Le bonheur est-il un phénomène adapté sur le plan de l’évolution ?
Si l’homme a la capacité d’être heureux, cela est-il un phénomène adapté sur le plan de l’évolution ? En d’autres mots, le bonheur est-il bénéfique ou peut-il nuire sur certains points au développement de l’être humain ? Selon Barbara Frederickson, les avantages adaptatifs engendrés par les sentiments positifs, sont d’élargir le répertoire de pensées-actions des individus et de développer leurs ressources intellectuelles, psychologiques, sociales et physiques au cours du temps. Ces dires sont appuyés par plusieurs études scientifiques sur le lien entre le bonheur et la performance intellectuelle dont celles de Diener et Seligman. En effet, « les émotions positives augmentent la tendance à s’engager dans des activités variées. La joie et le bonheur, par exemple, poussent les individus à interagir et à jouer alors que l’intérêt motive à explorer l’environnement. Ainsi, selon une étude de Cunnigham (1988), les personnes chez lesquelles on induit des émotions positives rapportent un intérêt plus marqué à se lancer dans un grand nombre d’activités sociales, physiques ou de loisirs et sont plus enclines à initier la conversation avec autrui que les personnes dans un état négatif ou neutre. Par ailleurs, les émotions positives facilitent les comportements d’aide et de coopération » (QUOIDBACH, 2014, p.22).
Plusieurs études scientifiques démontrent que le bonheur a aussi une influence favorable sur la santé. Notamment, celle effectuée par Danner, Snowdon et Friesen (2001) a démontré « que le contenu affectif positif d’autobiographies manuscrites de soeurs catholiques, rédigées quand elles avaient 22 ans en moyenne, permettait de prédire leur longévité six décennies plus tard » (DIENER, 2011, p.67). En effet, « alors que les conditions de vie de ces soeurs étaient comparables, l’espérance de vie des différents groupes était très différente : 20% des soeurs éprouvant peu d’émotions positives à l’âge de 20 ans ont atteint 95 ans, comparativement à 50% des soeurs vivant beaucoup d’émotions positives au même âge » (LECOMTE, 2014, p.24). De plus, selon d’autres études faites par Brehm et Rahn (1997) et James et Chymis (2004), « les individus qui rapportent une satisfaction de vie élevée manifestent une confiance généralisée envers autrui et quand on leur demande dans quelle mesure ils trouvent justifiables des scénarios éthiques hypothétiques (comme acheter un objet volé ou éviter de payer son billet dans les transports publics), les participants dont le niveau de bonheur est plus élevé répondent de manière plus éthique. De plus, comme Tov et Diener (2007) le soulignent dans leur analyse, la relation vertueuse entre le bonheur et des résultats socialement désirables se vérifie également sur le plan national. Les pays les plus heureux manifestent des niveaux plus élevés de confiance généralisée, de bénévolat et d’attitudes démocratiques » (DIENER, 2011, p.68).
Enfin, les « émotions positives et nouvelles ressources sont également reliées entre elles dans un cercle vertueux : les émotions positives conduisent l’individu à construire de nouvelles ressources qui, à leur tour, élargissent les opportunités de vivre des émotions positives. Une étude récente de Barbara Fredrickson et de ses collègues (2008) illustre ce phénomène. Les participants devaient suivre un programme de dix semaines basé sur une forme de méditation visant à induire, quotidiennement, des émotions de gratitude, d’amour et de tendresse. Au fil des semaines, l’expérience répétée de ces émotions positives amenait les participants à se sentir plus compétents, mieux dans leur peau et à envisager un plus grand nombre de manières d’atteindre leurs objectifs. En outre, leurs relations avec les autres s’amélioraient et ils recevaient davantage de soutien social. En retour, ces nouvelles ressources augmentaient la satisfaction et la qualité de vie des participants » (QUOIDBACH, 2014, p.25).
