Etudes texturales en 2D et 3D des produits des explosions vulcaniennes du volcan Soufrière Hills, (Montserrat)
Mûrissement d’Ostwald, coalescence, perméabilité et dégazage
Mûrissement d’Ostwald et coalescence
Principe
Les lois de solubilité bien établies des espèces volatiles (Shaw 1974 ; Silver et al. 1990), montrent qu’un magma contenant une quantité d’eau de quelques %pds (4 à > 6 %pds ; Rutherford et Devine 1988 ; Bacon et al. 1992 ; Johnson et al. 1994) devraient présenter une vésicularité supérieure à 99% lors de son émission à la surface. Cependant, les données de la littérature montrent qu’il est très rare de trouver des échantillons dont la vésicularité dépasse les 93% (Whitham et Sparks 1986 ; Houghton et Wilson 1989 ; Klug et Cashman 1991 ; Gardner et al. 1996 ; Thomas et al. 1994). Ce constat illustre l’importance du dégazage lors d’une éruption volcanique et donc celle de la perméabilité, et des processus de mûrissement d’Ostwald et de la coalescence. Lors de la décompression du magma pendant sa remontée vers la surface, les volatils peuvent diffuser d’une bulle à l’autre, via le liquide silicaté. Ce processus de transfert des volatils, appelé mûrissement d’Ostwald, engendre la diffusion des gaz des régions à forte pression, vers les régions à plus faible pression. Les distributions de bulles étant souvent polydisperses, les transferts se font donc des bulles les plus petites vers les bulles les plus grosses (Mangan et Cashman 1996), la pression dans la bulle étant d’autant plus forte qu’elle est petite (Eq. [21]). Ainsi, les grosses bulles croissent aux dépens des plus petites qui peuvent être amenées à totalement disparaître. Ce processus tend à faire diminuer le nombre de bulles et pour un système à volume constant, conduit à une diminution de l’interface gaz/liquide. Des équations concernant le rétrécissement des bulles sont disponibles dans De Vries (1957) et Lemlich (1978) pour des distributions monodisperse et polydisperse respectivement. 59 Chapitre I. De l’exsolution au dégazage – revue de la littérature Cependant, comme nous le verrons par la suite, l’essentiel de la vésiculation dans nos échantillons se fait sur de courtes périodes de temps et la diffusion de l’eau est très limitée, empêchant le mûrissement d’Ostwald de jouer un rôle important dans l’évolution de la distribution de taille des vésicules. La coalescence est l’union de deux ou plusieurs bulles dans une mousse statique ou en expansion (Figure 18). Une coalescence quasi inexistante va engendrer une préservation des gaz dans le magma sous forme de bulles isolées, et donc favoriser une éruption violente. A l’inverse, si les bulles coalescent largement, le gaz peut alors s’échapper et l’éruption aura tendance à être de type effusif (Eichelberger et al. 1986 ; Jaupart et Allègre 1991 ; Woods et Koyaguchi 1995 ; Jaupart 1998). Ainsi, la coalescence est sans doute l’un des processus capitaux dans la détermination du style éruptif. Figure 18. Evidences de coalescence dans des échantillons expérimentaux de verre rhyolitique décomprimé à 25 kPa s-1 (Gardner 2007b ; photographies en lumière réfléchie.). (a) Groupe de bulles connectées en trois dimensions par des chenaux ouverts, soulignés par les traits noirs. (b) Coalescence de bulles dans un verre faiblement visqueux. Le processus de coalescence a surtout été étudié expérimentalement (e.g. Larsen et al. 2004 ; Burgisser et Gardner 2005 ; Gardner 2007b) et l’occurrence de la coalescence est souvent détectée grâce à la diminution de la densité numérique de bulles (Nv) durant les expériences, au fur et à mesure que les bulles coalescent. Le développement technique et la démocratisation de la microtomographie à rayons X notamment pourrait permettre, dans les années à venir, une étude systématique des échantillons en 3D, et ainsi accélérer la compréhension du processus de coalescence. En effet, si la nucléation et la croissance peuvent être étudiées assez facilement en deux dimensions car les bulles restent souvent sphériques durant ces processus, la coalescence implique des déformations des bulles juste avant leur union, phénomène qui ne peut être décrit en détails que via une vision en 3D du système.
