Mise au point d’un outil d’évaluation de la qualité biologique des petites rivières de Guyane sur la base des invertébrés benthiques
LES PRESSIONS HUMAINES SUR LES MILIEUX AQUATIQUES
La population Guyanaise
Avec 90.000 km2 et environ 250.000 habitants, la Guyane est le plus grand département de France, mais aussi le moins peuplé. La densité de population est de 2,1 habitants/km2 , dont 60% à Cayenne et 80% dans les trois plus grandes agglomérations (Figure 14 : Cayenne, Kourou et St Laurent du Maroni). Cependant, la Guyane présente un taux de croissance moyen depuis 1999 de 3,7 % par an, soit deux fois plus que la Réunion et cinq fois plus que l’hexagone. La Guyane, qui comptait 229 040 habitants en 2010 (Prud’homme et Treyens, 2010) pourrait en compter plus de 700 000 en 2040 (Horatius-Clovis, 2011). Pour pallier à cette expansion démographique, les besoins estimés de production de logements s’élèvent à environ 4400 logements/an d’ici 2040 (Yahou-Dauvier et Planchat, 2014). Les villes de l’intérieur du pays sont autant concernées par cette expansion démographique que celles du littoral, la population prévue de Maripasoula située sur le haut Maroni serait de 71.000 habitants en 2030, soit 54.000 de plus qu’en 2013, ce qui entrainera probablement un impact environnemental non négligeable dans ces zones encore peu peuplées. A la population dénombrée par l’Insee, il faut ajouter une population clandestine non négligeable, provenant des pays frontaliers à la Guyane (Brésil, Surinam). En décembre 2010, le nombre de clandestins en Guyane était estimé entre 30.000 et 60.000. Chapitre I. Les spécificités de la Guyane Française 27 Figure 14 : La démographique de la Guyane Française (SAR, 2014) Chapitre I. Les spécificités de la Guyane Française
La bande côtière
La bande côtière est actuellement le secteur de développement prioritaire du territoire guyanais. Elle ne représente que 8% du territoire, mais concentre 80% de la population dont 103000 habitants sur l’île de Cayenne et 51000 autour de Saint Laurent, sur le Maroni, sur les 250000 habitants que compte actuellement la Guyane (Figure 14 et 15). Deux routes principales longent la côte sur 440 km et connectent les 15 communes littorales. Celles-ci concentrent les structures urbaines et industrielles principales. Un réseau routier secondaire permet d’accéder aux espaces moins urbanisés de la plaine littorale, composés de zones d’exploitation agricole et forestière, ainsi que de savanes, marais et mangroves (Figure 15). Ce réseau secondaire se compose de 530 km de voiries communales, 100 km de pistes agricoles et 1260 km de pistes forestières (accessibles uniquement à l’aide de véhicules spécialisés de type 4×4), éloignées de 70 km au maximum de l’océan, ce qui limite l’accès routier à la bande côtière (Geffrin et Labia, 2011). La faible couverture géographique du réseau routier explique en partie l’état de conservation exceptionnel de la forêt primaire de l’intérieur de la Guyane. Les activités humaines principalement concentrées sur la bande littorale sont trois sources de pression bien identifiées (Figure 15): la pollution urbaine, incluant une faible activité industrielle ; les eaux domestiques issues d’habitations éparses, hors agglomérations, qui se rejettent sans traitement dans des estuaires ou dans des cours d’eau littoraux ; les activités agricoles. I
Activités agricoles
Les espaces agricoles ne recouvrent que 23 176 ha, soit 0,3 % du territoire guyanais (ONF, 2013). L’agriculture traditionnelle et familiale sur « abattis » représente les 3/4 des exploitations agricoles de Guyane (Agreste, 2000 ; DAF Guyane). L’abattis traditionnel se traduit par une alternance de cycles de plantation et de jachères. Le cycle d’un abattis commence avec l’abattage des gros arbres et du sous-bois en début de saison sèche, soit en juillet-août. Ensuite vers octobre-novembre, l’agriculteur va procéder au brûlis. A l’aide d’une torche et parfois même d’un bidon d’essence, il va pouvoir brûler un à deux hectares