Mise en marque et projet politique de transformation économique et sociale

Mise en marque et projet politique detransformation
économique et sociale

Analyse critique du projet de refonte de la stratégie de communication : la genèse du projet 

Coorace, réseau de l’économie sociale et solidaire qui regroupe 587 entreprises d’utilité sociale territoriale a refondu sa “stratégie de marque” en 2020. Ce chantier a été réalisé avec l’appui d’une agence de communication spécialisée sur les enjeux de l’économie sociale et solidaire24 à partir de 2018, sous l’impulsion d’une commission communication composée d’élus de l’organisation (membres du Conseil d’administration) et de la responsable de la communication. L’analyse des différents documents structurant ce travail montre à quel point celui-ci est lié aux évolutions du projet politique et à la place qui lui est accordée au sein de sa gouvernance. En effet, le projet politique est omniprésent dans l’ensemble du processus de mise en marque. Il est à la fois le constat de départ qui justifie le lancement de ce chantier mais il en est également l’objectif. C’est ainsi que l’analyse des éléments de corpus : le cahier des charges, l’édito du manuel de référence « Pour une démarche de développement de territoires solidaires » et les focus groupes réalisés au sein de l’organisation doivent nous amener à déterminer si la mise en marque du réseau constitue une impulsion de la gouvernance pour déployer le projet politique de transformation sociale et économique. Pour ce faire, nous analyserons d’abord le projet politique comme la base socle de ce travail de refonte de la stratégie de communication, puis nous analyserons le contenu du projet politique avant de nous interroger sur son partage effectif au sein du réseau.

Le projet politique : raison d’être et base socle du travail de refonte de la stratégie de communication