Facteurs contrôlant la coalescence
Comme pour les processus de nucléation et de croissance, la coalescence ne se produit pas de la même façon selon l’état de différentiation du magma. Si elle semble plus développée dans les magmas peu visqueux, à faible teneur en silice et dans lesquels bulle et liquide silicaté peuvent avoir un mouvement différentiel, elle joue néanmoins un rôle très important dans les magmas plus différenciés, ayant une viscosité plus élevée. La coalescence se produit lorsque la paroi séparant deux bulles (ou plus) s’affine, puis se rompt, et requiert donc un mouvement du liquide constituant la paroi entre les deux bulles. Pour les bulles dont le rayon R est inférieur à 1 cm, ce drainage du liquide est contrôlé par les contraintes de capillarité (Proussevitch et al. 1993), alors que pour les bulles > 10 cm (rarement le cas dans les éruptions vulcaniennes ou pliniennes), le drainage dépend des contraintes de flottabilité (Gonnermann et Manga 2007). Le temps requis pour la coalescence de deux bulles, dépend d’une compétition entre d’une part la différence de pression qui provoque la migration du liquide depuis le centre de la paroi entre deux bulles vers l’extérieur, et d’autre part la résistance visqueuse de ce volume de liquide. Ce taux d’affinement de la paroi entre deux bulles, peut être exprimé par (Toramaru 1988) : 2 3 3 2 c c R P dt d η δ Δ δ = [28] Où δ (m) est l’épaisseur de liquide constituant la paroi entre deux bulles, t (s) est le temps, ΔP (Pa) est la différence de pression entre le centre et la marge de la paroi, δc (m) est l’épaisseur minimale atteinte par la paroi avant de se rompre (i.e. épaisseur critique), η (Pa s) est la viscosité du liquide silicaté et Rc (m) est le rayon de courbature de l’interface entre les deux bulles. La différence de pression ΔP intervenant dans l’équation [28] et qui agit sur le liquide composant la paroi entre deux bulles, est due à la fois à l’expansion des deux bulles lors de la remontée, mais aussi à la pression de capillarité. Cette pression de capillarité dépend de la différence entre les pressions liées aux tensions de surface des deux bulles et donc augmente avec la différence de taille entre celles-ci. Plus la différence de taille entre les bulles sera importante, plus la vitesse d’affinement de la paroi sera rapide et donc plus la coalescence sera rapide. Larsen et al. (2004) ont montré que la coalescence des bulles pouvait être très développée dans des magmas différenciés (de type rhyolitique) soumis à de forts taux de 61 Chapitre I. De l’exsolution au dégazage – revue de la littérature décompression, et que donc l’acquisition d’une perméabilité pouvait se faire lors d’une remontée, même rapide, du magma (~20 m s-1). Une fois que les deux bulles ont coalescé, la tension de surface provoque une rétractation des deux parties de la paroi rompue. Le temps nécessaire pour que la bulle formée par la coalescence redevienne sphérique, peut être exprimé par : σ ηR tsph = [29] Il est admis que les bulles coalescent beaucoup plus vite (plusieurs ordres de grandeur) dans une mousse silicatée en expansion que dans une mousse statique (Westrich et Eichelberger 1994 ; Barclay et al. 1995 ; Larsen et al. 2004 ; Burgisser et Gardner 2004), ce qui est visible dans l’équation [28] via la présence de la variable ΔP. L’effet des cristaux sur la coalescence des bulles n’est pas très bien caractérisé. Cependant, si les cristaux ont pour effet de diminuer l’énergie de surface, ils devraient aussi ralentir la coalescence, à la fois parce qu’ils diminuent la tension de surface (et donc diminuent ΔP), mais aussi parce qu’ils sont des obstacles à la circulation du liquide silicaté (Gonnermann et Manga 2007). De plus, la présence de cristaux augmente la viscosité du liquide ce qui augmente le temps de coalescence.