par jour. Les parcelles d’abattis vont rarement dépasser les trois hectares. Ce système de culture sur brûlis est pratiqué par tradition pour déforester (troncs, sous-bois et herbes) la parcelle que l’on va cultiver, mais aussi pour fertiliser le sol avec le charbon de bois et les cendres produites, et pour tuer la faune du sol (Figure 16). Les abattis se développent en particulier au niveau des fleuves frontaliers et des alentours des villages amérindiens et bushinengues de l’intérieur ou du littoral. Le reste des activités agricoles se concentre principalement autour de 2 communes (Cacao et Javouhey) et alimente les marchés des villes côtières. Des rizières sont aussi présentes sur une partie de la plaine littorale, mais ne sont quasiment plus exploitées. Ces zones agricoles, de part leur faible couverture géographique, ont été peu rencontrées au cours de notre étude (n=4). Cependant, la Guyane connaît une augmentation de superficie de terrain agricole de 4,85 % par an, ce qui a représenté 8237 ha de surface agricole en plus entre 2005 et 2011. Cette activité est donc à prendre en compte car les impacts qui en découlent sur les milieux aquatiques sont multiples. Premièrement, le sol mis à nu est soumis à l’érosion directe du vent et des pluies et peut entrainer une augmentation de la turbidité. Ensuite, du fait du contexte agricole difficile (pauvreté du sol en nutriment, ravageurs, végétations indésirables), des intrants agricoles sont généralement utilisés (engrais, pesticide, fongicide, herbicide). Ces produits vont ensuite se retrouver dans les milieux aquatiques lors du lessivage des sols. L’impact écologique des produits phytosanitaires est reconnu mais difficile à évaluer du fait de Chapitre I. Les spécificités de la Guyane Française 30 la multiplicité et des interactions des produits et de leur large spectre d’action Enfin, pour irriguer les parcelles cultivées, des prélèvements d’eau sont généralement fait dans les petites masses d’eau et peuvent entrainer des assèchements pendant les périodes de basses-eaux. Figure 16: Abattis traditionnels : parcelle pendant un brulis (en haut) et après un brulis (en bas) (Crédit photo : Dedieu, N.)
Activités industrielles
La Guyane possède un tissu industriel peu important. De nombreuses structures dites industrielles relèvent davantage de l’artisanat, et une grande partie des produits consommés sont importés de métropole. Les entreprises industrielles sont de petite taille sur le territoire : seulement 2 % des entreprises comprennent plus de 20 salariés, et 90 % ont moins de 6 salariés ((Prud’homme et Treyens, 2010). Les industries sont géographiquement concentrées sur l’île de Cayenne (66 % – Figure 17) et Kourou (16 %) et plus généralement dans les 15 villes côtières. Les perturbations engendrées par les pollutions des grandes agglomérations et activités industrielles ne sont pas prises en compte dans ce travail, car ces agglomérations se trouvent dans des zones ou les milieux aquatiques sont soumis à l’influence de la marée, et donc considérées comme des eaux de transition. Figure 17 : Ville de Cayenne
Le plateau guyanais
A l’intérieur des terres, le contexte de la Guyane est singulier par rapport à la bande côtière mais aussi à la métropole ou aux autres DOM, du fait des ressources primaires abondantes dans les terres (bois précieux, or, bauxite) ainsi que des voies d’accès qui y sont peu développées. En effet, sept communes se sont développées à l’intérieur des terres et le long des fleuves (Figure 14). Ces communes ne sont pas accessibles par la route et sont seulement desservies par les voies fluviales et aériennes. L’intérieur des terres, dont la densité d’habitant est de l’ordre de 0,5 hab/km2 , appartient au domaine public de l’État et représente 80% de la superficie totale, dont la majeure partie dans le domaine public forestier. Les chantiers d’orpaillage et forestiers sont abondants à l’intérieur des terres et représentent donc les impacts majeurs sur les milieux naturels.
