Mécanismes du transfert intercellulaire des homéoprotéines

Mécanismes du transfert intercellulaire des
homéoprotéines

Bases cellulaires du transfert intercellulaire et conséquences fonctionnelles

La sécrétion à la base de la communication cellulaire. Comme évoqué précédemment (voir §1.3), tout organisme pluricellulaire peut être envisagé comme un regroupement de cellules, d’origine commune, ayant acquis au cours du développement des identités positionnelles et fonctionnelles diverses. Afin d’éviter un développement anarchique de cette « communauté », la communication entre chacun de ses éléments est une condition fondamentale. Cet échange d’informations entre cellules peut avoir lieu par des voies différentes : i) La signalisation autocrine, dans laquelle, un messager chimique (métabolite, protéine . . .) produit par la cellule est libéré dans le milieu extracellulaire, puis va agir sur elle-même, par l’intermédiaire de récepteurs de surface par exemple. ii) La signalisation paracrine, qui se distingue de la signalisation autocrine par le fait que le signal est transduit dans les cellules adjacentes (plus ou moins éloignées selon la capacité de diffusion du messager dans le milieu extracellulaire) et non plus seulement dans la cellule productrice. iii) La signalisation juxtacrine ou signalisation de contact, qui passe par l’interaction entre des macromolécules, le plus souvent transmembranaires, présentées à la surface des cellules. iv) La signalisation via des jonctions cellulaires communicantes comme les jonctions GAP ou les plasmodesmes chez les plantes. Dans ce cas, les cytoplasmes de deux cellules sont mis directement en contact via la formation d’un canal traversant leur membrane plasmique. v) La signalisation synaptique qui est un cas particulier de signalisation paracrine spécifique aux neurones. La propagation d’un potentiel d’action jusqu’aux extrémités synaptiques du neurones va entraîner la libération de neurotransmetteurs au niveau de la fente synaptique, neurotransmetteurs qui en se fixant sur des récepteurs situés à l’extrémité postsynaptique d’une cellule adjacente vont entraîner la génération d’un potentiel électrique postsynaptique. Exceptée la signalisation via les jonctions communicantes, toutes ces voies de communications cellulaires nécessitent la libération dans le milieu extracellulaire de composants intracellulaires, autrement dit, leur sécrétion.

La voie reticulum endoplasmique / appareil de Golgi / vésicules de sécrétion

mode de sécrétion canonique. La grande majorité des protéines solubles destinées à la sécrétion suivent une voie commune dont les mécanismes sont quasi-invariants d’une protéine à une autre. L’adressage vers cette voie de sécrétion se fait de manière cotraductionnelle. La reconnaissance par le complexe protéique SRP (Signal Recognition Particle) d’un peptide signal situé en N-terminal de la protéine en cours de traduction entraîne l’association du complexe ribosome/chaîne polypeptidique naissante/SRP avec la membrane du reticulum endoplasmique. En parallèle de sa traduction, la protéine est alors transférée vers le compartiment luminal du reticulum endoplasmique par l’intermédiaire d’un canal de translocation, le translocon (pour revue [94]). Le peptide signal de sécrétion est ensuite clivé, puis la protéine connaît une première étape de maturation (repliement, création de ponts disulfure, ajout du motif de base de la N-glycosylation) au contact d’enzymes et de protéines chaperonnes (pour revue [95]). La sortie du reticulum endoplasmique s’effectue par l’intermédiaire du bourgeonnement de vésicules, caractérisées par leurs protéines d’enveloppe, le complexe COPII. Ces vésicules COPII vont ensuite fusionner avec les saccules de l’appareil cis-golgien (pour revue [96]). Une fois au sein de l’appareil de Golgi, les protéines vont subir un second cycle de maturation (O-glycosylations par exemple), puis sont ensuite triées selon leur destination au niveau du réseau trans-golgien (TGN) (pour revue [97]). Des vésicules de sécrétion issues de l’appareil de Golgi sont orientées vers la membrane plasmique où la dernière étape du processus de sécrétion va avoir lieu, à savoir la formation d’un porosome issu d’une fusion partielle entre ces vésicules et la membrane, permettant la libération de leur contenu dans l’espace extracellulaire (pour revue [98]). Le bon déroulement de cette voie de sécrétion repose ainsi sur des échanges successifs de membranes (par des intermédiaires vésiculaires) entre compartiments donneurs et accepteurs. Ces événements de fusions dirigées entre organelles intracellulaires requièrent une famille de protéine centrale, les protéines SNAREs (Soluble N-ethylmaleimidesensitive-factor Attachment protein REceptor ). Par des jeux d’interactions complémentaires entre SNAREs exprimées au niveau des compartiments donneurs (v-SNAREs, pour vesicular -SNARE) et accepteurs (t-SNAREs, pour targetSNARE), ces protéines vont promouvoir une fusion contrôlée entre les compartiments membranaires de la voie de sécrétion standard (pour revue [99]) (Figs. 5 et 6).