Perméabilité
La coalescence, lorsqu’elle est bien avancée, peut engendrer la formation de petits chenaux, souvent très tortueux, rendant le magma perméable, permettant au gaz de percoler puis de s’échapper hors du magma, sa vitesse d’échappement étant corrélé à la perméabilité du magma. La percolation commence lorsque la fraction de bulles dans le magma atteint ~30% (Sahimi 1994 ; Grimmet 1999 ; Saar et Manga 1999 ; Blower et al. 2001a et b), mais le gaz ne s’échappe de façon significative que lorsque la vésicularité atteint au moins 40-45% (Burgisser et Gardner 2004 ; Takeuchi et al. 2005). Les nombreuses mesures de perméabilité effectuées sur les échantillons de roche naturelle depuis les premières mesures d’Eichelberger et al. (1986), ont montré que la perméabilité est corrélée à la valeur de la porosité totale (Figure 19). Les relations qui lient ces deux paramètres dans les roches volcaniques différenciées sont généralement basées sur l’équation de Konezy-Carman (Carman 1956) et la théorie de la percolation (Saar et Manga 1999, Rust et Cashman 2004, Mueller et al. 2005) et sont de la forme : 62 Chapitre I. De l’exsolution au dégazage – revue de la littérature β (φ) χ(φ φ ) cr k = − [30] Où χ est une constante empirique, φ est la fraction volumique de bulles, φ cr est la fraction volumique de bulle critique (limite de percolation) et β est un paramètre compris entre 2 et 4. Mueller et al. (2005) ont cependant montré à l’aide de mesures de perméabilité, que les micro-fractures dans un échantillon refroidi peuvent jouer un rôle important dans la circulation des gaz et que donc, trouver un modèle de perméabilité qui conviendrait à tous types d’échantillons volcaniques reste quasiment impossible (Takeuchi et al. 2005). La Figure 19, qui rassemble une partie des données disponibles dans la littérature et concernant des magmas différenciés, montre la grande gamme de perméabilités observables pour une même porosité, et suggère que le dégazage dans les échantillons naturels est très complexe. Figure 19. Mesures de porosités totales (excepté pour les données de Müller 2007 où il s’agit de porosités connectées) et des perméabilités correspondantes, sur des échantillons de roches différenciées. Les sources sont Klug et Cashman (1996), Jouniaux et al. (2000), Melnik et Sparks (2002), Rust et Cashman (2004), Wright et al. (2007), Platz et al. (2007) et Müller (2007). La taille et la forme des bulles ont une forte influence sur le processus de coalescence et donc sur l’acquisition de la perméabilité (Saar et Manga 1999). Plus encore, la perméabilité va être contrôlée non pas directement par la taille des bulles mais par la taille des constrictions qui existent entre celles-ci. De longues chaînes de bulles coalescées peuvent rendre le magma très perméable, même à des porosités aussi faibles que 10% (Saar et Manga 1999). La coalescence de bulles dans un magma ayant une porosité de 40-45% peut conduire à de fortes déformations et à la création de longs tubes de bulles connectées (Burgisser et Gardner 2004), pouvant même mener à des conditions de dégazage en système ouvert (Gardner et al. 2007b). La pression à laquelle se produit cette déformation dépend en partie du taux de décompression subi par le magma (Burgisser et Gardner 2004).
