Métabolisme carboné : de la photosynthèse à l’orientation du carbone

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INTRODUCTION GENERALE

Les microalgues sont des eucaryotes unicellulaires photosynthétiques vivant essentiellement en milieu aquatique. Avec les cyanobactéries et les bactéries photosynthétiques, elles constituent un ensemble appelé le « phytoplancton » qui est à la base de nombreuses chaînes alimentaires. Ces micro-organismes jouent un rôle important dans toute une gamme de processus biogéochimiques essentiels, allant de la fixation du carbone atmosphérique à la production d’oxygène, ainsi qu’au recyclage de nombreux éléments chimiques tels que l’azote et le phosphore (Falkowski et Raven, 2007; Litchman et Klausmeier, 2008). Ces micro-organismes sont considérés comme l’élément principal de « la pompe biologique du carbone inorganique ». Grâce à leur photosynthèse, ils sont responsables d’environ 50 % de la production primaire globale, bien qu’ils représentent moins de 1 % de la biomasse photosynthétique de la Terre (Field et al., 1998; Guidi et al., 2016).
Les microalgues marines ont évolué, depuis plus de 1,5 milliard d’années, dans les océans protérozoïques (Falkowski et al., 2004). Elles constituent un groupe polyphylétique très diversifié subdivisé en 14 phylums, avec plus de 72 500 espèces (Guiry, 2012). Cependant, 91 % des espèces marines ne seraient pas encore décrites (Mora et al., 2011). Les différents groupes de microalgues marines sont tous apparus à la suite d’endosymbioses primaires, secondaires, voire tertiaires (Falkowski et al., 2004; Keeling, 2013; Kroth, 2015). Dans l’océan contemporain, la plupart des microalgues marines, y compris les Cryptophytes, les Haptophytes et les diatomées (Bacillariophyta), sont des symbiotes « rouges » secondaires, dans lesquels un eucaryote photosynthétique de la lignée rouge a été phagocyté par un eucaryote non-photosynthétique (Falkowski et al., 2004). Cette évolution est à l’origine de l’existence chez ces microalgues d’un plaste entouré par quatre membranes au lieu de deux chez les plantes phanérogames, la membrane la plus externe est en relation avec le réticulum endoplasmique (RE) (Keeling, 2013). Dans ce processus, les microalgues ont acquis des gènes à partir de deux génomes eucaryotes. Par ailleurs, de plus en plus de preuves suggèrent un niveau élevé de transferts horizontaux de gènes parmi les organismes marins (Keeling et Palmer, 2008). Au cours d’une telle évolution, le génome des microalgues marines est devenu un «melting pot» de gènes (Curtis et al., 2012), à l’origine d’un réseau métabolique ressemblant à une mosaïque qui est distinct et original par rapport à celui des autres organismes photosynthétiques (Bowler et al., 2008).
Grâce à leur taille de l’ordre de quelques micromètres, leur temps de doublement cellulaire de l’ordre de quelques heures, leur forte diversité taxonomique et donc biochimique, les microalgues marines sont devenues un enjeu en recherche. Elles ont été cultivées dans le monde entier au cours des dernières décennies pour la production de biomasse pour l’aquaculture (Brown et al., 1997; Hemaiswarya et al., 2011), pour la bioremédiation de milieux pollués
(Kshirsagar, 2013), pour la fabrication de biocarburants (Schenk et al., 2008; Wijffels et Barbosa, 2010), et surtout pour la synthèse de diverses molécules à haute valeur ajoutée telles que des pigments, des antioxydants, des lipides, des acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AGPILC), issues de leur propre réseau métabolique. Les microalgues sont donc de plus en plus utilisées dans les domaines de la cosmétique, de l’agroalimentaire, de la pharmacie, etc. (Koller et al., 2014; Mimouni et al., 2012; Pulz et Gross, 2004; Spolaore et al., 2006). Les scientifiques, d’une part, utilisent des techniques de criblage à haut débit pour sélectionner des souches/espèces de microalgues prometteuses pour des applications potentielles (Mobin et Alam, 2017), et d’autre part, focalisent leur recherche sur la manipulation des microalgues à l’aide de l’ingénierie génétique et métabolique (Huang et Daboussi, 2017; Radakovits et al., 2010) ou en modulant les conditions de culture afin de réorienter le métabolisme carboné, et de favoriser la synthèse des molécules d’intérêt (Sayanova et al., 2017).
