Méthodologie d’analyse des données et présentation des informateurs

Méthodologie d’analyse des données et présentation des informateurs

« Après avoir fait parler l’interviewé, l’enquêteur fait parler le texte par l’analyse des discours » (Blanchet &Gotman, 1992 : 91) L’ensemble de la démarche interprétative de cette recherche découle de l’approche ethnosociolinguistique adoptée. La méthodologie de la recherche suit une approche dite « en sablier » (Blanchet, 2000 : 40). Elle part donc d’une observation globale, empirique, que j’ai, pour ma part, envisagée comme une contextualisation du terrain (cf. chapitres 2 et 3), à partir du terrain (observations participantes préliminaires). Elle se poursuit par une phase spécifiante, l’analyse de traitement des données, que l’on peut qualifier de décontextualisation des données. Puis, elle se termine par une interprétation générale, nommée « synthèse interprétative » (Blanchet, 2000 : 57-62), que l’on peut également considérer comme une recontextualisation interprétative. Je reviendrai sur ce dernier aspect, phase essentielle de la méthodologie utilisée (cf. chapitre 7.). L’ensemble de cette méthodologie d’analyse repose donc sur une vision holistique de la démarche à observer : du tout à la partie au tout, avec une approche complexe des systèmes dans lesquels « tout est à la fois plus et moins que la somme des parties ». (Morin, 1990 : 114). Et, comme dans l’exemple de la tapisserie d’Edgar Morin (ibid.), chaque partie, interdépendante, participe de l’ensemble. Ces précisions générales effectuées, je vais à présent détailler la méthodologie d’analyse qui correspond à la phase de décontextualisation, c’est-à-dire d’analyse des données. Par souci de clarté de la démarche, je présente dans ce chapitre les analyses menées sur les deux parties du corpus, « Parents » et « Enfants », dans leur globalité. Toutefois, certains éléments seront, eux, précisés en introduction des chapitres suivants, notamment le fonctionnement détaillé du logiciel Alceste, afférent au chapitre 7.

Des analyses qualitatives transversales et complémentaires

Les analyses qualitatives menées ont été pensées pour mettre en valeur la richesse des mises en mots des informateurs et révéler les mécanismes de constitution d’un comportement linguistique particulier. Une fois les données orales transcrites en données textuelles, j’ai donc effectué l’analyse du corpus définitif en plusieurs étapes. La partie « Parents » du corpus a fait l’objet d’une analyse de contenu thématique transversale à l’ensemble des entretiens, puis de Méthodologie d’analyse des données et présentation des informateurs 164 différentes analyses de discours. Les deux grandes parties du corpus (« Parents » et « Enfants ») ont ensuite été traitées simultanément dans le cadre d’analyses comparatives intra-discours. Pour ces traitements, l’analyse de contenu et l’analyse de discours, entendues comme deux méthodologies distinctes et complémentaires, se sont révélées adaptées aux objectifs fixés afin de rendre compte de l’ampleur et de la com.plexité d’un processus. La sélection de différentes approches relèveégalement de la volonté précédemment exprimée d’avoir recours à la triangulation méthodologique pour mener cette recherche.