 Une consultation a été lancée pour initier la refonte de la stratégie de communication. Pour ce faire, un cahier des charges25 a été adressé en mai 2018 à plusieurs agences dédiées à l’économie sociale et solidaire et au secteur du non-profit. D’abord, on peut noter que les élus de l’organisation peuvent être considérés comme les commanditaires et les premiers destinataires de ce document. En effet, c’est bien la gouvernance de l’organisation, à travers sa commission communication, qui est en charge « politique » de la refonte de la stratégie de communication et qui propose ce travail à des agences de communication spécialisées. Si la gouvernance du réseau est commanditaire de ce travail, elle en est aussi première destinataire puisque le document, rédigé par la responsable de la communication en fonction des échanges engagés avec la commission est, avant toute chose, soumis à sa validation. Ainsi, la première visée de ce document de cadrage est d’établir une « commande » autour de constats partagés et d’orientations claires sur la communication de l’organisation, et sur la base idéologique sur laquelle ce travail doit se baser. A ce titre, comme l’évoquent les travaux d’Émilie Née, Claire Oger, Frédérique Sitri26 sur les rapports en entreprises, le cahier des charges est doté d’une « double visée informative et prescriptive ». Nous pouvons dire qu’il porte une dimension normative au sein du réseau mais également qu’il est performatif dans le sens où il définit dès sa validation les changements à venir. Les destinataires finaux de ce cahier des charges, les agences, obtiennent avec ce document le cadrage au sein duquel elles pourront prendre la liberté d’adresser leurs recommandations. L’usage veut, bien sûr, qu’elles se conforment aux constats et aux grandes orientations posées pour augmenter leur chance de se voir confier ce travail d’accompagnement. En ce sens, ce rapport interne est également un dispositif de médiation pérenne. Il représente le cadre qui va unir les différentes parties prenantes, internes et externes au projet, posant le « où on va » et laissant les opportunités de définir le « comment on y va » dans le travail en collaboration avec l’agence spécialisée. Ensuite, le cahier des charges dresse un certain nombre de constats sur la communication du réseau Coorace notamment des problématiques profondes que la stratégie de communication doit lever. Ainsi, sont pointés un manque d’efficacité des supports de promotion et un manque de performance de la communication du réseau. La première partie présente le réseau et son histoire, la 2e dresse les enjeux du travail de refonte à travers ce titre évocateur : « Une identité de marque Coorace peu lisible, qui met mal en valeur son projet politique audacieux ». On note que l’identité de marque “peu lisible” se trouve associée, dès le titre, au “projet politique de l’organisation”. Nous pouvons trouver une causalité explicite dans ce sous-titre que nous pouvons lire comme “ l’objectif d’avoir une identité de marque plus lisible est de mieux mettre en valeur son projet politique ambitieux”. La mise en valeur du projet politique est donc considérée comme l’horizon ultime d’une meilleure lisibilité de l’identité de l’entreprise, voire l’horizon ultime de ce travail de refonte de la stratégie de communication. Le cahier des charges détaille ainsi les évolutions politiques qu’a connues le réseau Coorace depuis 30 ans et met en avant son rôle précurseur “dans le champ de l’Insertion par l’activité économique : il a initié les premiers mouvements qui revendiquent le droit à l’inclusion sociale par le travail. Coorace et ses partenaires ont su faire bouger les lignes…” et son agilité notamment pour faire face à la crise économique. L’accent est ensuite mis sur un document politique identifié comme un document de référence pour le réseau Coorace « Pour une démarche de développement de territoires solidaires ». Ce manuel diffusé fin 2010 est issu d’un travail de recherche-action initié dès 2005. A partir d’une vingtaine d’expériences de terrain d’entreprises membres du réseau et de la contribution de nombreux professionnels, partenaires et chercheurs, ce manuel formalise des propositions concrètes à la croisée de l’économie sociale et solidaire et du développement territorial, impliquant notamment un dépassement de la mission initiale de « sas » vers l’emploi pérenne des acteurs de l’Insertion par l’activité économique. Ce manuel est identifié dans le cahier des charges comme le document de référence qui doit être la “base idéologique” du travail sur la communication : « Le document de référence : « contribuer au développement de territoires solidaires, des entreprises en mouvement » est doté d’un argumentaire politique fort et prospectif. Ce travail de réflexion a été 18 entériné par le vote des orientations stratégiques au Congrès de Marseille. Or, ce changement de cap majeur n’a pas eu d’incidence effective sur la marque. » Une des finalités du travail de refonte de la stratégie de communication est bien de re-mettre l’identité de marque en adéquation avec le projet politique considéré comme « audacieux, prospectif ». La deuxième sous-partie qui va nous intéresser, autour de la communication corporate, traite de la visibilité de l’organisation ou justement de son manque de visibilité dans l’espace public. Là encore, les termes utilisés montrent que cette absence de visibilité est induite par un défaut ou des erreurs de positionnement « se repositionner pour mieux exister… ». La question du positionnement est à relier aux éléments évoqués plus haut sur l’identité de marque. Pour amener cet élément, on trouve une nouvelle fois évoqué un paradoxe : « Un réseau fort / qui doit se repositionner / pour mieux exister dans l’espace public ». Ces éléments sous-entendent que la force de ce réseau devrait l’amener à être visible dans l’espace public, cela devrait être pour ainsi dire « sa place logique et naturelle » mais cela n’est pas le cas et cela est imputable à une problématique de positionnement. Lorsqu’on lit plus en détail les éléments avancés dans cette sous-partie, on découvre que là encore, le projet politique est mis au premier plan. Le manque de visibilité dû à ce défaut de positionnement ne permet pas au projet politique d’être implémenté : « Si COORACE est pleinement reconnu en tant que mouvement majeur de l’IAE, et participe aux différentes instances nationales, tout en ayant une écoute attentive des pouvoirs publics, cela n’est pas suffisant pour mettre en œuvre l’ensemble de son projet politique ». Ainsi, le projet politique de Coorace tel qu’il est mentionné dans ces deux parties a vocation à exister dans l’espace public, au-delà de sa sphère d’influence actuelle jugée trop restrictive. Plus encore, ces éléments induisent que la faiblesse du positionnement et de visibilité du réseau nuit à la mise en œuvre de son projet politique sur les territoires. Les focus groupes réalisés en février et mars 2021 auprès du réseau d’adhérents et d’élus viennent conforter ces éléments. Ainsi, lors du focus groupes dédié aux membres du Conseil 19 d’Administration de l’organisation27, la visibilité du projet a été évoquée : « Moi, j’ai besoin que quand on parle de Coorace, à l’extérieur, que tout le monde sache, finalement, ce qu’on fait, et quelles sont les valeurs que l’on défend. Et que ce ne soit pas simplement le fait de quelques-uns. Voilà. Moi, je regrette que Coorace soit restreint, en tout cas, à un certain noyau, et pas au plus grand nombre…».