Diverses études montrent que la composition biochimique des microalgues, la quantité et la qualité des molécules d’intérêt qu’elles produisent, peuvent être affectées par les facteurs environnementaux tels que la lumière, la température, la limitation en éléments nutritifs, le stress salin, etc. (Guschina et Harwood, 2009; Harrison et al., 1990; Sayanova et al., 2017; Sukenik et Wahnon, 1991; Thompson et al., 1992a, 1992b; Zhu et al., 2016). Les différents facteurs physicochimiques peuvent agir directement et/ou de manière indirecte sur la fixation (photosynthèse), l’orientation et le stockage du carbone dans les cellules. Néanmoins, ces mécanismes demeurent largement méconnus.
L’azote (N) et le phosphore (P) sont des éléments chimiques indispensables au bon fonctionnement des organismes. Dans la nature, N est souvent considéré comme un élément limitant principal pour une grande partie de la surface des océans aux basses latitudes. La limitation en P a été mesurée en Méditerranée, dans le golfe du Mexique et en mer Rouge (Lin et al., 2016; Moore et al., 2013). Dans d’autres régions océaniques, comme l’Atlantique subtropical nord, la co-limitation en N et P a été observée (Moore et al., 2013). A cause des activités humaines, la production anthropique de N réactif a presque quintuplé au cours des 60 dernières années. En 2014, elle a atteint une valeur de 190 Tg an-1, avec une fourchette plausible de 160 à 210 Tg an-1 (Battye et al., 2017), dont 35 % pénètrent dans les océans par dépôt atmosphérique (17 %) et par lixiviation et ruissellement (18 %). En ce qui concerne le P, les ressources disponibles pour le phytoplancton dans le milieu marin proviennent principalement des charges nutritives drainées par les fleuves sur les bassins versants, notamment dans les eaux côtières mais relativement peu de P est redistribué dans les océans ouverts loin des côtes. Actuellement, le rapport molaire N/P des émissions humaines est d’environ 22,8 à 44,6, soit près de deux fois le rapport moyen rencontré dans le phytoplancton (~16, selon Redfield, 1934). Ce déséquilibre entre les émissions de N et de P provenant de divers intrants induits par l’homme dans les écosystèmes pourrait engendrer une situation comparable à une limitation en P à plus grande échelle dans les écosystèmes marins à l’avenir (Brembu et al., 2017; Peñuelas et al., 2011, 2013).
Dans les organismes vivants, N et P interviennent dans la composition des molécules essentielles. Chez le phytoplancton, N est principalement utilisé pour la synthèse des protéines (acides aminés) (30 %), des acides nucléiques (30 %) et des chlorophylles (10 %), tandis que P est principalement un constituant des acides nucléiques (40 %) et des phospholipides (10-20 %) (Geider et La Roche, 2002). Ils jouent des rôles différents dans le métabolisme cellulaire; selon leur disponibilité, les réponses physiologiques des microalgues seront différentes (Liu et al., 2013; Raven, 2015), ainsi que leur composition biochimique (Ganf et al., 1986; Geider et La Roche, 2002; Lai et al., 2011; Rasdi et Qin, 2015), en particulier les teneurs en lipides et la composition en acides gras de ces lipides (Abida et al., 2015; Lu et al., 2013; Reitan et al., 1994).
