Médiascape et vernacularisation du Web militant
Médiactivisme et médiascape
Autoriser la modification des films, c’est aussi autoriser, d’un point de vue légal, la reprise de séquences d’un film pour les remonter à sa guise. Nous avons pu visionner de nombreux exemples dans notre corpus de vidéos reprenant des séquences d’un autre film diffusé sur Internet, donnant ainsi l’impression que les vidéos se répondent les unes aux autres. Olivier Blondeau – « Les orphelins de la politique et leurs curieuses machines ».
The Fourth World War) On peut citer ainsi quelques cas
les photos de l’activiste italien Carlos Giulliani baignant dans son sang, celle de la journaliste américaine de Fox News, Jennifer Jolly se faisant « entarter » par un activiste à l’occasion de la grande manifestation contre la guerre en Irak, le 20 mars 2003 à San Francisco452, celle des piqueteros (mouvements de chômeurs argentins) établissant des barrages sur les routes, ou celle de ces activistes de San-Fransciso débordant un cordon de police… Lorsque l’on pratique avec une certaine assiduité ce corpus mondial de vidéos militantes, on s’aperçoit en effet qu’elles ne se renferment pas sur elles-mêmes dans une conception étroite de la subjectivité qui renvoie à une critique étroite de l’individualisme ni dans une vision anomique de l’éclatement des luttes.
Elles apparaissent bien au contraire comme autant de dispositifs machiniques autorisant une maîtrise « des agencements collectifs de subjectivité » pour reprendre les termes de Félix Guattari, définis notamment dans Chaosmose453. Nous voudrions montrer ici qu’il n’y a pas sur Internet, comme le montrent beaucoup d’analystes en sciences politiques, de phénomène d’éclatement, de dispersion des luttes à l’échelon global, incapables de se trouver un projet commun, un « plus petit dénominateur commun » pour donner une cohérence et une visibilité à ces luttes dans le champ politique.
De l’éclatement des luttes à la diaspora militante ?
Face à des mouvements, qui peuvent apparaître, et qui sont souvent considérés par les chercheurs en Sciences politiques comme dispersés – Isabelle Sommier par exemple reprenant la métaphore biologique parle de « bouillon de culture contestataire473 »-, peut-être convient-il d’envisager l’hypothèse de la forme diasporique des mouvements sociaux à l’échelle globale pour reprendre les travaux d’Appadurai474. Dans ce cas, l’usage que nous faisons de la notion de diaspora est, bien entendu, largement allégorique.
Cette notion renvoie en effet explicitement à une communauté d’origine, qu’elle soit d’ordre culturelle, religieuse ou géographique. Cependant cette notion, jointe à celle de médiascape et de communauté imaginée, nous semble particulièrement intéressante pour analyser les phénomènes de cristallisation et de réfraction des luttes et des engagements militants à l’échelon global. Dans son effort pour penser les conséquences politiques et culturelles liées à la globalisation, Appadurai envisage en effet l’idée d’une érosion continue du cadre national et des formes d’engagement qu’il mobilise. Dans ces conditions, il existe pour lui une disjonction croissante entre territoire, subjectivité et mouvement social politique.
Cette disjonction est due en particulier à la force et à la forme de la médiation électronique qui déstabilise les relations entre voisinages spatiaux et voisinages virtuels. Face à un État-Nation moderne, qui, toujours selon Appadurai, cherche constamment à redéfinir l’ensemble des règles de voisinage sous le signe de ses formes d’allégeance et/ou d’affiliation, apparaissent de nouvelles formes de « voisinages virtuels électroniques » pour produire de nouvelles formes de localité475. Les voisinages sont des communautés identifiées qui se caractérisent par leur actualité spatiale ou virtuelle et leur potentiel de reproduction sociale.