Thématique traitée
Les arts plastiques font intégralement partie de mon futur métier d’éducatrice de l’enfance tant au niveau du personnel éducatif que de celui des enfants. En effet, une place importante est consacrée aux dessins, aux bricolages, aux poèmes, à l’imaginaire et à la créativité en général. « Dans la vie des équipes, les pratiques qui touchent à l’éveil culturel du jeune enfant font partie du quotidien : moment de musique, de danse ou de peinture proposés sous forme d’ateliers réguliers ou d’activités ponctuelles pour répondre à la demande des enfants, en fonction de leur âge et des compétences […]. »3 Durant mes stages, j’ai pu observer que les structures d’accueil étaient souvent riches en matériel (feuilles de différent(e)s formats ou couleurs, crayons, feutres, peinture, matériel de récupération) et en locaux mais qu’elles les utilisaient très peu, de manière très stricte, voire même pas du tout ! Je me suis donc interrogée sur la place qu’occupaient les arts plastiques dans ces unités d’accueil et plus particulièrement quels étaient les apprentissages des enfants lorsqu’ils réalisaient des activités / ateliers / projets créatifs.
En effet, durant mes stages, la motivation des enfants à participer à un atelier d’art plastique ou à un projet provenait rarement d’eux-mêmes mais presque uniquement des EDE. Rares étaient les jours où j’entendais un enfant demander d’accéder à la salle de créativité afin de réaliser une peinture, un dessin, un modelage ou un collage. Les structures d’accueil appellent parfois les moments d’activités plastiques « ateliers de bricolage ». Ce sont souvent des moments où les enfants sont contraints à réaliser une oeuvre selon un modèle. Dans ce cas, où est la place de leur liberté d’expression et de leur imagination ? Quant aux poésies, préalablement sélectionnées par les professionnels de l’enfance, elles étaient apprises durant l’atelier dit « imaginaire ». Mais dans ce cas-là, les enfants peuvent-ils développer leur imaginaire de façon optimale ? Par ailleurs, j’ai pu constater que les EDE agissaient de deux manières opposées. Quelquefois, les enfants étaient libres d’exercer une activité expressive tout au long de la journée. Et parfois, j’ai observé que certaines structures voyaient les arts plastiques comme une activité obligatoire : les enfants rapportent un bricolage pour Noël, un masque pour Carnaval et apprennent par coeur une poésie pour la fête des mères. En observant ces deux manières d’appréhender la créativité, des questions émergent : où se situe l’enfant ? Ses envies et ses besoins sont-ils respectés ? Ce sont principalement ces questions-là qui m’ont donné envie de réaliser mon travail de mémoire sur ce sujet.
Précisions, limites posées à la recherche
Au départ, je souhaitais me rendre dans des lieux qui appliquaient deux pédagogies en particulier : celle de Germaine Tortel et celle de Reggio Emilia. Germaine Tortel « est d’emblée intéressée par les productions des enfants pour lesquelles elle créera un centre de documentation. Elle a développé la « pédagogie de l’initiation » : il s’agit de s’appuyer sur la création plastique en articulant étroitement la réflexion individuelle et la conception collective, l’approche sensible et la construction des concepts. Le dessin [et les collages, les sculptures et les peintures] devien[nen]t ainsi un formidable vecteur d’apprentissages intellectuels et sociaux. Il permet d’entrer dans l’intelligence du monde. »5 La pédagogie de Germaine Tortel se base sur l’être total qu’est l’enfant et elle y touche tous ses aspects : affectif, social et intellectuel afin de former un être libre, autonome, conscient et responsable. Elle a surtout appliqué sa pédagogie d’initiation dans les écoles maternelles ; elle y prônait l’échange enseignant / élève. Elle est principalement fondée sur l’expression dans toutes ses formes et l’écoute de l’enfant. Tout ce qu’il raconte est pris en compte et valorisé. Elle tend à développer le potentiel ancré en chaque enfant et à en tirer ses forces cachées. Tout devrait partir de l’enfant et non de l’éducateur.
Afin d’évoluer, les enfants doivent être confrontés au monde pour entrer en relation avec ce dernier afin de grandir et de s’épanouir pleinement. Selon la pédagogie tortelienne, il faut que l’enfant lui donne un sens par les arts. Loris Malaguzzi a développé l’approche Reggio Emilia en Italie à la fin de la deuxième Guerre Mondiale. « Dans leurs établissements, les acteurs reggians proposent une éducation dite alternative qui affiche comme objectif la lutte contre la routine à l’école, la défense et la promotion des droits et des potentialités de tous les enfants. Ils mettent l’accent sur des principes divers et multiples comme la recherche, la créativité, l’esthétique, pour favoriser le dialogue, la participation de la population locale, les citoyens. Il s’agit d’une communauté réellement impliquée dans l’éducation des plus jeunes, des 0 à 6 ans.»6 La théorie la plus connue de Reggio Emilia est celle des « cent langages » de l’enfant. Par « cent langages », on entend les multiples possibilités qu’ont les enfants pour s’exprimer : le langage classique (parole, écriture), graphique, corporel, des sons. La totalité de ces langages doivent être exploités. Pour ce faire, il faut leur laisser suffisamment d’espace afin qu’ils les expriment librement sans contrainte ni barrière. Malheureusement, aucune des structures ou ateliers de Suisse Romande n’applique ces pédagogies, à ma connaissance. J’ai donc sélectionné mes lieux d’entretiens non pas en fonction de leur concept pédagogique, mais en fonction de l’application des arts plastiques. C’est-à-dire que j’ai interrogé des professionnelles de l’enfance pratiquant une pédagogie éclectique et qui intègrent quotidiennement les activités plastiques dans leur programme. J’ai décidé de cibler la tranche d’âge des enfants de un à cinq ans car c’est en effet durant cet âge que les activités plastiques sont les plus courantes et que les évolutions en termes d’apprentissages sont les plus flagrantes.
