Mécanismes d’altération des combustibles UOx et MOx en stockage géologique
Les méthodes d’analyses et de caractérisations
Afin de suivre l’altération des matériaux étudiés, plusieurs méthodes d’analyses et de caractérisations ont été mises en œuvre. Dans un premier temps, les analyses en solutions ont permis le suivi de l’altération au cours du temps en suivant les concentrations des éléments d’intérêts ainsi que des paramètres physico-chimiques pH et potentiel redox. En fin d’expérience, les surfaces des matériaux ont été caractérisées afin d’observer les potentielles évolutions de surface, que cela soit du point de vue de la composition élémentaire ou de la nature des phases formées.
Analyses des solutions et des gaz a) Eh – pH
Les deux paramètres physico-chimiques ayant été suivis au cours des expériences sont le Eh et le pH en raison de leur importance vis-à-vis de la géochimie du système. Entre autres, l’uranium et le fer sont des espèces très sensibles aux conditions redox, tandis que la spéciation des espèces carbonatées est sensible au pH. Le potentiel redox Eh a été mesuré à l’aide d’un multi-analyseur Consort C5010 et d’une électrode au Pt WTW SenTix ORP. Avant chaque mesure, l’électrode Eh est calibrée avec une solution tampon à 220 mV. Le pH a été mesuré avec l’électrode Mettler Toledo Ingold LoT406-M6-DXK-S7/25 ou l’électrode Schott Instruments Blue Line 22 pH. L’électrode pH est calibrée avec des solutions tampons à pH 4, 7 et 10. Ces deux paramètres ont été mesurés ex-situ dans des prélèvements de 0,5 mL au cours de la lixiviation, et in-situ lors de l’ouverture du réacteur à l’arrêt de l’expérience. Le Eh est mesuré en premier car il s’agit du paramètre le moins stable dans le temps. Les valeurs ont été notées à 2 min, 5 min et 10 min après plongée de l’électrode dans la solution. La valeur du pH, plus stable, a été relevée 2 min et 5 min après la plongée de l’électrode de pH dans la solution. Chapitre II : Matériaux et Méthodes 55 b) KPA L’uranium est issu de la dissolution de la matrice UO2 et, même s’il n’est pas toujours traceur, son analyse donne une indication sur les mécanismes d’altération. Les concentrations d’uranium dans les solutions de lixiviation ont été évaluées par cinétique de phosphorescence laser, notée KPA pour Kinetic Phosphorescence Analysis. Le principe de cette méthode est d’exciter les ions uranyle à l’aide d’un laser pulsé et de mesurer l’intensité de la phosphorescence en découlant. L’appareil Chemchek KPA11 nucléarisé dans la sorbonne active 594 SO 001 du L30 (Atalante) a été utilisé pour ces analyses. Cette technique permet de mesurer l’uranium en solution lorsque sa concentration est supérieure à 0,1 µg.L-1 c’est-à-dire de 4,2.10-10 mol.L-1 . Notons que 0,1 µg.L-1 correspond à la limite de solubilité de UO2. Pour des teneurs supérieures à 100 µg.L-1 , l’analyse peut être réalisée par ICP-AES. Pour les expériences en eau du COx, la chimie complexe de l’eau et notamment la présence de chlore perturbe l’analyse. Afin de palier ce problème, les échantillons sont minéralisés, c’est-à-dire fortement acidifiés avec un volume de HNO3 15 mol.L-1 puis amenés à sec par évaporation. Le résidu est alors repris par dissolution dans un volume connu de HNO3 à 1 mol.L-1 . L’analyse de l’uranium nécessite un volume d’échantillon de 1 mL en milieu eau du COx et un volume inférieur à 0,500 mL en eau carbonatée. Cette technique est donc avantageuse d’une part pour sa limite de quantification très basse, mais également pour sa faible consommation de lixiviat et le peu d’effluents produits. c) Radiométrie L’altération sous eau des pastilles de UO2 dopé Pu ou de combustible MOx mène au relâchement en solution de radionucléides. Leur