Le projet politique du réseau Coorace : un projet de transformation économique et sociale 

En premier point, il paraît intéressant de s’interroger sur la volonté pour un réseau associatif de placer au premier plan de son action et de sa communication son projet politique et sa mise en œuvre. En effet, contrairement aux partis politiques, le réseau associatif n’a pas pour vocation de convaincre des électeurs autour d’un projet politique national ou territorial. On peut aussi convenir que les associations ne disposent pas de pouvoir spécifique que ce soit exécutif, législatif ou réglementaire au-delà du périmètre de leur organisation. A ce titre, l’élaboration d’un projet politique comme objectif de son action peut apparaître illusoire voire fatalement déceptif pour ses membres. Néanmoins, le « tiers-secteur »29 comme le nomme Jean-Louis Laville, porte historiquement un certain nombre de valeurs et d’aspirations politiques. Cela est inhérent à l’hybridation que ces initiatives créent entre le social et l’économique, portant ainsi en germe des potentiels de transformation du modèle économique. Ces initiatives sont réalisées par des citoyens qui s’engagent dans l’espace public, créant ainsi de nouveaux espaces de démocratie. Hannah Arendt, dans ses travaux, identifie le politique comme une activité transformatrice : « I’activité de mise en relation des hommes qui se réalise dans la cité […]. L’espace public politique est plus qu’un espace non privé, il est un espace d’interactions engendré par les citoyens parlant et agissant ensemble […] Pour Arendt, la politique en tant qu’action commune concertée est puissance »30. Ainsi, l’économie solidaire, en « contribuant à la démocratisation de l’économie à partir d’engagements citoyens » a une puissance transformatrice qui lui confère « son caractère fondamentalement politique ».Le document socle “Pour une démarche de développement de territoires solidaires” évoque justement la promesse d’une capacité transformatrice. Son édito porte la parole politique de la structure à travers celle de son président de l’époque Christophe Chevalier, Président du Groupe économique solidaire Archer. Cet énoncé amène une promesse très ambitieuse pour les entreprises du réseau Coorace. En effet, les premières lignes dressent un constat grave sur la situation économique et ses implications sociétales « dans le contexte actuel d’aggravation des déséquilibres économiques, sociaux et environnementaux ». Très vite, les entreprises adhérentes trouvent leur place comme actrices sociétales majeures en capacité de pallier ces problématiques « elles peuvent influer sur les mutations » . Cette promesse se dessine à travers un récit d’avenir pour les organisations du réseau. Pour Nicole d’Almeida, le récit utilisé dans la communication institutionnelle est un outil puissant pour fédérer l’ensemble des parties prenantes et donner du sens dans des organisations à vocation productive qu’il s’agit de réenchanter « les récits créent de la continuité dans la discontinuité, de la cohésion dans le morcellement, de l’unité dans la diversité ». Le réseau Coorace est un réseau inter-organisationnel, c’est-à-dire qu’il réunit des structures qui choisissent de coopérer au sein d’un ensemble administré. Ces organisations se retrouvent autour d’une charte de valeurs communes et peuvent prétendre à une offre de service pour mener à bien leurs actions d’inclusion sociale. Pour ce type de réseau, le récit porteur de sens a d’autant plus de force que c’est justement autour de valeurs et d’objectifs politiques que le réseau s’est constitué. La promesse d’avenir construite autour d’un récit de transformation économique et sociale dans lequel les entreprises membres jouent un rôle de premier plan permet de faire vivre le réseau et sa gouvernance. Cela lui donne corps et dans la durée structure et renouvelle le projet pour « faire réseau ensemble ». Cette promesse basée sur un récit d’avenir est ainsi une façon de prolonger le projet politique du réseau, en l’adaptant à de nouveaux défis et à un nouveau contexte sociétal : « La promesse est la véritable mémoire de la volonté puisqu’il s’agit de vouloir encore et toujours ce qui a été voulu »36 . Nous pouvons noter le choix de l’édito du Président pour porter cette promesse. La position de Christophe Chevalier en tant que Président du réseau Coorace depuis 2006 lui confère la légitimité de porter ce récit d’avenir pour le réseau. Il