N est le nutriment le plus largement étudié en raison de son effet sur la production de lipides chez les microalgues. Il a été considéré comme l’élément nutritif majeur déclenchant l’accumulation de lipides neutres (principalement sous forme de triacylglycérol, TAG) (Hu et al., 2008; Sharma et al., 2012). Néanmoins, la limitation en N chez les microalgues s’accompagne souvent d’une diminution de la capacité photosynthétique due à la réduction des composantes structurelles (Young et Beardall, 2003), tandis que la production lipidique diminue de par l’abaissement de l’apport énergétique (Benvenuti et al., 2015; Klok et al., 2013). Au niveau cellulaire, la réduction des réserves intracellulaires en N, telles que les protéines, pourrait offrir à la fois des agents réducteurs et le squelette carboné pour la synthèse de novo des acides gras (Ge et al., 2014). D’ailleurs, de nombreuses études indiquent que la dégradation des membranes des thylacoïdes favorise la synthèse des TAG et que le remodelage de la membrane plasmique contribue substantiellement à l’accumulation de lipides neutres (Martin et al., 2014; Simionato et al., 2013; Tan et al., 2016; Yang et al., 2013).

Table des matières

Liste des figures
Liste des tableaux
Liste des abréviations
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I. SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE .
I.1 Métabolisme carboné et lipidique chez les microalgues
I.1.1 Métabolisme carboné : de la photosynthèse à l’orientation du carbone
I.1.2 Lipides chez les microalgues : définition et classification
I.1.3 Synthèse des lipides chez les microalgues.
I.2 L’azote et le phosphore dans l’environnement et chez les microalgues.
I.2.1 L’azote
I.2.2 Le phosphore
I.3 Réponses à une limitation nutritive chez les microalgues
I.3.1 Réponses à la limitation en azote.
I.3.2 Réponses à la limitation en phosphore
I.3.2.1 Limitation en P sur le métabolisme carboné.
I.3.2.2 Limitation en P et remodelage des lipides membranaires.
PARTIE II. MATERIELS ET METHODES.
II.1 Matériel biologique.
II.1.1 Phaeodactylum tricornutum
II.1.2 Tisochrysis lutea
II.1.3 Diacronema lutheri
II.1.4 Traitement axénique
II.2 Conditions de culture
II.2.1 Milieux de culture
II.2.2 Conditions expérimentales.
II.3 Suivi des cultures
II.3.1 Détermination de la densité cellulaire et du taux de croissance
II.3.2 Détermination du volume cellulaire
II.3.3 Dosage des éléments résiduels dans le milieu.
II.3.4 Dosage des quotas en C, N et P cellulaires
II.4 Activité photosynthétique.
II.4.1 Extraction et estimation de la teneur en pigments.
II.4.2 Mesure de l’intensité photosynthétique et de la respiration
II.4.3 Mesure de la fluorescence de la chlorophylle a.
II.5 Analyses biochimiques.
II.5.1 Extraction et dosage des protéines et glucides solubles
II.5.2 Estimation des lipides neutres avec le Nile red.
II.5.3 Extraction et dosage des lipides totaux
II.6 Analyses lipidiques.
II.6.1 Séparation et caractérisation des lipides
II.6.1.1 Utilisation de standards.
II.6.1.2 Séparation des classes lipidiques sur colonne de silice.
II.6.1.3 Séparation par chromatographie sur couche mince
II.6.1.4 Identification des lipides.
II.6.1.5 Quantification des lipides
II.6.2 Détermination des profils en acide gras.
II.6.2.1 Obtention des esters méthyliques d’acides gras
II.6.2.2 Analyse des esters méthyliques d’acides gras par CPG.
II.7 Quantification de l’expression des gènes d’intérêt.
II.7.1 Extraction des ARN totaux et transcription inverse
II.7.2 PCR quantitative
II.7.2.1 Définition des amorces
II.7.2.2 Tests d’amorces.
II.7.2.3 Expression relative
II.8 Analyses statistiques.
PARTIE III. RESULTATS ET DISCUSSION
CHAPITRE 1. Réponses physiologiques
III.1.1Impacts d’une limitation en P ou en N sur la croissance des microalgues
III.1.1.1 Taux de croissance
III.1.1.2 Eléments résiduels dans les milieux de culture.
III.1.1.3 Quotas cellulaires en P et N
III.1.1.4 Quota cellulaire de carbone
III.1.1.5 Volumes cellulaires
III.1.2 Impacts d’une limitation en P ou en N sur la photosynthèse.
III.1.2.1 Teneur en pigments
III.1.2.2 Paramètres de la fluorescence de la chlorophylle a.
