Méthodes participatives de prospective et de planification pour un développement durable

Méthodes participatives de prospective et de planification pour un développement durable

OUTILS, INSTRUMENTS, APPROCHES ET TECHNIQUES

Autant la confusion existe au niveau des contours du champ de la prospective, autant celle-ci règne aussi dans la pléthore des outils, instruments et approches mobilisés dans les exercices de prospective, mais aussi dans la planification. Si cet aspect n’est en rien un des objets de la présente étude, nous avons jugé nécessaire de passer par un très bref aperçu des outils de la prospective et de la planification afin de permettre au lecteur non-spécialiste de la question de mieux situer dans la suite de ce rapport, les références à l’un ou l’autre instrument, dans les cas analysés. Laurent Mermet distingue trois grands types d’ « outils » : la modélisation, la construction de scénarios et la participation. Ce sont globalement ces trois catégories que nous allons passer en revue, en les élargissant. Nous ferons, dans la suite de ce chapitre, une brève description des outils quantitatifs, qualitatifs, des techniques de construction de scénarios et des approches participatives utilisées dans l’élaboration des exercices de prospective et de planification. Encore une fois, ce chapitre n’a aucune vocation de classification scientifique de ces divers outils, mais en fait une énumération rapide pour des raisons purement pratiques. 

MODELES ET AUTRES OUTILS D’ANALYSE QUANTITATIVE

Il existe de nombreux exemples d’approches et d’instruments de nature quantitative. Parmi ceux-ci, on peut citer :  Les matrices d’impacts croisés (cross-impact analysis) qui étudient différents évènements futurs possibles, et leurs impacts mutuels les uns sur les autres ;  Les logiciels de choix multicritères qui aident à gérer et hiérarchiser les différents critères à prendre en compte quand ceux-ci sont trop nombreux, et à comparer les différentes options possibles et optimales lorsqu’il faut concilier des intérêts divergents ;  Le logiciel MicMac, qui permet le classement des variables et l’identification des variables-clés ;  Le logiciel Mactor, qui facilite la saisie des données et l’analyse du jeu des acteurs (estimation des rapports de forces, convergence et divergence, etc.);  Les simulations et les jeux qui permettent de tester les conséquences de certains choix sur un système ;  Les projections de tendances ;  Etc. Les deux derniers exemples sont typiquement liés à l’élaboration et l’utilisation de modèles informatiques. Dans certains exercices de prospective, ce sont ceux-ci qui vont par exemple fournir une part importante des dynamiques temporelles caractéristiques du système étudié. MERMET, Laurent, (dir.), Prospectives pour l’environnement, Quelles recherches? Quelles ressources ? Quelles méthodes?, Comme nous l’avons vu, la modélisation trouve son origine dans le domaine militaire et dans le développement de l’approche systémique. Celle-ci naît du constat de la complexité croissante du réel. Elle vise à identifier l’ensemble des éléments qui composent un système donné, mais surtout à repérer l’ensemble des relations que ces éléments entretiennent entre eux et avec l’environnement extérieur au système analysé. Un modèle est donc la représentation d’un objet du monde réel et de son fonctionnement, dans le but notamment d’être capable d’en prédire le comportement.50 Les limites de la modélisation proviennent de la grande complexité de la réalité et du fait qu’il est peu probable de parvenir à identifier l’ensemble des variables et relations existantes pour un système donné. Les modèles sont donc toujours imparfaits. La croyance en une capacité quasi-magique de ces « boîtes noires » à prédire le futur a conduit à d’énormes désillusions et au rejet, durant une période, de ces formes de représentation de la réalité. Il est important de comprendre que les résultats fournis par ce type de modèle sont avant tout le fruit de débats qui se déroulent tout au long de leur construction, et de choix posés sur base de connaissances scientifiques mais aussi sur base d’une certaine conception du monde. Ce ne sont donc pas seulement les résultats du modèle qui constituent un apport, mais également les débats que le modèle lui-même a suscités et nourris au long de sa construction. Parallèlement, les débats et discussions menés lors de la construction et de la calibration des modèles contribuent autant à sa solidité scientifique qu’à son acception sociétale : si l’interprétation du monde, inhérente au modèle, repose sur une appréciation commune et différenciée, le modèle lui-même peut développer une certaine pertinence sociétale. Un exemple qui fait date dans ce domaine est le modèle World 3 à la base du Rapport Meadows, „Limits to Growth’. Indépendamment du rapport et des résultats qui ont suscité de nombreuses controverses, c’est la transparence du processus qui a permis des débats ouverts et une critique fondée et constructive pour les recherches ultérieures.