Analyse de contenu 

La définition de la notion d’analyse de contenu, (désormais AC), pose des difficultés en ce qu’elle recouvre en sciences humaines différentes acceptations plus ou moins larges. L’AC, en tant que méthode d’analyse des données en sciences humaines et sociales, a connu plusieurs périodes dans son développement, liées à des évolutions sur les plans théorique et méthodologique (Bardin, 1977 ; Robert & Bouillaguet, 2007). Au début du XXème siècle, l’AC émerge aux Etats-Unis à partir de travaux de classification thématique de la presse américaine. L’approche est essentiellement quantitative et devient utilitariste avec l’arrivée de l’étude de la propagande lors de la Première et surtout de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1940 à 1950, l’AC progresse à deux niveaux. D’une part, elle s’ouvre à d’autres domaines d’application, notamment en psychologie. D’autre part, au niveau méthodologique, des règles d’analyse sont formalisées, marquées par un souci d’objectivité et de systématisme de la part des chercheurs. Berelson (1948) définit alors l’AC comme : « une technique de recherche pour la description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste de la communication » (cité par Bardin, 2007 [1977] : 21). Bien que remise en question par les américains, en particulier grâce aux apports d’autres disciplines, cette approche restrictive de l’AC prévaudra en France jusque dans les années 1970. Les années 1950-1960 sont marquées par des questionnements épistémologiques et méthodologiques. Les positionnements évoluent vers une plus grande souplesse quant à la notion d’objectivité et surtout, comme le souligne Laurence Bardin, l’AC prend conscience de sa fonction d’inférence (1997 : 25). A partir des années 1970, plusieurs phénomènes vont renouveler l’AC. Les progrès informatiques et le recours à cette technologie pour des analyses de corpus plus vastes, et l’association à des travaux linguistiques y participent plus particulièrement. Dans une acceptation contemporaine, l’AC se définit donc de manière plus large comme : 165 « Un ensemble de techniques d’analyse des communications, visant, par des procédures systématiques et objectives des descriptions du contenu des messages, à obtenir des indicateurs (quantitatifs ou non) permettant l’inférence de connaissances relatives aux conditions de production/réception (variables inférées de ces messages » (Bardin, 1977 : 47) Cependant, dans le cadre de cette thèse, l’AC a été pensée comme l’une des phases d’une méthodologie d’analyse qualitative des données, complétée ensuite par des analyses de discours manuelles et informatisées. En cela, la notion d’AC est entendue dans son acceptation restreinte. Il s’agit d’un « instrument d’analyse des communications » (Bardin, 1977 :15) parmi d’autres. Le terme de communication est à entendre ici comme tout type de productions verbales (orales ou écrites). Cette première phase d’analyse a donc été choisie pour appréhender un vaste corpus dans son ensemble afin de repérer de grandes tendances dans la structuration des motivations parentales à effectuer ce choix de la langue bretonne par le biais de la scolarisation pour le jeune enfant. C’est avant tout la visée déductive, la fonction d’inférence de l’AC, en tant que « procédure intermédiaire » (Bardin, 1977 : 43) entre la phase de description et la phase d’interprétation des données, qui m’a conduite vers l’utilisation de cette méthodologie pour l’analyse des mises en mots parentales de mon corpus. Parmi les techniques de l’AC, ma démarche s’est donc concentrée sur la méthodologie d’analyse thématique afin de « repérer des ‘noyaux’ de sens qui composent la communication et dont la présence ou la fréquence d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif analytique choisi » (Bardin, 1977 :137). L’objectif de cette utilisation est alors d’inférer, à partir de la classification thématique des mises en mots de ces parents, des informations sur les représentations à l’origine de politiques linguistiques familiales particulières. Je présente le fonctionnement détaillé de cet outil d’analyse et les adaptations effectuées en fonction de ma recherche avant les résultats de cette première analyse qualitative (cf. chapitre 6).