analyse a été réalisée au laboratoire L30 à l’aide de différentes méthodes : comptage alpha et bêta, spectrométrie alpha et spectrométrie gamma. Le comptage alpha/beta a été effectué avec l’appareil IN 20 d’Eurisys Mesure dont la limite de quantification de l’activité totale est de 0,1 Bq.mL-1 . Les échantillons liquides nécessitent préalablement une étape de préparation en boite à gants visant à obtenir des dépôts sur des disques de mesure par évaporation. Le compteur alpha/beta étant situé hors boite à gants, les disques doivent être manipulés à l’air libre lors du transfert de la boite à gants de préparation vers l’appareil de mesure. Pour cette raison, l’activité du dépôt sur un disque ne doit pas dépasser 100 Bq. En cas de nécessité d’analyser un échantillon présentant une activité supérieure, celui-ci devra préalablement être dilué ou la quantité du dépôt devra être réduite. Les temps de comptage varient de l’ordre de l’heure pour les échantillons les plus concentrés à une vingtaine d’heures pour les moins concentrés. Les disques de comptage précédemment utilisés sont ensuite analysés parspectroscopie alpha à l’aide du spectromètre Alpha Analyst de Canberra. Les isotopes les plus couramment dosés au laboratoire par cette technique sont : 238Pu, 239Pu, 240Pu, 241Am et 244Cm. La limite de quantification de l’activité totale est de 0,1 Bq.mL-1 . Notons que l’analyse de Pu est très difficile en eau synthétique du COx. En effet, la forte charge en sels forme une croute lors du dépôt d’échantillon de solution et masque le signal de Pu en spectrométrie alpha. Ainsi, les échantillons sont dilués au minimum 5 fois afin de palier ce problème. La limite de quantification en eau du COx est donc augmentée à 0,5 Bq.mL-1 . Chapitre II : Matériaux et Méthodes 56 La spectrométrie gamma permet le dosage des isotopes émetteurs gamma, les isotopes le plus souvent dosés au laboratoire sont 134Cs, 137Cs, 241Am, 154Eu, 155Eu et 60Co. Les mesures sont réalisées sur 1mL de solution acidifiées 1M par ajout d’HNO3 15M avec l’appareil Canberra DSA 2000 équipé d’un détecteur bas bruit GeHP. Dans le cadre de cette thèse, seul 241Am présentera un intérêt, les autres isotopes étant recherchés pour s’assurer de l’absence de pollutions. La limite de quantification est de 0,1 Bq.mL-1 . d) Quantification de H2O2 Le peroxyde d’hydrogène (H2O2) est la principale espèce moléculaire issue de la radiolyse de l’eau induite par l’irradiation provenant des différents matériaux étudiés (UO2 et MOx). De plus, c’est un oxydant fort qui est à l’origine de la dissolution oxydante de la matrice de ces matériaux. Les concentrations en H2O2 ont été évaluées par chimiluminescence. Cette méthode consiste à mesurer la lumière produite lors de la réaction d’oxydation de l’isoluminol par H2O2. L’appareil utilisé est un luminomètre Turner Designs TD20/20 installé dans la sorbonne active 594 SO 001 du L30. Cette technique permet de mesurer H2O2 dans une gamme de concentration relativement basse de 1.10-7 à 1.10-6 mol.L-1 . Elle présente cependant quelques contraintes. Du fait de l’instabilité thermodynamique de la molécule H2O2 au cours du temps, la mesure de sa concentration doit être effectuée immédiatement après prélèvement de l’échantillon. Pour une analyse, l’appareil nécessite une injection de 200 µL de solution à doser. En plus de l’analyse de l’échantillon initial, quatre ajouts dosés sont réalisés. Cette série est répétée trois fois, ce qui porte à 3 mL le volume d’échantillon nécessaire au dosage de H2O2. Cette analyse n’est donc pas effectuée systématiquement mais seulement à certaines échéances afin de ne pas consommer trop de lixiviat. De plus, cette méthode est très sensible à la