 En opposition à la voie canonique, les modes de sécrétion non-conventionnels

Au fil des ans, un nombre croissant de protéines sécrétées ne suivant pas la voie évoquée dans le paragraphe précédent a été répertorié. L’ensemble de ces événements, que l’on regroupe sous l’appellation vague de sécrétion nonconventionnelle, concerne des protéines diverses et variées aux propriétés biochimiques et fonctionnelles hétérogènes. Dans leur vaste majorité, ces sécrétions non-conventionnelles ont comme point commun d’avoir comme substrat des protéines sans peptide signal de sécrétion, ainsi que d’avoir lieu de façon post-traductionnelle (plus ou moins vrai pour golgi bypass). De manière systématique, ces sécrétions non-conventionnelles sont insensibles à la Bréfeldine A (BFA), une substance pharmacologique qui bloque la sécrétion classique, en annihilant le transport entre le réticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi. Cependant leur regroupement sous le terme générique de sécrétion non-conventionnelle ne doit pas laisser penser que l’ensemble de ces processus obéit aux mêmes mécanismes cellulaires, chaque protéine utilisant un mécanisme qui lui semble propre. Une classification des grands types de sécrétions non-conventionnelles a néanmoins été proposée [102], et c’est en se basant sur celle-ci et en l’adaptant que nous allons passer en revue différents exemples. Détournement de la voie de sécrétion standard : le « Golgi bypass ». Le premier type de sécrétion non-conventionnelle regroupe essentiellement des protéines transmembranaires qui sont dirigées vers la membrane plasmique par des voies alternatives mais dérivant de la voie de sécrétion standard. Après synthèse, ces protéines sont retrouvées au niveau du reticulum endoplasmique à partir duquel elles vont être adressées à la membrane plasmique, sans passer par l’appareil de Golgi (« Golgi bypass »). Une des caractéristiques communes à ces protéines est leur sensibilité à l’endoglycosidase H (EndoH), qui est capable de cliver le motif de base riche en mannose de la N-glycosylation spécifique au reticulum endoplasmique car perdu par la suite au niveau de l’appareil de Golgi après maturation de la chaîne glycosylée. Les formes matures devenant résistantes à l’action de l’enzyme, la sensibilité à l’EndoH peut être considérée comme un marqueur potentiel d’un « Golgi bypass » [103]. Un des exemples les mieux documenté d’un tel processus concerne le canal ionique cystic fibrosis transmembrane conductance regulator (CFTR), dont la forme mutante CFTRΔF508, incapable de quitter le reticulum endoplasmique, est impliquée dans près de 70% des cas de mucoviscidose. L’export de CFTR du reticulum endoplasmique se fait par l’intermédiaire des vésicules COPII, comme pour la sécrétion standard, mais la protéine n’est pas retrouvée au sein de l’appareil de Golgi. De plus sa sécrétion est insensible à l’expression de mutants dominants négatifs des protéines ARF1, RAB1a/RAB2 ou Syntaxin5 décrits comme bloquant les échanges entre le reticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi. La fraction membranaire de CFTR présente cependant des glycosylations complexes caractéristiques de l’appareil de Golgi, et l’expression d’un mutant dominant négatif de la Syntaxin 13, qui régule les échanges vésiculaires au