Mesures de champs au niveau du photon par
interférométrie atomique
Analyse de la relaxation du champ et effet d’un champ thermique
Nous allons traiter ici le problème de la relaxation du champ. Dans un premier temps, nous considérerons le cas d’une faible relaxation et nous montrerons qu’il est toujours possible de préparer un état de Fock du champ et de suivre son évolution. Ensuite, nous verrons une situation où la relaxation du champ est forte. C’était le cas dans les expériences qui sont présentées au Chapitre 3, où le temps d’amortissement du champ est ~ 10 fois plus petit que le temps d’interaction entre atomes et cavité.
Cas d’une faible relaxation du champ
La cavité a un temps d’amortissement tcav et est couplée à un réservoir en équilibre thermodynamique à la température T (le modèle de réservoir que nous utilisons est un réservoir d’oscillateurs harmoniques). La relaxation de la matrice densité du champ est donnée par l’expression où Q = 03C9 chtav est le facteur de qualité de la cavité et Nth est le nombre moyen de photons thermiques dans le mode de la cavité, à la température T. L’opérateur ~ch est le Liouvillien, de la théorie de la relaxation [71][72][23]. La relaxation peut être négligée pendant l’interaction entre atomes et cavité si le temps d’interaction est très inférieur au temps d’amortissement du champ. Ceci revient a considérer une relaxation fictive à un taux 0393’ = 0393/~, où 0393 est le taux de relaxation du champ dans la cavité et ~ est la fraction du temps pendant laquelle la cavité ne contient pas d’atome. 46 La procédure de décimation est simulée, comme expliqué au § 1.2.3. La différence est qu’ici on permet au champ de relaxer entre le passage de deux atomes successifs. Après la détection d’un atome, et juste avant l’entrée du suivant dans la cavité, on calcule la nouvelle distribution p(N), en tenant compte de la relaxation de la matrice densité, donnée par l’équation 1.62. La distribution des nombres de photons sera réduite à un état de Fock si le temps nécessaire pour faire passer m atomes dans la cavité est court devant le temps de vie d’un état de Fock, tcav /N. Si tel est le cas, on peut espérer suivre en temps réel les sauts quantiques entre états de Fock d’un champ à une température T (cf. figure 1.11). Pour un jet d’atomes de 85Rb à vitesse thermique (v = 350 m/s), on peut avoir 03B5 = 203C0/10. Le temps typique d’interaction avec une cavité de dimension centimétrique sera alors tint = 2.10 -5 s. Le temps pour faire passer 20 atomes est donc de l’ordre de 5.10 -4 s. Pour observer un état de Fock en partant d’une distribution initiale avec Nmax = 10, il nous faut un temps d’amortissement du champ tcav ~ 10-2 s. Ceci correspond à un facteur de qualité, à une fréquence de ~ 50 GHz, de Q ~ 3.10 9. La valeur du facteur de qualité de la cavité peut être un peu plus faible s’il s’agit de préparer un état de Fock avec une valeur plus faible de N. Par exemple, pour pouvoir distinguer entre 0 ou 1 photon dans la cavité, nous n’avons besoin de détecter qu’un seul atome (cf. § 1.2.5). Il faut, cependant, avoir un déphasage par photon 03B5 = 03C0/2, ce qui implique une vitesse v = 175 m/s, pour un désaccord 03B4/203C0 = 100 kHz. Le temps nécessaire au passage d’un atome de cette vitesse est tint = 4.10 -5 s. Il nous faut alors un temps d’amortissement du champ tcav ~ 10-3 s, ce qui est obtenu avec un facteur de qualité Q ~ 3.10 8 1.3.2 Cas d’une forte relaxation Nous venons de voir qu’il faut un facteur de qualité extrêmement élevé pour pouvoir préparer un état de Fock. Dans les expériences que nous avons réalisées (voir le Chapitre 3), nous n’avions pas de tels facteurs de qualité. Notre facteur de qualité, pour des raisons qui seront discutées au § 2.4.4, était deux ordres de grandeur plus faible: Q = 106. La vitesse du jet atomique était v = 300 m/s, ce qui correspond à un temps d’interaction avec le champ (pour une cavité de taille centimétrique) tint = 3.10 -5 s. Ce temps est ~ 10 fois plus grand que le temps d’amortissement du champ et nous nous trouvons dans une situation de forte relaxation. Il y a différentes expériences que nous voulons analyser ici. Nous avons fait des expériences de franges de Ramsey avec une cavité hors-résonance entre les deux zones de Ramsey. Nous voulions savoir quel est le décalage des franges dû au déplacement de Lamb dans la cavité vide. D’autre part, si l’on injecte un champ (cohérent) dans la cavité, quel est le décalage des franges? Quel est l’effet du champ thermique sur les franges? Pour répondre à ces questions, deux approches sont possibles. La première que nous allons voir consiste à écrire les équations de Bloch et à les résoudre numériquement. 