Point de départ de la réflexion présentée dans cette thèse
Les espaces naturels protégés sont aujourd’hui la pierre angulaire de presque toutes les stratégies nationales et internationales de conservation de la nature (Dudley, 2008). Ils jouent un rôle primordial dans le maintien des services des écosystèmes, la diminution des impacts des catastrophes naturelles graves et la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) (UICN, 2006). Au cours des 30 dernières années, leur nombre dans le monde a considérablement augmenté. Estimés à 1000 en 1962 puis 12754 en 1997, ils étaient 102 102 en 2003, couvrant une superficie évaluée à 8.8 millions de km² (Chape et al. 2003). Actuellement, on en compterait approximativement 110 000, soit à peu près 11.60% et 1.00% respectivement des surfaces terrestre et marine (Secrétariat de la Convention sur la Diversité Biologique, 2008).
L’évolution de ces chiffres marque l’importance que les gouvernements attribuent à de tels espaces dans la mise en place de leur politique de protection, politique fondée notamment sur la signature de différents accords internationaux. Ceux-ci, portés d’abord sur la protection des espèces et des espaces puis sur la biodiversité, sont estimés à une cinquantaine depuis la fin de la seconde guerre mondiale (Babin, 2003). Les plus remarquables, particulièrement à l’échelle européenne, sont sans doute les deux textes législatifs : la Directive 79/409/CEE dite Directives Oiseaux et la Directive 92/43/CEE ou Directives Habitats et les quatre conventions internationales : les conventions Ramsar, de Berne, Bonn et celle sur la Diversité Biologique (CDB) (Bennett et Ligthart, 2001). A ces accords, il convient d’ajouter aussi le « Programme de travail sur les aires protégées », même si ce dernier est en fait inscrit dans le cadre de la CDB.
On insiste sur ce programme parce que son adoption par plus de 180 parties prenantes, dont la France, lors de la septième réunion de la Conférence des Parties (COP7) à Kuala Lumpur en 2004, est en soi un fait significatif. En effet, il marque un tournant majeur dans la manière d’améliorer l’efficacité des espaces naturels protégés en termes de conservation de la biodiversité. Désormais, ceux-ci doivent fonctionner sous forme de système, tant à l’échelle marine que terrestre (Dudley, 2008). Le programme engage ses différents signataires à créer «d’ici 2010 pour les zones terrestres et 2012 pour les zones marines, des systèmes d’aires protégées écologiquement représentatifs, bien gérés et complets», en particulier, dans le but de freiner l’érosion de la biodiversité.
Trois ans après la signature du programme par la France, dans un rapport portant sur le dispositif français des aires protégées remis au gouvernement, le Comité français de l’UICN affirme que le système d’aires protégées français est incomplet (Martinez, 2007). Pour résoudre ce problème, il recommande un renforcement du réseau, notamment en faisant un état des lieux complet des espaces protégés existants et des espaces restant à protéger afin d’établir des priorités de création d’aires protégées. Cela signifie qu’en réponse aux engagements de la France en matière de protection de la nature, le gouvernement français devra créer d’autres espaces naturels protégés afin de satisfaire les objectifs fixés à l’échelle mondiale.
Golfe du Morbihan, un territoire français susceptible d’abriter ces nouveaux espaces naturels protégés
L’un des territoires français susceptibles d’abriter ces nouveaux espaces naturels est le Golfe du Morbihan, et ce parce que :
➤ Le Golfe du Morbihan est un milieu d’une grande richesse naturelle …. Situé en Bretagne Sud, plus précisément dans le département du Morbihan, le Golfe du Morbihan est caractérisé sur le plan physique par plusieurs éléments. Sans être exhaustif, on peut citer : le nombre de rivières qui s’y déverse (3), les zones vaseuses, les marais salés, les zones humides littorales, les petites plages de sable et les fonds rocheux (Queffelec et Philippe, 2008). Grace à ses fonds sableux vaseux, il dispose d’un vaste herbier de zostères (530 ha) abritant des centaines d’espèces d’invertébrés et des millions d’alevins (Site internet Natura 2000). En termes de nombre d’espèces observables, il figure dans les premiers rangs à l’échelle bretonne voire nationale. Selon le SMVM du Golfe du Morbihan (2005), la part des peuplements animaux et végétaux terrestres qu’il recouvre équivaut, dans certains cas, à 46- 82% des espèces présentes en Bretagne et à 10-50% de celles présentes en France. Mais sa vraie réputation repose surtout sur la diversité et l’importance de son avifaune composée d’espèces abondantes et menacées. Il est d’ailleurs reconnu d’importance mondiale pour douze espèces d’oiseaux dont la Spatule, la Bernache cravant et l’Avocette (SIAGM, 1996). Il est de plus l’un des rares sites européens à accueillir chaque hiver jusqu’à 130 000 oiseaux d’eau.