Pressions et impacts liés à l’exploitation forestière
L’exploitation forestière en Guyane Française
En moyenne sur les 10 *dernières années, il a été produit 70000 m3 de grumes par an (Berlioz, 2012). Ce chiffre semble actuellement à la hausse. Les exploitations sont actuellement localisées dans un rayon de 70 kilomètres de la côte, pour des raisons essentiellement économiques et logistiques (coûts d’exploitation, accès). L’activité se développe dans la zone correspondant au domaine forestier permanent, géré par l’ONF (Figure 18). Depuis 2009, l’ensemble des exploitations forestières en Guyane doit intégrer des pratiques de gestion respectueuses de l’environnement énoncées par l’ONF dans « la charte d’exploitation à faible impact » (Panchout, 2010) qui impliquent des normes à respecter. Il s’agit d’une exploitation « extensive »; une trentaine d’espèces seulement (sur 1200) sont exploitées, à raison de 2 à 5 arbres à l’hectare. L’ONF conserve systématiquement, à proximité de chaque parcelle exploitée, des parcelles « de référence » intouchées. Une éco-certification est en cours de mise en place pour les exploitants. De plus, une distance minimale de 100 mètres du cours d’eau a été instaurée pour exploiter du bois. Les pistes créées doivent suivre le plus possible les lignes de crêtes pour ainsi éviter de traverser les rivières et créer des ouvrages de franchissement (Figure 19). Enfin, le travail d’extraction des arbres des parcelles ne peut être effectué qu’en période de saison sèche. Figure 19: Aménagements engendrés par l’exploitation forestière : a) création d’un pont pour traverser une rivière; b) piste forestière nouvellement crée. Figure 18 : Les zones d’exploitations forestières en Guyane (SAR, 2014) Chapitre I. Les spécificités de la Guyane Française
Impact de l’exploitation forestière sur les milieux aquatiques
L’impact de l’exploitation forestière a été bien étudié au cours des dernières années. La déforestation a pour conséquence de dégrader les habitats des cours d’eaux (Iwata et al., 2003; Wantzen, 2006), modifier le régime hydrologique et les ressources primaires (Benstead et al., 2003; Bojsen et Jacobsen, 2003; Benstead et Pringle, 2004) entrainant ainsi des changements majeurs de communauté benthique et une baisse de la diversité (Cummins et al., 1989 ; Sweeney, 1993 ; Benstead et al., 2003;. Bojsen et Jacobsen, 2003; Iwata et al., 2003; Dudgeon, 2006; Wantzen, 2006). Localement, les scieries peuvent aussi être une source de pollution du fait des traitements appliqués aux grumes et des rejets d’hydrocarbures dus à l’utilisation d’engins mécanisés. Des études récentes ont montré que la ripisylve est étroitement liée aux processus hydrologiques tropicaux (Heartsill-Scalley et Aide, 2003 ; McKergow et al., 2004; Gomi et al., 2006 ; Lorion et Kennedy, 2009). En effet, la déforestation a un impact majeur au niveau de l’interface terre/cours d’eau en réduisant les ressources allochtones, l’ombrage et en entrainant une sédimentation accrue (Gregory et al., 1991; Naiman et Décamps, 1997). Des travaux ont notamment démontrés qu’une zone riveraine boisée « tampon » réduit considérablement les impacts de la déforestation sur les cours d’eaux (Pringle et Scatena, 1999 ; Benstead et al., 2003 ; Lorion et Kennedy, 2009). C’est donc afin de limiter les impacts environnementaux que l’ONF a mis en place la charte d’exploitation à faible impact. Cependant, la déstructuration des sols lors de la création de pistes, du passage des grumiers ou des engins sur les pistes de débardage provoquent quand même une hausse de la quantité de sédiments, même si elle est limitée (Figure 19a et b). Cet apport sédimentaire supplémentaire reste un facteur perturbant important pour la faune aquatique, comme cela a pu être démontré lors d’une étude menée dans les rivières de la région de Manaus, au Brésil (Dias et al., 2010).
Pressions et impacts liés aux activités aurifères
L’or en Guyane Française
L’exploitation aurifère constitue le facteur de pression majeur en Guyane, et c’est même le seul facteur qui semble susceptible de provoquer une dégradation significative de l’état écologique. La pression d’orpaillage est fortement corrélée au cours de l’or. En effet, l’or ayant plus que sextuplé entre les années 2000 et 2012, l’orpaillage en Guyane est actuellement en plein essor, Chapitre I. Les spécificités de la Guyane Française 35 d’autant plus que les ressources aurifères inexploitées sont encore très importante (Figure 20). La superficie des formations géologiques favorables à la découverte de nouveaux gisements couvre 62 800 km², soit 75 % de la superficie de la Guyane (SDOM, 2011). L’or se présente sous forme de deux types de gisements : Les gisements primaires représentent les filons d’or natif contenus dans les roches situées à une profondeur comprise entre 20 et 100 mètres. L’exploitation de ces gisements est rare, car elle demande la création d’une mine à ciel ouvert à l’aide de moyens mécaniques importants, lourds et coûteux, qu’il faut acheminer en pleine forêt. Les gisements secondaires proviennent de la destruction progressive des gisements primaires par érosion. Les minéralisations aurifères des roches altérées se trouvent alors libérées sous forme d’éluvions (l’or reste à flanc de colline) ou d’alluvions (l’or libéré est entraîné par les eaux courantes et se retrouve dans le lit mineur et majeur des cours d’eau).
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