47 Figure 1.11 : Evolution du nombre de photons mesurés pour un champ thermique dans une cavité en présence d’une faible relaxation (N = 3, ~0 = 0,1503C0, 03B5 = 03C0). L’axe vertical représente le nombre de photons « mesuré » et l’axe horizontal le nombre d’atomes détectés. Le temps de relaxation du champ correspond à la détection de 2500 atomes. 48 La deuxième, plus intuitive, est une analyse qualitative des phénomènes, inspirée par l’analyse en absence de relaxation. Equations de Bloch pour la matrice densité du champ L’analyse que nous faisons ici part de l’équation qui décrit l’évolution de l’opérateur densité du champ. En représentation de Schrödinger, l’évolution de l’opérateur densité du système atome + champ, pour une cavité de facteur de qualité Q, à la température T, est donnée par: Les hamiltoniens HA, HF et HI sont donnés (respectivement) par les équations 1.1, 1.4 et 1.10. L’opérateur ~ch, qui n’agit que sur les variables du champ, a été défini par l’équation 1.62. A partir de cette équation, nous pouvons écrire les équations générales pour les éléments de matrice de l’opérateur densité. Il y a trois éléments de matrice que nous devons connaître: 03C1 e,N,e,N’, 03C1 e,N,g,N’ et 03C1 g,N,g,N’ . En présence de la relaxation, à une température T, les équations pour ces trois éléments de matrice s’écrivent: 49 Considérons d’abord un jet atomique qui traverse une cavité vide à température nulle (Nth = 0). Si l’atome rentre initialement dans la cavité dans l’état |e, 0>, trois états sont accessibles au système: |e, 0>, |g, 1> et |g, 0>. Dans les équations 1.64, 1.65 et 1.66 seuls les éléments de matrice entre ces niveaux nous intéressent. On obtient un système de six équations. Elles ne sont pas toutes indépendantes, à cause de la conservation de la trace de la matrice densité. On a donc un système de cinq équations différentielles à intégrer. Nous l’avons fait numériquement. Nous voulons connaître le déphasage de la fonction d’onde atomique pendant la traversée de la cavité. Ce déphasage est donné par les cohérences de l’opérateur densité atomique: 03C1 (A) eg. Le résultat que nous avons trouvé est que le déphasage est le même que dans le cas où l’on néglige la relaxation (nous rappelons que le désaccord 03B4 est supposé suffisamment grand, 03B4 » |03A9|): Bien entendu, on ne peut pas utiliser cette expression pour étudier le comportement à désaccord nul. A résonance, le déphasage serait en fait strictement nul (contrairement au déphasage inifini donné par l’expression 1.67): la résonance atomique est beaucoup plus étroite que celle de la cavité. Pour l’atome, tout se passe comme s’il y avait un continuum de modes provoquant des déplacements en sens opposés. Un autre effet important est la réduction du contraste des franges de Ramsey: l’émission ou absorption d’un photon dans la cavité devient possible. D’après les équations de Bloch, si la cavité est strictement à résonance, la probabilité pour qu’un atome la quitte dans l’état g est de 100% (voir aussi le Chapitre 3). Il n’y a plus qu’un chemin quantique possible à travers la cavité ce qui détruit l’interférence. Ensuite, nous avons considéré le même problème en présence d’un champ thermique dans la cavité, caractérisé par le nombre moyen de photons thermiques, Nth (cf. l’équation 1.62). Maintenant, d’autres états à nombres de photons plus élevés sont accessibles au système. Pour un champ thermique, la distribution du nombre de photons est une exponentielle qui s’étend jusqu’à l’infini. Cependant, si Nth < 1, la probabilité de trouver un grand nombre de photons est très faible. Dans les équations 1.64, 1.65 et 1.66 on peut ne considérer que des termes avec N, N’ < Nmax . Un 50 bon critère pour déterminer Nmax est que la trace de la matrice densité doit être égale à 1 (numériquement, on définit un paramètre de convergence, 03B5, tel que 12014Tr(p) < 03B5). Typiquement, nous avons trouvé qu’il était nécessaire de prendre Nmax = 10.N th. Le déphasage trouvé est en bon accord avec: Remarques Nous verrons dans les Chapitres 2 et 3 que la cavité contient, en fait, 2 modes non-dégénérés. Les effets que nous observerons ne pourront pas être expliqués sans prendre explicitement en considération les deux modes (qui ont un couplage identique aux atomes). Dans les calculs numériques que nous avons évoqués ici, les deux modes de la cavité sont pris en considération. Pour une question de simplicité, nous avons préféré écrire ici les équations 1.64, 1.65 et 1.66 pour un seul mode de la cavité. Approche « qualitative » L’effet du vide est le plus simple