QUELQUES TECHNIQUES D’ANALYSE QUALITATIVE

Les techniques « qualitatives » auxquels recourent la prospective et la planification ont pour fonction de structurer la pensée, la réflexion et l’échange afin de tirer un maximum des personnes en présence, d’agencer les résultats de manière à entrevoir plus facilement de nouvelles idées, etc.  L’approche la plus connue est celle du brainstorming. Il s’agit d’un espace de libre réflexion qui consiste à encourager les participants à émettre le plus d’idées possibles, et à lister celles-ci sans jugements, ni sélection. Le but est de réduire les inhibitions et de stimuler la créativité, avant de passer à un débat plus rigoureux sur les idées émises.  L’arbre de pertinence est une technique analytique, qui, pour faciliter une compréhension plus complète d’un sujet et une déduction des exigences pour parvenir à un résultat particulier, présente les différents aspects d’un système ou d’un problème, en le subdivisant en sujets de plus en plus petits et en les représentant sous la forme d’un diagramme semblable à un arbre.L’analyse morphologique facilite l’analyse systématique d’un sujet, ainsi que la réflexion latérale sur des moyens alternatifs de relever les défis, en structurant les options afin d’obtenir une perspective globale des solutions possibles.  L’analyse des stratégies d’acteurs (goal analysis) fournit un cadre pour prendre en compte les motivations des différents acteurs. Cela implique d’identifier les parties prenantes, d’évaluer l’importance que chaque groupe accorde à la problématique, leur influence relative potentielle, etc.  La Content Analysis consiste à analyser la place d’un sujet particulier dans les médias et la manière dont son traitement évolue.  Le diagramme d’arborescence.  L’analyse d’impacts croisés.  Les techniques de visualisation.  Etc. 

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TECHNIQUES DE SCENARIOS

Nous avons déjà pu constater que la genèse et le développement des scénarios et de la prospective en général se croisent et se confondent parfois. Le terme « scénario » est introduit par Herman Kahn vers 1960. Après une première période de développement au sein du secteur militaire, les méthodes de scénario s’exportent dans les administrations et les entreprises et connaissent une période d’essor dans les années soixante et septante. Au départ, il s’agit essentiellement de « formes littéraires permettant d’illustrer une idée à portée prospective ». Dans les années septante et quatre-vingt, les liens avec la systémique, la recherche de cohérence et d’exploration systématique permettent le développement de multiples méthodes de construction de scénarios, conduisant à des définitions variées.  Kahn et Wiener mettent l’accent sur l’enchaînement logique d’événements à portée décisionnelle : « Les scénarios sont des séquences d’événements hypothétiques construites pour mettre en évidence des processus causaux et les enjeux de décisions. » 51  Schwartz insiste sur la dimension narrative et interprétative des scénarios : « Les scénarios sont des histoires et des mythes sur le futur ». 52  Van Asselt (et alii) met l’accent sur la mise en évidence d’alternatives, de bifurcations résultant de l’indétermination du futur : « Les scénarios sont des descriptions archétypales d’images alternatives du futur issues de représentations mentales ou de modèles qui reflètent des appréhensions différentes du passé, du présent et du futur. » 53 La construction de scénarios implique donc l’enchaînement temporel logique et cohérent, d’événements, de séquences ou de processus, sur base des informations du présent ou du passé, pouvant conduire à une ou plusieurs représentations dynamiques du futur. Il faut noter malgré tout, que la technique des scénarios peut être utilisée pour construire aussi bien des « cheminements » (descriptions diachroniques), que des « images » (descriptions synchroniques).54 Le principal atout de la construction de scénarios est de mettre en évidence les interrelations existantes entre différents aspects d’un système, entre les différents évènements et leurs impacts. Les scénarios ont pour fonction principale de prendre en compte les incertitudes et de les exploiter pour envisager l’avenir, plutôt que de les ignorer. Cette technique permet l’élaboration de visions intégrées, où l’on tient compte des relations entre secteurs, entre acteurs, entre territoires ou niveaux institutionnels, etc. Par ailleurs, la forme du récit a la particularité d’éveiller tant l’émotion que la réflexion en offrant à voir une réalité possible et la structure des interrelations qui la constitue. Les scénarios ont du sens principalement par rapport aux processus qui sous-tendent leur élaboration (dialogue, échange de point de vue, rapprochements) et par la réflexion qu’ils susciteront par la suite. Comme nous l’avons expliqué sur base de l’historique du développement de ce domaine, il existe de nombreuses méthodes de construction de scénarios. Pour mettre de l’ordre, des typologies, tout aussi nombreuses, ont été élaborées. Celles-ci ne se recoupent pas forcément, ajoutant ainsi à la confusion. 55 Dans le cadre de ce rapport, nous présentons une classification simple des scénarios selon qu’ils sont exploratoires ou normatifs, tendanciels ou contrastés.  La première famille, dite « scénarios exploratoires » ou « forecasting », consiste à partir de la situation présente pour se projeter dans l’avenir, sur base d’hypothèses posées sur les variables d’évolution. o On distingue, d’une part, les « scénarios tendanciels » (ou « Business As Usual », BAU), qui sont le résultat du prolongement dans l’avenir des tendances telles qu’elles se profilent à l’heure actuelle, et des dynamiques en cours. o Et d’autre part, les « scénarios exploratoires contrastés » qui posent des hypothèses contrastées sur une ou plusieurs des variables clés du cheminement.  La deuxième famille, dite des « scénarios normatifs » ou « backcasting », consiste à partir d’une image du futur, pour « remonter » vers le présent, en imaginant les cheminements à parcourir pour relier cette image du futur à la situation présente. Nous rejoignons donc avec cette classification, Karl H. Dreborg. Selon lui, le backcasting n’est pas une méthode, mais une approche, une manière d’aborder un problème sociétal spécifique, en particulier lorsqu’il s’agit d’une question complexe, lorsque les tendances dominantes font partie du problème et que des changements de grande envergure sont nécessaires.56 Le plus souvent un scénario normatif unique est construit, ou des « scénarios contrastés normatifs », basés sur des images souhaitées ou craintes.

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