niveau du compartiment endosomal tardif et du réseau trans-golgien, abolit la sécrétion de CFTR [104]. CFTR serait donc transféré directement du reticulum endoplasmique vers un compartiment mixte endosome tardif / réseau trans-golgien  (où auraient lieu les glycosylations) puis ensuite vers la membrane plasmique. L’accumulation de CFTR dans un compartiment intermédiaire péri-centrosomal [105] suggère l’existence d’une ou plusieurs étapes entre la sortie du reticulum endoplasmique et la présentation à la membrane de CFTR. On peut également citer les exemples de la protéine-tyrosine phosphatase transmembranaire CD45 et des connexines 26 (Cx26) et 30 (Cx30). Ainsi, dans les lymphocytes T, une partie de la fraction membranaire de CD45 est sensible à l’action de EndoH. Cette même fraction est présentée beaucoup plus rapidement à la membrane après synthèse (∼ 5 minutes) que la fraction non-sensible à EndoH (∼ 15 minutes) dont le répertoire de glycosylations est différent [106]. L’adressage à la membrane de CD45 pourrait résulter en partie du processus conventionnel et en partie d’un Golgi bypass, les mécanismes précis de ce dernier n’étant pour l’heure pas connus. En ce qui concerne Cx26 et Cx30, là aussi les mécanismes précis de leur adressage à la membrane ne sont pas connus, mais ils semblent impliquer le cytosquelette d’actine, ainsi que les microtubules dans le cas de Cx26 [107, 108]. Un autre cas de Golgi bypass concerne la sous-unité αPS1 de l’intégrine PS1 de drosophile. Cette protéine adressée à la membrane selon la voie conventionnelle connaît une modification de son trafic intracellulaire au cours du développement. Ainsi, au niveau de certaines cellules épithéliales de l’aile et des follicules ovariens, αPS1 adopte une voie alternative pour atteindre la membrane plasmique. Ce mode de sécrétion est insensible à une mutation de la dSyntaxin 5 et donc ne nécessite pas un transport reticulum endoplasmique / appareil de Golgi. La protéine dGRASP (pour Golgi ReAssembly Stack Protein, orthologue chez la drosophile des protéines GRASP55 et GRASP65 des vertébrés) et décrite pour son rôle dans le maintien de la structure de l’appareil de Golgi [109], est requise pour ce mode de sécrétion de αPS1, via la traduction locale de son ARN messager à proximité de la membrane plasmique [110]. L’apparition d’une tension mécanique au sein de l’épithélium du follicule ovarien due à la maturation des ovocytes pourrait induire un remodelage de la membrane plasmique, via le recrutement, par les intégrines de RhoA, ainsi q’une hausse de la transcription du gène dgrasp suite à la relocalisation du régulateur transcriptionnel PINCH des points focaux d’adhésion vers le noyau. La sécrétion non-conventionnelle de la sous-unité αPS1 serait donc auto-induite par des intégrines déjà présentes à la membrane plasmique en réponse à un stress mécanique croissant, et donc de permettre le maintien de l’intégrité de l’épithelium du follicule ovarien [111]. Le mécanisme exact par lequel αPS1 quitte le reticulum endoplasmique pour atteindre la membrane plasmique n’est pour l’heure pas identifié clairement. Bien que ce soit pour un rôle différent, dGRASP et ses différents orthologues sont impliqués dans un autre grand mode de sécrétion non-conventionnelle que nous allons aborder par la suite.