Analyses de discours 

Le champ de l’analyse de discours (désormais AD) est également difficile à circonscrire dans la mesure où il est, selon les points de vue, une méthode partagée par plusieurs disciplines des sciences humaines ou une discipline à part entière, voire un mélange des deux (Boutet & Maingueneau, 2005 : 16). Comme pour l’analyse de contenu, il importe de préciser les points d’ancrage théoriques et méthodologiques de l’AD retenus et de présenter son utilisation pour le traitement des données du corpus. Historiquement centrée sur l’écrit et en particulier les discours politiques, 166 l’analyse de discours s’ouvre aux corpus oraux grâce aux travaux de sociolinguistes tels que Labov qui analyse les discours des jeunes des ghettos de Harlem ou Gumperz en sociolinguistique interactionnelle. Jeanne-Marie Barbéris précise que « l’intérêt accordé à l’oral, et à l’interaction en face à face, est venu essentiellement de l’influence OutreAtlantique » (1999 : 126). En effet, l’AD a connu deux développements distincts en France et aux Etats-Unis. A l’anglo-saxonne, elle est proche de l’analyse conversationnelle (Sacks, 1995) et des travaux d’ethnométhodologie (Garfinkel, 2007). En France, l’AD s’est développée dans les années 1970, sous l’influence des travaux de Zelling S. Harris (1952) et du projet de sémiotique d’Algirdas J. Greimas (1966). Tous deux développent une approche distributionnelle des éléments du discours mais pour Z. S. Harris l’attention se porte sur la syntaxe, alors qu’A.J Greimas se concentre sur les aspects sémantiques du discours. L’un des apports fondamentaux de l’AD est d’avoir pris le parti de « dépasser le cadre phrasique (c’est-à-dire l’analyse des constituants de la phrase et des schémas de phrase) au profit d’un objet plus vaste : le discours » (Sarfati, 2012 [1997] : 12). L’AD, contrairement à l’approche linguistique structurale, cherche donc à étudier la production du sens d’un discours comme un tout cohérent dont les éléments sont interdépendants. Par ailleurs, le discours est analysé dans son contexte énonciatif, c’est-à-dire en rapport avec la situation d’interaction, les interlocuteurs eux-mêmes et le contexte social global : « Ces énonciations individuelles ne sauraient être envisagées indépendamment des conditions sociales, politiques, institutionnelles, historiques, psychologiques, dans le cadre desquelles elles sont produites et qui les déterminent. Ainsi, le terme de discours réfère également aux productions verbales en tant qu’actualisation d’un genre (le discours pédagogique, le commentaire sportif), ou comme expression d’un groupe, d’une institution, d’une idéologie (le discours du Parti communiste, les instructions officielles du ministère de l’Education, le discours des taggers, le discours raciste…) » (Salazar Orvig, 2003 : 272). Il est alors question de contextualisation de ces productions langagières et d’interdiscours selon la formulation de Michel Pêcheux, qui rejoint la notion bakhtinienne de dialogisme dans laquelle tout discours est traversé de références à d’autres discours. Aussi, plusieurs approches, hétérogènes et complémentaires, se sont développées en AD à partir de ces conceptions du discours, dont l’ouvrage de Dominique Maingueneau (1976) donne un premier aperçu, non exhaustif : – les approches lexicologiques quantitatives avec, entre autres, les travaux de lexicométrie de l’école nationale supérieure de Saint-Cloud et le développement de l’analyse factorielle des correspondances (J. P. Benzécri), et non quantitatives 167 (approches sémantiques des unités lexicales du discours), – les approches syntaxiques dont l’ « analyse automatique du discours » (AAD) de Michel Pêcheux, – les travaux sur l’énonciation, parmi lesquels ceux sur la modalisation et ceux relatifs aux actes de langage. Certaines sont plus centrées sur le fonctionnement général des discours ou des unités linguistiques au sein d’un discours révélant des types caractéristiques, d’autres sont plus en lien avec les conditions de production (l’interaction verbale), ou l’interdépendance des modes d’énonciation et du contexte social (Salazar Orvig, 2003 : 272-273). Toujours dans une conception interdisciplinaire et complexe, les analyses de discours menées dans cette thèse sont empruntées à ces différentes approches de l’AD afin de repérer dans les discours des interviewés des éléments saillants qui peuvent caractériser des registres de discours, des types de prise en charge énonciative, révélateurs de discours particuliers, de positionnements distincts dans un environnement social, un groupe, une communauté linguistique. Les mises en mots des parents ont donc fait l’objet d’analyses de discours à différents niveaux. Lors d’une première étape, j’ai effectué des analyses lexicales et syntaxiques manuelles. Je me suis attachée à repérer ce qui du point de vue formel pouvait relever de types de prise en charge énonciative communs à certains groupes sociaux, des traces discursives de représentations sociolinguistiques partagées. Pour développer cette démarche, je me suis majoritairement appuyée sur les travaux de Catherine Kerbrat-Orecchioni à propos de l’énonciation et la « subjectivité du langage » dont elle définit la problématique comme : « La recherche des procédés linguistiques (shifters, modalisateurs, termes évaluatifs, etc.) par lesquels le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message (implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui (problème de la « distance énonciative »). C’est une tentative de repérage et de description des unités, de quelque nature et de quelque niveau qu’elles soient, qui fonctionnent comme indices de l’inscription dans l’énoncé du sujet d’énonciation. » (2009 : 36) Pour chaque type de profils parentaux repéré par l’AC, j’ai ainsi cherché à dégager si certaines « unités » pouvaient caractériser un type de discours ou être communs aux autres groupes, sans me restreindre à une seule catégorie afin de mettre en lumière la richesse des discours recueillis. J’ai toutefois porté une attention particulière aux déictiques tels que les pronoms personnels, les verbes et leurs modalités, ou les marqueurs temporels, qui situent le discours par rapport à un « je, ici et maintenant », et indique l’appropriation de l’énoncé par son 168 locuteur ou sa distanciation à l’égard de celui-ci (Kerbrat-Orecchioni, ibid. : 62-63). Chaque élément mis en évidence pourrait être analysé séparément et de façon exhaustive dans des recherches ultérieures. Dans cette recherche, il s’est notamment agi de « retrouver les failles des sujets dans les failles du discours, en tant que lieu où le sens s’actualise » (Barbéris, 1999 : 146) Dans la deuxième étape, l’ensemble des entretiens « Parents » a fait l’objet d’une analyse transversale par l’utilisation d’un logiciel d’analyse statistique de données textuelles, ALCESTE dont je présente les fondements théoriques et méthodologiques dans le chapitre 7. Pourquoi choisir de réaliser une analyse des données assistée par ordinateur ? Ma première motivation concernait la prise de conscience de l’ampleur de la perte d’informations inhérente à une analyse manuelle des données d’un vaste corpus. La distanciation possible du chercheur par rapport à ces données m’attirait également. En outre, la valeur heuristique de la démarche, qui offrait la possibilité à la fois de découvrir de manière inductive d’autres aspects non analysés de mon corpus et d’obtenir une forme de confirmation ou d’infirmation des résultats obtenus manuellement, m’ont fait opter pour cette deuxième approche de mon corpus. Une fois l’ensemble de ces analyses réalisées, qui dans la pratique ont été effectuées en parallèle, les résultats obtenus ont fait l’objet d’un travail interprétatif.

