Estimation de l’erreur globale
Nous nous intéressons dans un premier temps aux travaux réalisés sur l’estimation de l’erreur globale, c’est-à-dire l’erreur de discrétisation portant sur l’intégralité de la structure étudiée. Les méthodes associées sont présentées en distinguant deux groupes : celles dédiées aux problèmes linéaires de statique (problèmes elliptiques) et celles conçues pour les autres types de problèmes.
Les méthodes relatives aux problèmes linéaires de statique
Historiquement, ce sont les premières méthodes qui ont vu le jour dans le domaine de la vérification des calculs éléments finis. Dédiées à des modèles décrits par des équations aux dérivées partielles (EDP) elliptiques linéaires, elles s’appliquent donc à des problèmes physiques tels que ceux de thermique stationnaire ou d’élasticité linéaire. Les outils per-formants qu’elles ont fait apparaître sont maintenant largement reconnus et usités ; une revue de ces outils est donnée dans [Verfürth 1996, Ainsworth et Oden 1997a, Babu˘ska et Strouboulis 2001, Stein 2003, Ladevèze et Pelle 2004].
Pour illustrer les méthodes d’estimation d’erreur globale dans les problèmes linéaires de statique, on reprend le problème d’élasticité défini dans la partie précédente ; on s’in-téresse donc à l’estimation de ||eu||K,Ω.
La première estimation de ||eu||K,Ω est apparue dans les années 70 [Azziz et Babu˘ska 1972, Ciarlet 1978]. Elle a été qualifiée d’a priori car elle utilise uniquement les données du problème initial à résoudre (géométrie, paramètres de discrétisation . . .) et la régularité de la solution exacte inconnue (uex, σex) ; elle n’utilise donc pas la solution approchée (uh, σh) calculée. Le résultat obtenu se met sous la forme :
|| e u||K,Ω ≤ Chq (1.8)
avec :
h : taille caractéristique du maillage spatial Mh
q : coefficient positif dépendant de la régularité de la solution exacte
C : constante indépendante de h et q mais dépendant de la forme des éléments du maillage
Dans le cas d’une solution régulière, q est égal au degré maximal p d’interpolation des éléments finis. Dans le cas contraire, q = min(p, α) où α est l’ordre de la singularité de la solution du problème (α = 12 dans le cas d’une fissure).
Ces estimateurs a priori, bien que donnant une bonne information sur le taux de conver-gence de la solution approchée (uh, σh) en fonction des paramètres de discrétisation, res-tent néanmoins assez grossiers.
Par la suite, des méthodes a posteriori sont apparues, fournissant des estimateurs d’er-reur plus précis et fiables. Ces méthodes se servent de la solution approchée calculée ; elles sont donc menées en post-traitement du calcul éléments finis. On distingue trois princi-paux types de méthodes a posteriori suivant le concept (relatif aux solutions approchées) sur lequel elles s’appuient : les défauts d’équilibre, les défauts de régularité et l’erreur sur le comportement.
Méthodes basées sur les défauts d’équilibre
Introduites par Babu˘ska & Rheinboldt [Babu˘ska et Rheinboldt 1978a], ces méthodes sont aussi appelées méthodes des résidus d’équilibre car elles s’appuient sur l’équation fondamentale (1.7) qui traduit le non-respect de l’équilibre.
Méthodes implicites
Ces méthodes sont plus coûteuses que les méthodes explicites, mais elles donnent de meilleurs résultats. Elles se basent à nouveau sur (1.9) en essayant cette fois d’approximer l’erreur eu localement, par élément ou par groupe d’éléments (patchs). Des problèmes locaux annexes, dont le coût de calcul est acceptable, sont alors résolus au préalable avant d’obtenir l’estimateur θ de l’erreur globale.
Problèmes locaux par patch d’éléments
La première méthode des résidus implicite a été présentée par Babu˘ska sous le nom de « Subdomain Residual Me-thod » [Babu˘ska et Rheinboldt 1978b, Babu˘ska et Miller 1987]. L’approximation de eu y est faite sur des ensembles d’éléments ou patchs, avec des conditions limites de Diri-chlet homogènes. Chaque patch Ωi est constitué par les éléments connectés au nœud i du maillage (Figure 1.2).
Cette méthode utilisant des conditions limites de type Dirichlet au niveau des problèmes locaux (1.12) donne une sous-estimation de l’erreur réelle ||eu||K,Ω. Elle a été revisitée par la suite pour obtenir des estimateurs qui soient des majorants de ||eu||K,Ω :
– dans [Strouboulis et Haque 1992], on applique des conditions de Neumann sur les problèmes locaux ;
– dans [Carstensen et Funken 2000, Morin et al. 2001, Prudhomme et al. 2004, Pares et al. 2006b], on utilise la partition d’unité de façon à résoudre des problèmes locaux auto-équilibrés. Les sauts d’effort t entre les éléments n’ont alors pas besoin d’être calculés (« flux-free method »), ce qui est très avantageux du point de vue du coût de calcul ou lorsqu’on utilise des méthodes d’approximation sans maillage.
Problèmes locaux par élément En 1984, Demkowicz & al ont intro-duit la « Element Residual Method (ERM) », basée sur la résolution de problèmes locaux définis par élément avec des conditions limites de Neumann [Demkowicz et al. 1984].
Quelques remarques (i) Dans toutes ces méthodes implicites avec ré-solution de problèmes locaux, on obtient des résultats théoriques de la forme : Cθ ≤ ||eu||K,Ω ≤ C′θ
uniquement si les problèmes locaux (1.12) ou (1.13) sont résolus exactement. C’est particulièrement le cas pour les bornes garanties de l’erreur globale lorsque les problèmes locaux ont des conditions limites de Neumann. Cependant, en pratique, on ne trouve qu’une approximation vih (resp. vEh) de v i (resp. vE ) donc les résultats théoriques ne sont vrais qu’asymptotiquement i.e. lorsque le maillage devient très fin.
Une première façon de remédier à ce problème est de ne pas estimer l’erreur vraie ||eu||K,Ω mais une approximation de celle-ci [Huerta et Diez 2000]. L’approximation consiste à prendre pour solution de référence uex la solution u˜ obtenue à partir d’un maillage M˜ très fin.
Ces méthodes simples ne sont malheureusement pas très performantes, en particulier lorsque le maillage est assez grossier ou lorsque les éléments sont d’ordre élevé. Elles sont pourtant très répandues et populaires dans l’ingénierie, car le coût de calcul qu’elles en-gendrent est très faible et elles peuvent s’appliquer à tout type de problème.
Méthodes basées sur l’erreur de comportement
Ces méthodes, qui rentrent dans le groupe des méthodes implicites, donnent des bornes garanties de l’erreur globale. Elles ont été initiées par Ladevèze [Ladevèze 1975] et utilisées dans un premier temps pour les problèmes de thermique et d’élasticité linéaire en 2D [Ladevèze et al. 1991, Ladevèze 1995] avant d’être étendues à l’élasticité incompressible [Ladevèze et al. 1992] et 3D [Coorevits et al. 1997].
L’idée est de déterminer, à partir de la solution approchée du problème de référence calculée, une nouvelle solution uˆ cinématiquement admissible (CA) et σˆ statiquement admissible (SA) avant de mesurer l’erreur commise par le couple (uˆ, σˆ) au niveau de la relation de comportement. Ces méthodes ont donc un fort contenu mécanique car elles font porter le doute sur la relation de comportement qui est l’équation la moins fiable du problème de référence.