Au vu de toutes ces informations, on peut donc en déduire que le bonheur est bien un phénomène adapté sur le plan de l’évolution. Toutefois, Ilona Boniwell remarque avec justesse que les émotions négatives apportent elles aussi des effets positifs et qu’il ne faut pas les négliger. Le rapport idéal d’émotions négatives et positives étant de 3/4 d’émotions positives et d’1/4 d’émotions négatives. En effet, trop d’émotions négatives amènent à l’apathie et trop peu peuvent avoir des effets dangereux et contre productifs selon Barbara L. Fedrickson (2004). Ainsi, selon Richard Lazarus (2003), les émotions négatives peuvent nous aider à faire naître des changements de personnalité fondamentaux, nous mettre en contact avec ce qu’il y a de plus profond en nous-mêmes, nous permettre d’acquérir la sagesse, même, selon Polly Young-Eisendrath (2003), à travers la souffrance et la perte. Les émotions négatives peuvent aussi « avoir des conséquences sociales positives, comme la modestie, les considérations morales, l’attention aux autres et l’empathie » (BONIWELL, 2012, p.27).
Le cadre théorique de l’espoir dans la pratique professionnelle de l’EDE
Concernant la fixation de but, l’EDE peut proposer un choix varié d’activités aux enfants afin qu’ils aient différentes occasions d’expérimenter des réussites dans les activités qu’ils ont à disposition. Ces activités devront correspondre au niveau d’aptitude des enfants car des activités trop difficiles ou trop faciles ne favorisent pas l’espoir chez ceux-ci. Les activités proposées devront aussi répondre à leurs différents intérêts. Pour cela, une bonne connaissance de chaque enfant est capitale, d’où l’importance des observations que l’EDE est amené à faire dans sa pratique professionnelle. L’EDE peut aussi être attentif à souligner verbalement les progrès et réussites de l’enfant afin de l’aider à en prendre conscience et à lui donner le goût d’aller jusqu’au bout de ses actions. L’EDE peut également vérifier que les objectifs obéissent à une volonté propre de l’individu et non pas à celle de ses parents, de ses amis… En effet, selon Sheldon et Elliot (1999) des buts imposés par d’autres sont synonymes de moindre satisfaction alors que l’atteinte de buts personnels augmente leur niveau de bien-être (MARTIN-KRUMM, 2011). Tout d’abord, cela peut se faire en veillant à proposer et non à imposer toutes les activités que l’on met à disposition des enfants. Par exemple, lorsqu’une éducatrice propose une animation, les enfants devraient toujours être libres d’y participer ou de tout simplement jouer avec les jeux mis à disposition dans la salle pendant que les autres enfants prennent part à l’activité proposée. Une bonne variété d’activités me semble aussi importante pour cela. L’EDE peut aussi stimuler l’imagination de l’enfant quant aux différents moyens qu’il est possible de mettre en oeuvre pour atteindre ses objectifs et ne pas le limiter en lui disant ce qui est bien ou pas. Afin de garder une attitude non-jugeante quant aux actes des enfants, il me semble utile de garder à l’esprit la citation du philosophe Pascale (déjà cité dans le chapitre 2.2.1) qui dit que « tous les hommes cherchent à être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient… » (DIENER, 2011, p.66).
En effet, même si l’enfant qui frappe son camarade ou qui s’emporte de manière disproportionnée peut donner l’impression d’avoir de mauvaises intentions ; il est fort à parier que derrière cela se cache tout de même une intention positive tel que « pouvoir jouer avec ce qui me plaît » ou « me décharger de mon agressivité ». Aider l’enfant à prendre conscience de l’intention première qui se cache derrière des actes non-adaptés à la vie en société et l’aider à trouver une stratégie adaptée pour la réaliser peut être un bon moyen pour stimuler son imagination quant aux différents moyens qu’il est possible de mettre en oeuvre pour atteindre ses objectifs sans émettre de jugement sur ses actes. Les buts d’approche donnant plus d’espoir que les buts d’évitement, l’EDE peut, premièrement, amener l’enfant qui exprime des buts d’évitement à réfléchir aux buts d’approche y correspondant. Par exemple, je pense à l’enfant qui exprime très bien ce qu’il ne veut pas mais très peu ce qu’il veut. Cela peut donc se faire en l’amenant à réfléchir à ce qu’il veut dans ce qu’il ne veut pas et à la manière dont il pourrait s’y prendre pour atteindre ses objectifs reformulés de façon positive. Deuxièmement, cela peut se faire en donnant aux enfants des exemples positifs auxquels ils peuvent s’identifier.
