés du matériau et le seuil d’apparition des effets non linéaires. Le développement, ces dernières années, de fibres LMA (Large Mode Area) et des fibres microstructurées a permis de repousser ces limites et de délivrer des puissances accrues. Mais cela se fait parfois au détriment de la qualité spatiale du faisceau qui n’est alors plus monomode. En 2009, la société IPG Phtonics a réalisé un laser à fibre dopée ytterbium monomode de 10 kW. Des études ont montré que cette valeur s’approche de la limite en puissance pouvant être atteinte par des lasers à fibre monomodes. Cette puissance maximale est réduite dans le cas d’une émission à 1,5 µm, longueur d’onde d’intérêt par exemple pour les systèmes Lidar.

Afin d’obtenir une puissance accrue, il est possible d’associer plusieurs sources lasers pour de surpasser les limites individuelles : c’est la combinaison de faisceaux. Elle seule permet d’envisager d’atteindre de très fortes puissances, avec des sources lasers à fibre monomodes ou faiblement multimodes. L’amplification est répartie sur N lasers que l’on somme ensuite en espace libre. Ainsi, chacune des voies laser reste en deçà des limitations intrinsèques des lasers à fibre tout en conservant, autant que possible, pour le faisceau combiné les propriétés spectrales et/ou spatiales d’un émetteur individuel.

Il existe deux familles de techniques de combinaison de faisceaux. La première, appelée combinaison incohérente, consiste à superposer spatialement des faisceaux non cohérents entre eux. La technique incohérente la plus largement employée est la combinaison spectrale qui consiste à superposer sur un élément dispersif des faisceaux élémentaires décalés spectralement. La seconde technique de combinaison repose sur la mise en phase, passive ou active, des différents émetteurs : c’est la combinaison cohérente. Parmi cette famille, on trouve les techniques dites de contrôle actif de la phase qui, en plus de maintenir les voies en phase, permettent d’imprimer une phase particulière à chacun des émetteurs et ainsi déformer le front d’onde combiné. Cela ouvre de nouveaux potentiels applicatifs tels que le pointage fin ou la compensation de la turbulence atmosphérique. Cette dernière semble être particulièrement intéressante pour les applications de défense ou Lidar puisque l’on cherche à déposer sur une « cible » un maximum d’énergie sans que la turbulence atmosphérique ne perturbe le faisceau.

Un laser à fibre est un laser dont le milieu amplificateur est une fibre optique. Elle est constituée d’une gaine diélectrique d’indice de réfraction ng et d’un cœur d’indice nc. Si nc>ng alors la lumière peut, sous certaines conditions, être guidée par réflexion totale interne à l’interface cœur-gaine. Pour que le milieu soit effectivement amplificateur, le cœur est dopé avec des ions terres rares tels que l’erbium (Er3+), l’ytterbium (Yb3+), le néodyme (Nd3+), le thulium (Tm3+)… Le choix de l’élément terre  rare ainsi que la longueur d’onde de pompage déterminent la longueur d’onde émise par le laser. On s’intéressera par la suite plus particulièrement à l’émission aux environs de 1 µm (dopage Yb) et à celle à 1,5 µm (dopage Er ou codopage Er Yb). La concentration des dopants, la longueur de la fibre et la puissance de pompage déterminent le gain laser. Dans le cas d’un oscillateur laser, la fibre est placée dans une cavité fermée, aux extrémités, par des miroirs. Dans le cas des lasers à fibre, il est commun d’utiliser des réseaux de Bragg photo-inscrits dans la fibre en guise de miroir. Il est également possible de réaliser des amplificateurs à fibre, comprenant uniquement la fibre dopée. Ils sont généralement mis en place dans des architectures MOPA (Master Oscillator Power Amplifier), comprenant un injecteur ou oscillateur maître de faible puissance, qui peut être soit un laser à fibre soit un laser à semi-conducteur, dont le signal est ensuite amplifié par un ou plusieurs amplificateurs à fibre en série. L’avantage de cette structure est de répartir le gain désiré sur plusieurs étages d’amplification tout en gardant les qualités de l’injecteur, notamment la finesse spectrale initiale.