III.1.2.2.1 Rendement quantique maximum de la photochimie du PS
III.1.2.2.2 Quenching photochimique (qP).
III.1.2.2.3 Rendement quantique effectif du PS II (ΦII).
III.1.2.2.4 Quenching non photochimique
III.1.2.2.5 Relaxation du quenching non photochimique (qN)
III.1.2.3 Emission d’oxygène.
III.1.3 Conclusion.
CHAPITRE 2. Orientation du carbone.
III.2.1 Impacts d’une limitation en P ou en N sur la teneur en protéines solubles
III.2.2 Impacts d’une limitation en P ou en N sur la teneur en glucides solubles.
III.2.3 Impacts d’une limitation en P ou en N sur la teneur en lipides neutres
III.2.4 Impacts d’une limitation en P ou en N sur la teneur en lipides totaux
III.2.5 Conclusion.
CHAPITRE 3. Remodelage des lipides polaires
III.3.1 Caractérisation des lipides polaires
III.3.1.1 Séparation et identification des lipides polaires par CCM bidimensionnelle
III.3.1.2 Séparation et identification des lipides polaires par CCM monodimensionnelle
III.3.1.3 Classes des lipides polaires
III.3.2 Impacts d’une limitation en P ou en N sur le remodelage des lipides plastidiaux
III.3.2.1 Remodelage des lipides plastidiaux chez P. tricornutum
III.3.2.2 Remodelage des lipides plastidiaux chez T. lutea
III.3.2.3 Remodelage des lipides plastidiaux chez D. lutheri
III.3.3 Impacts d’une limitation en P ou en N sur le remodelage des lipides non-plastidiaux
III.3.3.1 Remodelage des lipides non-plastidiaux chez P. tricornutum
III.3.3.2 Remodelage des lipides non-plastidiaux chez T. lutea
III.3.3.3 Remodelage des lipides non-plastidiaux chez D. lutheri
III.3.4 Conclusion.
CHAPITRE 4. Expression des gènes d’intérêt
III.4.1 Expression des gènes d’intérêt chez P. tricornutum
III.4.1.1 Choix des gènes d’intérêt.
III.4.1.2 Variations de l’expression des gènes d’intérêt
III.4.2 Expression des gènes d’intérêt chez T. lutea.
III.4.2.1 Choix des gènes d’intérêt.
III.4.2.2 Variations de l’expression des gènes d’intérêt
III.4.3 Conclusion.
CHAPITRE 5. Composition en acides gras (AG).
III.5.1 Impacts d’une limitation en P ou en N sur la composition en AG des lipides neutres.
III.5.1.1 Composition en AG des lipides neutres chez P. tricornutum
III.5.1.2 Composition en AG des lipides neutres chez T. lutea.
III.5.1.3 Composition en AG des lipides neutres chez D. lutheri
III.5.2 Impacts d’une limitation en P ou en N sur la composition en AG des glycolipides
III.5.2.1 Composition en AG des glycolipides chez P. tricornutum
III.5.2.2 Composition en AG des glycolipides chez T. lutea
III.5.2.3 Composition en AG des glycolipides chez D. lutheri.
III.5.3 Impacts d’une limitation en P ou en N sur la composition en AG des phospholipides
bétaïne lipides.
III.5.3.1 Composition en AG des phospholipides et bétaïne lipides chez P. tricornutum
III.5.3.2 Composition en AG des phospholipides et bétaïne lipides chez T. lutea
III.5.3.3 Composition en AG des phospholipides et bétaïne lipides chez D. lutheri
III.5.4 Conclusion.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES ED RECHERCHE
LISTE BIBLIOGRAPHIQUE
ANNEXES
Annexe 1 : Composition des milieux utilisés pour vérifier l’axénie.
Annexe 2 : Composition des milieux de culture.
Annexe 3 : Cinétique de la fluorescence modulée
Annexe 4 : Respiration
Annexe 5 : Teneur cellulaire en protéines, glucides et lipides
Annexe 6 : Teneur cellulaire relative en acides gras dans les lipides neutres.

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