Les arts plastiques « En arts plastiques, domaine de l’éveil des sens, chacun adopte une approche différente selon ses relations avec la matière, les outils, les concepts… De ce contact spontané avec les matériaux et les outils naîtront des sensations, des émotions. Celles-ci, motivantes et incitatrices, permettent à chacun de reconnaître et d’appréhender la réalité par ses sens mais aussi de découvrir de façon fortuite son pouvoir d’intervention sur la matière. C’est une rencontre sensorielle (odeur, toucher, audition), gestuelle (mouvement, rythme, espace), affective (souvenirs…) avec les matériaux qui engendre l’élan créateur.7 » En effet, de par les arts plastiques, chaque personne développe des sensations, des émotions et découvre le monde à sa manière. Chacun les appréhende et les exprime différemment. Ces différentes expériences peuvent se faire au travers d’un portrait au fusain, de jets de peinture à la Jackson Pollock, au moyen d’une sculpture telle que la faisait Auguste Rodin, ou alors d’un collage réalisé en unité d’accueil. En s’adonnant aux arts plastiques, les enfants développent leur imagination grâce à leurs propres expériences.
Tout nous est permis lorsque nous sommes en phase de création : colorier un éléphant en vert, découper des lignes en zigzag, dessiner un carré blanc sur fond blanc. Gottfried Tritten, dans son ouvrage « Mains d’enfants, mains créatrices : guide pratique de l’activité créatrice et de l’expression artistique chez l’enfant » l’explicite bien : « Le fondement de l’imagination est l’expérience vécue. Chez l’enfant, le besoin d’expérimenter naît de son besoin de s’identifier à l’univers qui l’entoure. Il voudrait maîtriser la réalité. »8 Durant ces moments de création, le temps s’arrête. Effectivement, la notion du temps disparaît lorsqu’une personne crée / façonne / modèle quelque chose. Il faut donc s’assurer que cette notion ne soit pas un frein à l’élan artistique d’une personne. Pour pouvoir comprendre les arts plastiques et se les approprier, il faut être ouvert d’esprit, tendre à rester le plus objectif possible et ne pas critiquer le résultat obtenu. Effectivement, ce qui est beau pour certains ne l’est pas forcément pour les autres. On le sait, l’art est subjectif et peut parfois choquer certaines personnes. En effet, selon le vieil adage de Georges Braque, « l’art est fait pour troubler, la science rassure.» Par contre, en aucun cas l’utilisation des arts plastiques dans les structures d’accueil n’a pour but de former des enfants artistes, « mais de les aider tous à s’exprimer, à être créatifs et à le rester par la rencontre avec des adultes qui reconnaissent et encouragent cette créativité. »9
Apprentissage des enfants de un à cinq ans
Selon Erickson, entre un et trois ans, les enfants se situent entre un désir d’autonomie et de doute quant à leurs capacités. Durant ce stade, ils deviennent habiles dans leurs déplacements, explorent leur environnement et agissent de manière autonome. Il est donc important de laisser la possibilité aux enfants de faire par eux-mêmes lorsque les tâches qui leur sont confiées sont à leur portée. Si les adultes ne reconnaissent pas leurs capacités, les enfants finiront par douter d’eux-mêmes et éprouveront parfois de la honte. Les enfants s’affirment de plus en plus et s’opposent aux demandes des adultes. Cela renforce donc leur quête de l’autonomie. Entre trois et cinq ans, les enfants tentent de conquérir le monde autour d’eux. Ils vont prendre des initiatives : soit ils vont être félicités, soit les adultes vont intervenir en les grondant et ils vont culpabiliser. Cette culpabilité est nécessaire pour acquérir une conscience et une maîtrise de soi. Mais en avoir trop peut inhiber leur créativité et leurs interactions spontanées avec les autres. Dans ce stade, l’objectif des enfants est de se fixer des buts venant de leur propre initiative et qu’ils soient capables de les atteindre sans crainte. En parallèle de la construction de leur identité, les enfants développent également leur motricité, tant globale que fine.
En effet, « plusieurs facteurs influencent le développement psychomoteur de l’enfant. Tout d’abord, la maturation neurologique joue un rôle essentiel. […] le système nerveux se complexifie au cours de l’enfance. Le développement des circuits neuronaux permet un contrôle de plus en plus fin des mouvements, ceux de la main lors d’activités de bricolage par exemple, et fait en sorte qu’ils sont de mieux en mieux adaptés aux contraintes de l’environnement. Manipuler de la pâte à modeler ne requiert pas la même force ni le même doigté que bricoler avec du papier de soie. En grandissant, l’enfant sera capable d’adapter ses mouvements au contexte dans lequel il les produit, c’est-à-dire qu’il pourra, dans l’exemple du bricolage, ajuster sa force et affiner sa coordination selon le matériel manipulé. »10 Pour ce faire, il est donc non seulement important que le matériel soit riche et varié par leur texture, leur poids, leur couleur, leur volume afin que leur développement sensorimoteur soit optimal mais aussi qu’ils aient la possibilité de le manipuler dans un lieu sécurisant et sécurisé : « [..] l’environnement dans lequel vit l’enfant est un autre facteur qui influence son développement psychomoteur. Pour que l’enfant développe sa motricité, il faut qu’il ait l’occasion de l’exercer. Ainsi, il deviendra plus adroit dans ses manipulations s’il a la possibilité d’explorer des objets de formes, de grosseurs et de textures variées »11 Voici quelques idées de progression des enfants de douze mois à cinq ans dans les arts plastiques:
1. Introduction |