Analyses comparatives intra-discours parents et enfants 

Dans un troisième mouvement, complémentaire et indispensable pour la compréhension d’un phénomène complexe de socialisation langagière et d’appropriation des langues par l’enfant, les discours transcrits des « parents » et « enfants » ont fait l’objet d’analyses comparatives de discours. Dans la pratique, les mises en mots des enfants ont donc été analysées, puis comparées à celles des parents autour de thématiques considérées comme pertinentes au regard des hypothèses de recherche et des résultats obtenus dans les chapitres 6 et 7 à propos des représentations parentales : – les représentations des pratiques ou non pratiques linguistiques familiales du breton – les représentations de l’utilité de l’enseignement/apprentissage des langues en général et de la langue bretonne en particulier. Du point de vue méthodologique, il est également important de rappeler que les entretiens réalisés avec les enfants sont des entretiens « collectifs ». Aussi, les mises en mots collectées sont à analyser comme ce que je qualifie de « réponses collectives ». En effet, il s’agit de réponses co-construites en interaction, entre pairs et avec l’enquêtrice que je suis. Lorsqu’une 169 question est abordée, les réponses des premiers influencent celles des suivants. Elles leur donnent des idées et des informations quant aux positionnements des enfants qui les émettent. En fonction, les autres enfants complètent ces premières réponses ou indiquent d’autres éléments pour s’en distancer. Par ailleurs, cette situation de groupe fait que certaines idées déjà énoncées ne sont souvent pas reprises par les autres enfants par crainte de redites, bien qu’elles puissent être partagées. Ces différents éléments sont donc à prendre en compte dans l’analyse des discours de ces enfants et à considérer lors de l’interprétation des résultats. 

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