à expliquer. En fait, si la cavité est suffisamment désaccordée, il ne peut pas y avoir de transfert d’énergie entre atomes et champ. Si la cavité est initialement vide, elle restera vide tout au long du processus. Les seuls états concernés sont |e, 0> et |g, 0> qui ne relaxent pas. On comprend alors facilement le résultat obtenu dans l’équation 1.67. Les deux autres effets sont expliqués par le même raisonnement. Dans les deux cas, le nombre de photons fluctue autour d’une valeur moyenne pendant le passage des atomes dans la cavité. Le temps de relaxation du champ est beaucoup plus court que le temps d’interaction entre atomes et cavité. Cela permet au nombre de photons de changer plusieurs fois pendant la traversée de la cavité par un atome. La situation est représentée sur la figure 1.12. On peut imaginer l’expérience de la manière suivante: on divise le temps de passage de l’atome dans la cavité en intervalles 03B4t i « tcav , tint . Pendant chaque intervalle, l’atome « voit » un certain nombre de photons. Si le nombre de photons ne varie pas pendant cet intervalle, le déphasage subi par la fonction d’onde atomique sera: Pour l’intervalle suivant, le nombre de photons peut avoir changé. Si le temps total d’interaction est suffisamment long, le nombre d’intervalles 03B4t i est très grand et l’atome « moyenne » le champ. On trouve donc le résultat: 51 Figure 1.12 : Fluctuations du nombre de photons pendant qu’un atome traverse la cavité. On voit que le nombre de photons a le temps de changer plusieurs fois. Le déphasage subi par l’atome dépend du nombre moyen de photons. 52 où N est le nombre moyen de photons et contient le champ thermique (N = N(inj) + Nth). On voit donc que les résultats obtenus par l’approche plus « rigoureuse » des équations de Bloch étaient bien prévisibles et faciles à comprendre. En particulier, le résultat de l’équation 1.70 justifie pourquoi nous n’avons pas fait le calcul explicite des équations de Bloch avec un terme source. Nous verrons par ailleurs au Chapitre 3 que cette prévision théorique est en très bon accord avec nos résultats expérimentaux.
Effets de la mesure sur la phase du champ
Jusqu’à présent, nous ne nous sommes intéressés qu’à la distribution du nombre de photons dans le champ. Pendant la procédure de mesure du nombre de photons, la phase du champ est fortement perturbée. Ceci se comprend facilement d’après le principe d’incertitude de Heisenberg, la phase étant la variable conjuguée au nombre de photons (0394N0394~ ~ 1). Pour illustrer ce qui arrive à la phase pendant la mesure, considérons un cas simple. Nous négligeons la relaxation du champ et nous supposons que tous les atomes sont détectés. Le champ est initialement dans un état cohérent |03B1> = 03A3 NCN|N>. Cet état est représenté dans le plan complexe par un cercle, centré à la valeur 03B1 (figure 1.13). Son rayon détermine les incertitudes de phase et d’amplitude du champ. A la sortie de la première zone de Ramsey, l’état du premier atome, de vitesse v0, est: Après l’interaction entre atome et cavité, l’état du système devient: où le deuxième passage est fait en reconnaissant les états cohérents correspondant aux amplitudes complexes 03B1e i03B5 0 et 03B1e -i03B5 0. On voit que l’effet de l’interaction entre atomes et champ est symétrique: le champ est aussi déphasé par son interaction avec l’atome. Ce déphasage peut être interprété en termes d’un indice, provoqué par un « milieu » constitué d’un seul atome. Comme nous l’avons vu, ce déphasage peut être important pour des atomes de Rydberg circulaires couplés à une cavité micro-onde. Dans la deuxième zone de Ramsey, on remélange les états e et g. L’état du système est alors donné par (cf. l’équation 1.43): 53 Figure 1.13 . Evolution du champ pendant une mesure optimale du nombre de photons. a) Champ cohérent initial (03B1 = 2); b) Après la détection du premier atome le champ devient une superposition de deux composantes de phases opposées; c) Après le deuxième atome, chaque composante est divisée en deux (le champ devient une superposition de 4 composantes); d) Après la détection du tioisième atome le champ a 8 composantes. Leur superposition réalise une bonne appioximation d’un état de Fock, avec une indétermination totale de la phase. 