Cela peut passer par des histoires de divers héros que l’on peut leur raconter ou qui peuvent être mises à leur disposition ou par l’exemple que l’EDE peut donner lui-même. Cela peut aussi se faire, plus simplement, en donnant ses consignes de façon positive et non de façon négative (par exemple en disant : « Marchez dans la salle » plutôt que : « Ne courez pas dans la salle »). Enfin, l’EDE peut faire confectionner aux enfants un poster de tout ce qu’ils aiment faire afin de les aider à trouver plus facilement des buts d’approche par la suite. Lorsque l’EDE accompagne un enfant dans l’élaboration de ses objectifs de façon positive, il peut aussi être attentif au fait que des critères précis permettent de mieux définir quand un objectif est atteint ou non et que des objectifs concrets et non abstraits favorisent l’espoir car ils prennent moins de temps à réaliser (MARTIN-KRUMM, 2011). Il peut ainsi faire réfléchir l’enfant à ce fait et l’amener à trouver des moyens concrets et non abstraits pour réaliser ses objectifs et pouvoir ainsi bénéficier plus facilement de la gratification d’avoir atteint un objectif.
La « recette du bonheur » Dans le cadre de sa pratique professionnelle, l’EDE peut proposer aux enfants dont il s’occupe de se fabriquer leur propre recette du bonheur. Selon le désir de l’enfant, celle-ci peut comprendre ce qui rend l’enfant naturellement heureux (le souvenir de bon moments passés, ses hobbies, ses personnes ressources…) et ce que l’enfant peut faire pour augmenter son propre bonheur (stratégies pour être plus heureux, projets qu’il peut avoir pour l’avenir…). Afin d’aider l’enfant à fabriquer sa propre « recette du bonheur », l’EDE peut mettre à sa disposition des images diverses et variées pour l’aider à prendre conscience de ce qui le rend heureux et de ce qu’il est possible de faire pour augmenter son propre bonheur. Ces images peuvent représenter différentes choses que l’enfant est susceptible d’aimer faire, les «outils» pour augmenter le bonheur présentés dans ce travail de mémoire mais aussi des images représentant la classification des forces et des vertus. En effet, la classification des forces et des vertus de Christopher Peterson et Martin Seligman (appelé aussi dé-DSM, en opposition au DSM qui est le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux) décrit les forces de caractère importantes et leur évaluation en tant que différences individuelles. Cette classification comprend 6 vertus essentielles (sagesses et connaissances, courage, humanité, justice, modération et transcendance) et 24 traits de positifs qui en découlent (cf. annexe I) (BONIWELL, 2012).
Si ces supports ne suffisent pas pour que l’enfant trouve des idées par lui-même, l’EDE peut aussi le questionner au sujet de ce qu’il connaît de l’enfant et au sujet de ce que l’enfant ressent par rapport aux images mises à sa disposition. Donner des idées concernant la « recette du bonheur » peut aussi se faire dans le quotidien. Ainsi, l’EDE peut être attentif à ce qu’expérimente l’enfant au quotidien et lui dire, par exemple : « Comment t’es-tu senti lorsque tu as fait telle ou telle chose ? Est-ce que tu penses que ce pourrait être un bon élément pour ta recette du bonheur ? » Une fois la « recette du bonheur » créée, elle peut être affichée au mur ou contenue dans une boîte que l’enfant aura à disposition en cas de besoin. Si l’enfant est confronté à une difficulté émotionnelle, ce peut être l’occasion pour l’EDE de l’inviter à voir ce qui se trouve dans sa « recette du bonheur » qui peut être susceptible de l’aider
1. Introduction |