est en effet attendu de cette fonction une prise de hauteur, la capacité d’avoir une vision, donner un cap pour une impulsion politique partagée. La fonction de Président n’est pas le seul argument d’autorité dont dispose Christophe Chevalier pour renforcer son argumentaire. L’ethos est défini par Ruth Amussy comme « l’image que l’orateur construit de lui-même dans son discours afin de se rendre crédible. Fondé sur ce qu’il montre de sa personne à travers les modalités de son énonciation, il doit assurer l’efficacité de sa parole et sa capacité à emporter l’adhésion du public ». La fonction de Président et les nombreuses réussites de Christophe Chevalier en tant qu’entrepreneur de l’utilité constitue pour Ruth Amossy son ethos préalable « l’ensemble des données dont on dispose sur le locuteur au moment de sa présentation de soi38 ». En 2010, le Groupe ARCHER qu’il préside a été le premier à rouvrir un atelier de fabrication de chaussures après une crise importante subie par la ville de Romans. Avec ses 1000 salariés, Archer est aujourd’hui l’un des 1ers employeurs de la ville, montrant la force de transformation du groupe sur le territoire. A la fois en tant qu’entrepreneur, mais également en tant que citoyen engagé portant une vision pour son territoire, Christophe Chevalier a un parcours exceptionnel qui renforce son argumentaire dans la promesse faite aux entreprises et dans son analyse sociétale. Cet ethos préalable, qui confère à Christophe Chevalier une figure d’autorité pour le réseau explique la posture retenue tout au long du discours. Celle de l’observateur éclairé, visionnaire à la fois sur la situation de la société et sur les entreprises du réseau. Les constats, et sur la société, et sur le réseau sont ainsi posés sans argumentation, arrivant sous forme de vérité générale comme si le locuteur n’avait pas à prouver ces éléments, bien que ceux-ci apparaissent à la lecture comme incontestables. L’ethos préalable d’autorité, de guide et de précurseur est renforcé par des éléments de discours organisés autour de deux notions fortes : le pouvoir et le devoir. Le pouvoir d’abord avec la promesse de la force transformatrice des entreprises du réseau. Elle est mise en avant dès la première phrase de l’édito ce qui lui donne à la fois une dimension de force et d’urgence « elles peuvent même devenir les acteurs clés d’un renouveau ». Cette force de transformation n’est pas ici circonscrite à un territoire mais concerne bien la société dans son ensemble. Le renouveau correspond ainsi à un changement de modèle sociétal qui permettrait de mettre un terme aux grands déséquilibres évoqués en introduction. Cette glorification de la transformation sociale et des capacités des entreprises membres à en être des actrices clés sont des ambitions profondément politiques. L’invitation à la transformation revient plusieurs fois dans le texte, avec des verbes d’action : « influer, inventer, jouer un rôle, évoluer, élargir, renouveler, dépasser, se positionner ». Également nous pouvons noter des allusions claires à des mutations sociétales : « mutations en cours, acteurs clés du renouveau, construction d’un nouveau modèle économique, plus solidaire et durable, qui ne soit vecteur ni d’exclusion ni de précarisation, réelles transformations sociales, nouveaux horizons »

Table des matières

Introduction 
1. Analyse critique du projet de refonte de la stratégie de communication : la genèse du projet 
1.1 Le projet politique : raison d’être et base socle du travail de refonte de la stratégie de communication 
1.2 Le projet politique du réseau Coorace : un projet de transformation économique et sociale 
1.3 Le projet politique de transformation est-il partagé au sein du réseau ? 
2. Analyse de la nouvelle stratégie de communication : vers une marque Coorace ? 
2.1 Analyse comparée des éléments figuratifs de la marque 
2.2 La nécessaire émergence d’une mise en récit performative 
2.3 L’absence inquiétante de public, en termes de bénéficiaire et d’auditoire 
3. Faire vivre la marque, faire vivre le projet politique de transformation 
3.1 La nécessité de créer des récits attractifs autour de l’utopie
3.2 Créer une communauté de marque pour engager les parties prenantes 
3.3 Espaces de démocratie : faire vivre la marque, faire vivre le projet politique 
Conclusion 
Bibliographie 
Table des annexes 
Résumé et mots clés

projet fin d'etude

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