Les lasers à fibre présentent de nombreux avantages :
➤ Une grande efficacité grâce à la longueur de la fibre (au minimum 1 m) et au confinement de la lumière dans le cœur, permettant d’obtenir un gain de plusieurs dizaines de dB. De plus le pompage par diode laser est généralement possible. L’efficacité optique est élevée, pouvant même atteindre les 80% dans le cas des lasers Yb. Il en résulte un excellent rendement électrique optique.
➤ Grâce à la longueur du milieu actif, la puissance de pompe est absorbée et la chaleur dissipée progressivement dans la fibre. Ainsi la surface d’échange thermique est importante. Pour un même ion dopant, la gestion de la thermique est ainsi plus facile que dans un milieu massif.
➤ Il est possible de souder les extrémités des fibres afin de réaliser des systèmes laser « tout fibré », sous réserve de disposer de composants fibrés, par exemple de miroirs, coupleurs, isolateurs, etc. Cela évite tout désalignement et permet de gagner en compacité et en robustesse vis-à-vis des perturbations extérieures.
➤ Une très bonne qualité de faisceau potentielle : le faisceau est confiné dans le cœur qui opère un filtrage spatial.

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La conception de lasers à fibre de puissance requière de fortes puissances de pompage et un bon couplage entre la fibre et la pompe. Or, l’augmentation de la puissance de pompe s’accompagne généralement de l’augmentation de son étendue géométrique. Elle est alors incompatible avec un couplage sans perte dans une fibre monomode, c’est-à-dire de faible rayon de cœur et de faible ouverture numérique (V faible). Les diodes de pompe monomodes existent mais sont limitées à quelques centaines de milliwatts de puissance ce qui est très insuffisant pour atteindre les puissances demandées. C’est pourquoi des fibres double gaine ont été introduites [2]. Le cœur d’indice nc est entouré d’une première gaine d’indice ng1 elle-même entourée d’une deuxième gaine d’indice ng2. Les indices doivent remplir la condition ng2<ng1<nc. Enfin, la seconde gaine est entourée d’un polymère d’indice supérieur à ng2 afin d’assurer la protection de l’ensemble. Le cœur assure la propagation du signal et son filtrage spatial tandis que la première gaine est un guide multimode, de plus grande étendue géométrique, pour la pompe. Ainsi on peut coupler dans la fibre dopée le faisceau de pompe d’une diode laser fortement multimode mais de forte puissance.

Un autre paramètre important est la manière dont s’effectue le pompage de la fibre. Il s’agit de coupler une forte puissance avec le minimum de perte et idéalement dans un système tout fibré afin d’être le plus robuste possible. On citera à titre d’exemple, la technique du « bundle » ou coupleur multibrins . Elle résulte de la fusion de plusieurs fibres de pompe multimodes avec une fibre monomode double gaine. Il s’agit d’un composant très efficace pour coupler la pompe dans une fibre double gaine tout en assurant des pertes minimales et ainsi une puissance utile maximale. Il est alors possible de coupler plusieurs kilowatts de puissance de pompe, tout en ayant une architecture « tout fibré ».

L’introduction des fibres double gaine et des techniques de pompage efficaces ont permis d’atteindre des puissances de l’ordre d’une centaine de Watt. La montée en puissance est alors limitée par l’apparition d’effets indésirables : les dommages du matériau et les effets non linéaires.

Bien que la gestion de la thermique soit facilitée dans les lasers à fibre, elle reste néanmoins source de problèmes à forte puissance. L’élévation de la température peut être suffisante pour induire des effets thermo-optiques et endommager la gaine polymère [3]. On estime la limite à quelques kW pour les fibres dopées Yb et quelques centaines de W pour les fibres co-dopées Er-Yb.

A forte puissance, il y a un risque d’endommager la fibre notamment à l’interface silice-air. On estime à 1 GW/cm² le seuil de dommage. Celui-ci peut être grandement diminué en fonction de l’état de surface de la fibre et du type de dopage utilisé. L’ajout d’un embout d’extrémité ou « end cap » permet de diminuer la densité spatiale de puissance au niveau de la facette. Le faisceau a alors commencé à diverger. Son diamètre au niveau de l’interface air-silice est plus important et permet de transmettre des puissances plus élevées sans dommage [4].