Dégazage
La coalescence va donc contrôler l’acquisition ou non d’une perméabilité durant la remontée du magma vers la surface. Si la perméabilité existe et est assez élevée, elle peut permettre une extraction du gaz hors du système (dégazage en système ouvert). Ce dégazage module, et parfois même détermine, le style d’une éruption (Woods et Koyaguchi 1994 ; Eichelberger 1995 ; Villemant et Boudon 1998) et la mesure des gaz à la verticale de volcans à lave différenciée, suggèrent que le dégazage durant la remontée du magma vers la surface est très important (Wallace et al. 2003 ; Edmonds et al. 2003). L’extraction du gaz hors du système dans les magmas différenciés peut se faire à la fois via les chenaux formés par la coalescence des bulles, sans requérir à un mouvement différentiel entre ces bulles et le magma (Eichelberger et al. 1986 ; Edmonds et al. 2003 ; Mueller et al. 2005) mais aussi via les multiples fractures produites lors de la déformation cassante du magma (Gonnermann et Manga 2007 ; Tuffen et al. 2003 ; Rust et al. 2004). Une fois hors du magma, le gaz peut s’extraire via les marges du conduit lorsque celles-ci sont perméables et à une pression plus faible que les bulles (Jaupart et Allègre 1991 ; Eichelberger 1995). Le dégazage peut laisser intact le réseau de bulles connectées s’il ne fait qu’emprunter le passage qu’elles forment vers l’extérieur du magma. Cependant, il peut aussi conduire à l’effondrement du réseau de bulles sur lui même, aboutissant à la résorption de ces dernières. Il est très probable que le dégazage commence en profondeur lors de la remontée du magma (Taylor et al. 1983 ; Jaupart 1998) et peut continuer jusqu’à ce que le magma ait perdu une grande partie de sa teneur initiale en volatils (Eichelberger et al. 1986 ; Westrich et Eichelberger 1994). En revanche si le dégazage est inexistant ou n’est pas assez efficace, et que le gaz reste piégé sous forme de bulles dans le magma, les surpressions peuvent engendrer une fragmentation du magma.
Fragmentation
La fragmentation est le processus qui transforme le magma (phase liquide contenant une phase gazeuse sous forme de bulles ou de clusters de bulles) en une phase gazeuse contenant des fragments de liquide qui seront par la suite éjectés dans l’atmosphère et dont la texture peut encore évoluer durant le transport. Ce processus se produit souvent dans la partie supérieure du conduit et son intensité est directement à relier à celle de l’éruption. On a longtemps pensé que la fragmentation se produisait lorsque la fraction volumique de bulles dans le magma atteignait une certaine limite et à cause de l’instabilité des fines parois entre les bulles (Verhoogen 1951 ; Gardner et al. 1996). Cependant, les données expérimentales (Mader et al. 1994 ; Martel et al. 2000 ; Ichihara et al. 2002) suggèrent que cette fragmentation par expansion ne peut se faire que dans les magmas à faible viscosité (Koyaguchi et Mitani 2005). De plus, le fait que les échantillons naturels des éruptions explosives présentent des vésicularités variant de 0 (obsidienne) à plus de 98% (réticulite) montre qu’il n’y a pas de preuve physique de l’application générale de ce critère d’expansion. Il existe plusieurs autres critères pour déterminer quand la fragmentation a lieu, basés notamment sur l’hypothèse qu’elle se produit lorsque la pression à l’intérieur des bulles est assez élevée pour provoquer la rupture brutale des parois entre les bulles (McBirney et Murase 1970 ; Alidibirov 1994 ; Zhang 1999). Suite à de nombreuses expériences de décompression durant lesquelles se produisait une fragmentation des échantillons, Spieler et al. (2004) ont proposé une relation simple entre la surpression dans les bulles nécessaire pour provoquer la fragmentation du magma (ΔPfrag = limite de fragmentation), et deux caractéristiques physiques du magma qui sont la fraction volumique de bulles (φ = porosité) et la résistance à la tension du magma (σmelt) : φ σ melt ΔPfrag = [31] L’équation [31] montre que, plus la porosité du magma est élevée, plus la surpression nécessaire pour provoquer la fragmentation est faible (Figure 20).
INTRODUCTION GENERALE |