Table des matières

I Introduction
1 La théorie cellulaire, à la base de la biologie cellulaire moderne
1.1 Genèse de la théorie cellulaire : De Hooke à Schwann et Schleiden
1.2 Théorie cellulaire moderne : omnis cellula e cellula
1.3 La cellule comme unité fondamentale du vivant
2 De la cellule à l’organisme, morphogenèse et homéoprotéines
2.1 Organismes pluricellulaires et morphogenèse
2.2 Transformations homéotiques : observations et naissance du concept
2.3 Du phénotype aux gènes, description des premiers gènes homéotiques
2.4 L’homeobox, séquence commune aux gènes homéotiques
2.5 Structure et fonction de l’homéodomaine : l’homéoprotéine comme facteur de transcription
2.5.1 Structure protéique de l’homéodomaine
2.5.2 Sites de liaisons à l’ADN
2.5.3 Fonction physiologique
3 Homéoprotéines, facteurs de transcription aux propriétés remarquables
3.1 Internalisation d’ANTENNAPEDIA, premier indice d’un transfert intercellulaire des homéoprotéines
3.2 L’homéodomaine comme élément central de cette internalisation
3.3 Sécrétion des homéoprotéines : le cas ENGRAILED-2
3.3.1 Brefs rappels des fonctions d’ENGRAILED
3.3.2 Mise en évidence et mécanismes connus de la sécrétion d’ENGRAILED-2
3.4 Une capacité de transfert intrinsèque aux homéoprotéines
4 Bases cellulaires du transfert intercellulaire et conséquences fonctionnelles
4.1 La sécrétion à la base de la communication cellulaire
4.1.1 La voie reticulum endoplasmique / appareil de Golgi /
vésicules de sécrétion : mode de sécrétion canonique
4.1.2 En opposition à la voie canonique, les modes de sécrétion non-conventionnels
4.1.3 Une classification arbitraire et non figée
4.2 Après la sécrétion : différents mode d’intégration du signal transmis
4.2.1 Les différentes voies endocytiques
4.2.2 Détournement des voies endocytiques
4.3 Implications physiologiques du transfert intercellulaire des homéoprotéines
4.3.1 Action paracrine de l’homéoprotéine OTX2
4.3.2 Action paracrine de l’homéoprotéine ENGRAILED
4.3.3 Autres modèles d’action paracrine
4.3.4 Action paracrine des homéoprotéines et pathologies
II Matériels et méthodes
III Résultats
5 Etude comparée de la sécrétion du FGF2 et d’EN-2
5.1 Propriétés communes
5.2 Méthode de quantification de la sécrétion
5.3 Altérations de la sécrétion après traitement à la néomycine
6 Les phosphoinositides
6.1 Brefs rappels des fonctions et rôles connus des phosphoinositides
6.2 Mise en évidence d’une interaction directe entre EN-2 et phosphoinositides
6.2.1 Interaction avec des bicouches lipidiques artificielles
6.2.2 Interaction directe in vitro
6.3 Localisation subcellulaire et phosphoinositides
6.4 Rôle des PI(4,5)P2 dans la sécrétion d’EN-2 et du FGF2 : approche sub-cellulaire
6.4.1 Présentation des outils utilisés
6.4.2 Validation biologique des constructions mises au point .
6.4.3 Analyse de la sécrétion de EN-2 et du FGF2
6.5 Rôle des PI(4,5)P2 dans l’internalisation d’EN-2
6.5.1 Technique utilisée pour l’observation de l’internalisation
6.5.2 Un lien entre PI(4,5)P2 membranaires et internalisation d’EN-2
7 Les protéoglycanes
7.1 Présentation des protéoglycanes
7.2 Importance des protéoglycanes de surface dans l’internalisation d’EN-2
7.2.1 Lien entre expression de protéoglycanes fonctionnels et internalisation d’EN-2
7.2.2 L’expression de syndecans favorise l’accumulation d’EN-2 à la surface des cellules
7.3 Impact de l’expression de syndecans sur la sécrétion d’EN-2
8 Implication d’une nouvelle séquence dans le transfert intercellulaire d’EN-2
8.1 Un nouveau rôle pour l’hexapeptide ?
8.2 Article no 1 ; Contrôle de la segmentation du cerveau en développement par le transfert paracrine d’Engrailed : une nouvelle fonction du domaine d’interaction avec Pbx
IV Discussion
9.1 Rôle des PI(4,5)P2 dans le transfert intercellulaire de EN-2
9.2 Rôle des protéoglycanes dans le transfert intercellulaire de EN-2
9.3 Interactions hydrophobes et électrostatiques, un équilibre subtil ?
Bibliographie
Annexe

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