Avant même d’atteindre ces seuils de dommage, une dernière limite, généralement la plus contraignante, apparaît : les effets non linéaires. Le guidage dans la fibre permet d’obtenir des lasers efficaces grâce à une grande longueur de fibre et un fort confinement du mode optique. Néanmoins, cela se traduit par des diamètres de faisceaux petits et des densités spatiales de puissance très élevées. Les seuils, en puissance, d’apparition des effets non linéaires dans les fibres sont donc plus bas que dans les matériaux massifs. Les trois principaux sont la diffusion Brillouin stimulée, la diffusion Raman stimulée et l’effet Kerr. Leur seuil d’apparition dépend de la largeur spectrale et de la longueur d’onde de la source. Dans tous les cas, ces effets posent problème en occasionnant un transfert d’énergie vers des longueurs d’onde indésirables. Il y a également des risques de phénomènes temporels transitoires très rapides pouvant occasionner des dommages à la fibre et aux composants d’extrémité (diodes de pompe, isolateurs,…).

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : ETAT DE L’ART : SOURCES LASER A FIBRE ET COMBINAISON DE FAISCEAUX
INTRODUCTION
1 SOURCES LASER A FIBRE
1.1 RAPPELS
1.2 ENJEUX ET LIMITATIONS DE LA MONTEE EN PUISSANCE
1.3 TECHNIQUES DE MONTEE EN PUISSANCE DES LASERS A FIBRE
1.3.1 Guidage par réflexion totale interne
1.3.2 Fibres microstructurées
1.4 CONCLUSION
2 COMBINAISON DE FAISCEAUX
2.1 GENERALITES
2.2 ADDITION INCOHERENTE
2.3 COMBINAISON SPECTRALE
2.4 COMBINAISON COHERENTE PASSIVE
2.4.1 Généralités
2.4.2 Configuration mono pupillaire
2.4.3 Configuration multi pupillaire
3 COMBINAISON COHERENTE PAR CONTROLE ACTIF DE PHASE
3.1 PRINCIPE
3.2 PRINCIPALES TECHNIQUES ET RESULTATS
3.2.1 Technique par marquage optique
3.2.2 Technique de diffusion itérative d’erreurs
3.2.3 Technique de modulation fréquentielle
3.2.4 Autres techniques de combinaison par contrôle actif de phase
3.3 AUTRES POSSIBILITES OFFERTES PAR LA COMBINASION COHERENTE MULTI PUPILLAIRE
3.3.1 Application à la déviation de faisceau
3.3.2 Compensation de la turbulence atmosphérique
3.4 ET L’IMPULSIONNEL ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
CHAPITRE II : COMBINAISON COHERENTE DE FAISCEAUX : PRINCIPES FONDAMENTAUX
INTRODUCTION
INTRODUCTION
1 MODELISATION DE LA COMBINAISON COHERENTE DE FAISCEAUX MONOMODES GAUSSIENS
1.1 PRINCIPE ET DEFINITIONS
1.1.1 Principe
1.1.2 Définition du taux de remplissage de la pupille de sortie
1.1.3 Prise en compte de la phase
1.2 DEVELOPPEMENT ANALYTIQUE DU MODELE
1.2.1 Définition analytique du champ proche
1.2.2 Champ à une distance z
1.2.3 Champ lointain
1.3 EXEMPLES
2 QUALITE DU FAISCEAU COMBINE : CRITERES D’EFFICACITE
2.1 PARAMETRE M2
2.2 RAPPORT DE STREHL
2.3 TAUX DE COMBINAISON
2.4 BEAM PROPAGATION FACTOR (BPF)
2.5 MASK ENCIRCLED POWER (MEP)
2.6 AUTRES CRITERES D’EFFICACITE
2.7 CONCLUSION
3 INFLUENCE DES PARAMETRES SUR L’EFFICACITE DE LA COMBINAISON COHERENTE
3.1 INFLUENCE DES DEPHASAGES ENTRE LES SOURCES
3.1.1 Variation des déphasages entre les sources
3.1.2 Différence de phase résiduelle
3.1.3 Déviation de faisceaux
3.2 INFLUENCE DE LA CONFIGURATION GEOMETRIQUE DES FIBRES
3.2.1 Choix de la collimation
3.2.2 Distance entre les fibres
3.2.3 Arrangement géométrique des fibres
3.2.4 Nombre de fibres combinées
3.3 INFLUENCE DE LA REPARTITION DE PUISSANCE ENTRE FIBRES
3.3.1 Influence du déséquilibre en puissance entre fibres
3.3.2 Nombre de fibres vs puissance
3.4 AUTRES PARAMETRES INFLUANT SUR L’EFFICACITE DE COMBINAISON
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
CONCLUSION GENERALE 

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