54 La détection de l’atome projette le champ dans l’état (à moins d’un facteur de normalisation): où le signe + (2014) se réfère à l’atome détecté dans l’état et (g). Il s’agit d’une combinaison linéaire (superposition cohérente) de deux états cohérents déphasés de ±03B5 0. La séquence de mesure se poursuit avec un deuxième atome, de vitesse différente, v’0 (on peut modifier l’intensité du champ classique de Ramsey pour que les impulsions dans chaque zone soient toujours de 03C0/2). Il induit un déphasage différent sur le champ ±03B5’ 0. La composante |03B1e i03B5 0> du champ est transformée en une superposition de |03B1e i(03B5 0+03B5’ )> et |03B1e i(03B5 0-03B5’ )>, alors que la composante |03B1e -i03B5 0> est transformée en une superposition de |03B1e -i(03B5 0+03B5’ )> et |03B1e -i(03B5 0-03B5’ )>. La phase subit ainsi un processus de diffusion, jusqu’à ce que la phase soit totalement indéterminée et le champ se trouve dans un état de Fock (voir la figure 1.13). Supposons maintenant qu’un atome puisse passer sans être détecté. Dans ce cas, la deuxième zone de Ramsey ne joue pas de rôle. L’opérateur densité du système total atome + cavité est: où |03C8 atome+cav > est donné par l’équation 1.72. En prenant la trace partielle sur les variables atomiques, on voit que le champ devient un mélange statistique des états |03B1e ±i03B5 0>: La phase subit toujours une diffusion mais, en cas d’atome non-détecté, elle n’est pas cohérente. Dans le cas d’une séquence de mesure réelle, il y aura des atomes détectés et d’autres non-détectés. La diffusion de phase sera alors une combinaison de processus cohérents et incohérents. Les processus cohérents ouvrent la possibilité de produire et d’analyser des états comme celui de l’équation 1.74. Ces états ont reçu la dénomination « états chats de Schrödinger » [73][74][75] du champ, en analogie avec le paradoxe proposé par Schrödinger en 1935 [38]. Nous verrons dans la suite quel est l’intérêt de l’étude de ces états, comment les stabiliser et les détecter. ~Dans le cas de l’atome détecté dans l’état e, nous avons incorporé un facteur de phase global
Intérêt de l’étude d’un état « chat de Schrödinger » du champ: processus de relaxation et décohérence
L’état décrit par l’équation 1.74 est une superposition cohérente de deux états quasi-classiques du champ. Ces états diffèrent d’une phase 203B5 0. Supposons maintenant qu’on veuille calculer la probabilité de trouver un certain nombre de photons dans le champ. Etant donnée la nature cohérente de la superposition, on doit sommer sur les amplitudes de probabilité et prendre ensuite le carré de la valeur absolue. La somme sur des amplitudes de probabilité, contrairement à une simple somme des probabilités, peut donner lieu à des interférences. S’il s’agissait de la mesure d’une grandeur classique, la probabilité serait donnée par une simple somme des probabilités, sans possibilité d’interférence. Le problème que l’on rencontre ici est un des points les plus importants dans la théorie de la mesure en Mécanique Quantique. Il s’agit de comprendre pourquoi le phénomène d’interférence entre amplitudes de probabilités n’est pas visible dans l’expérience quotidienne. Pourquoi n’observe-t-on pas de telles interférences dans le monde macroscopique (classique)? La possibilité de produire et étudier des états du type 1.74, fournit un moyen expérimental de trouver des réponses à cette question. Un article récent de Zurek, dans Physics Today [76], contient une bonne discussion de la question. Le point important auquel nous nous intéressons ici est le phénomène de la décohérence. Le couplage du système à son environnement est responsable d’une perte de la cohérence, dans un temps très court devant le temps de relaxation des autres grandeurs du problème. Pendant ce temps de décohérence, le système évolue vers un mélange statistique d’états: l’interférence entre amplitudes de probabilité est perdue et les probabilités s’ajoutent simplement. Pour un champ dans une cavité, son amplitude décroît avec la constante de temps tcav = Q/03C9 ch. On peut montrer que la cohérence entre les deux composantes de l’état « chat » décroît en un temps bien inférieur, tchat ~ tcav /N. Le nombre moyen de photons dans le champ, N, est une mesure du caractère « macroscopique » du champ. C’est une mesure de la « séparation » entre les deux composantes. Après un intervalle de temps tchat le champ devient une superposition incohérente des deux champs classiques. Le système présenté ici pour l’étude de ces états du champ a déjà été présenté dans les références [40][49]. Un aspect très intéressant est que, comme nous allons le voir au Chapitre 3, nous sommes capables de faire varier de façon très sensible (au niveau du photon) l’intensité du champ initial injecté dans la cavité. On peut donc étudier le processus de décohérence en fonction du caractère plus ou moins macroscopique du champ et suivre, « en temps réel », le passage du « monde quantique » au « monde classique
Introduction 7 |