➤ … soumis à une forte pression des activités humaines… Comme la plupart des milieux littoraux, le Golfe du Morbihan fait l’objet de multiples usages. Une étude réalisée par le Conseil Economique et Social Régional de Bretagne (CESR Bretagne, 2001) cité par Travers (2007) recense de manière relativement détaillée les usages associés au littoral breton, et donc à celui du Golfe du Morbihan . Il ressort de l’analyse du tableau l’existence de conflits potentiels entre les différentes activités en matière d’exploitation de la ressource et/ou d’occupation spatiale. Par exemple, pour une activité telle que la pêche embarquée, des conflits d’usage dans le golfe portent sur le partage de l’espace entre pêcheurs de loisir et pêcheurs professionnels; ces conflits s’accentuent particulièrement en été, période au cours de laquelle la saturation du plan d’eau du fait de l’augmentation du nombre de pêcheurs de loisir gêne les pêcheurs professionnels (SMVM, 2005). De même, les plaisanciers se plaignent des cultures marines, estimant que le mode d’élevage des huitres sur table les empêche d’accéder aux îles et côtes. En effet, selon la source pré-citée, pour une part importante de plaisanciers, les tables représentent un obstacle, car réduisant la surface du plan d’eau disponible, avec pour corollaires un danger pour la plaisance légère et la baignade ainsi qu’une inaccessibilité directe sur certains sites aux zones de mouillage et à certaines plages.
Il ressort également de l’analyse du tableau des menaces affectant la biodiversité. Les habitats marins sont menacés par la pêche à pied et la drague, la pêche à pied récréative, les cultures marines, les mouillages d’ancres, les extractions de granulats,… (SMVM, 2005). En ce qui concerne les habitats terrestres, la grande partie de la bande littorale est soumise à une diminution des habitats naturels, diminution due, d’une part, à la croissance démographique très rapide ayant conduit à un urbanisme peu maîtrisé, et, d’autre part, à l’agriculture (SMVM, 2005). Il en découle des problèmes touchant à la conservation des oiseaux.
Ainsi, deux principaux enjeux coexistent dans le golfe: l’enjeu de régulation de l’accès aux ressources, à l’espace et aux écosystèmes et l’enjeu de protection du patrimoine naturel, les deux constituant un enjeu économique, puisque nombre d’activités associées à ce territoire reposent sur la qualité des milieux naturels et des paysages.
➤ … et où le contexte actuel est propice à l’étude de nouvelles initiatives de protection de la nature. En raison de la richesse naturelle du golfe et de la volonté des pouvoirs publics de réguler les usages correspondants, plusieurs initiatives de protection du milieu naturel et des paysages ont été mises en œuvre sur ce territoire. Certaines de ces initiatives se résument à des instruments de connaissance du patrimoine naturel (Réseau Natura 2000, site Ramsar…), d’autres, par contre, relèvent d’actions de protection réglementaire et foncière (Réserve naturelle de Séné, Sites du Conservatoire du littoral,…) ou encore de gestion des espaces naturels (Projet de Parc Naturel Régional). Ces mesures étant largement connues, leur présentation est consignée en annexe 1. Néanmoins, dans le cadre de cette thèse, il est important d’évoquer le projet de parc dit « Parc Naturel Régional du Golfe du Morbihan » car il légitime la réflexion menée ici. Lancé en 1999 suite à une délibération du Conseil Régional de Bretagne, ce projet regroupe 38 communes du golfe (75000 hectares terrestres) et est piloté par le Syndicat Intercommunal d’Aménagement du Golfe du Morbihan (SIAGM). Il a reçu en 2009 les avis favorables du Conseil National de Protection de la Nature (CNPN), de la Fédération des Parcs et du Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer (MEEDDM). En février 2010, le projet de charte est arrêté par délibération par le comité syndical du SIAGM et approuvé ensuite (avril de la même année) par délibération du Conseil Régional de Bretagne (Faysse et al. 2010a). A la demande de ce Conseil, il a été soumis à enquête publique du 15 juin 2010 – 19 juillet 2010.
INTRODUCTION GENERALE |