présence de cations en solution qui sont susceptibles de modifier le rendement de chimiluminescence. Ainsi, en eau du COx, en présence de fer ou en présence de fortes teneurs en uranium ou radioéléments, l’analyse de H2O2 par cette méthode est très compliquée ou n’est plus possible. Pour certaines expériences, la concentration de H2O2 a pu être déterminée par spectroscopie d’absorbance UV-Vis. Cette méthode consiste à doser l’ion tri-iodure, formé suite aux réactions : 𝐻2𝑂2 + 2𝐼 − + 2𝐻 + → 𝐼2 + 2𝐻2𝑂 Éq. II-1 𝐼2 + 𝐼 − → 𝐼3 − Éq. II-2 Le maximum d’absorbance de l’ion 𝐼3 − est à 350 nm, longueur d’onde utilisée pour les dosages. Dans le cas de milieux complexes, un spectre complet d’absorbance est réalisé afin de voir un éventuel effet de matrice. Les spectres sont réalisés entre 320 et 420 nm. La limite de détection pour cette méthode est de l’ordre de 5.10-6 mol.L-1 . Bien que les concentrations attendues de H2O2 soient en général bien inférieures à cette limite de détection, cette méthode étant moins sensible à la matrice elle a pu être utilisée pour s’assurer que la concentration de H2O2 était inférieure à la limite de détection de 5.10-6 mol.L-1 . Chapitre II : Matériaux et Méthodes 57 e) ICP-AES L’eau du COx présente une chimie complexe contenant de nombreux cations (Ca2+, Mg2+, Sr2+, Na+ , K+ ) et de la silice dissoute H4SiO4. En présence de fer, l’ion Fe2+ peut également être présent. Ces cations peuvent être à l’origine de la précipitation de phases secondaires, par exemple avec l’uranium issu de l’altération du combustible. En présence d’argilite, ces concentrations peuvent également être amenées à varier en fonction des échanges avec l’argilite. Ainsi, les concentrations de ces éléments ont été suivies. Les échantillons sont systématiquement filtrés à 0,45 µm puis acidifiés avant analyse. Les cations majeurs présents dans les lixiviats ont été analysés par ICP-AES (Inductively Coupled Plasma Atomic Emission Spectroscopy) c’est-à-dire par spectrométrie à torche plasma. Cette technique permet l’analyse des éléments du lithium à l’uranium dans une gamme de concentration de 10 µg.L-1 à 100 mg.L-1 , ces limites pouvant varier selon l’élément et le milieu d’analyse. Dans notre cas, les éléments principalement analysés sont les éléments constitutifs de l’eau du COx (Ca, Mg, Sr, Na, K, Si), le fer, et l’uranium quand sa concentration devient supérieure à 100 µg.L-1 . Les analyses ont été réalisées grâce à l’appareil Jobin Yvon JY 46+ disponible au laboratoire L30 dont le système d’introduction d’échantillons et la torche à plasma sont implantés en boite à gants. L’incertitude associée aux résultats en utilisant cette technique est de ± 3% pour des concentrations supérieures à 10 mg.L-1 , de ± 5% pour des concentrations comprises entre 1 et 10 mg.L -1 et de ± 20 % pour des concentrations inférieures à 1 mg.L-1 . Au niveau des limites de quantification, variable suivant les éléments, l’incertitude est de 80%. f) Chromatographie Ionique Les anions sont analysés dans l’eau du COx où Cl- et SO4 2- sont présents en quantités importantes. Ils ont été dosés par chromatographie ionique à l’aide du chromatographe METROHM COMPACT 881 PRO. Cet appareil est nucléarisé dans la sorbone active 594 SO 001 du laboratoire L30 (Atalante). Il permet l’analyse des espèces F- , Cl- , NO2 – , Br2 – , NO3 – , PO4 3- , SO4 2- et des composés organiques tels qu’acétate, formiate, oxalate, etc. dans une gamme de concentration de 0,1 à 1 mg.L-1 . Au-delà, des dilutions sont réalisées. L’incertitude associée aux résultats des analyses des anions dans l’eau du COx est de ± 3% pour des concentrations supérieures à 10 mg.L-1 , de ± 5% pour des concentrations comprises entre 1 et 10 mg.L-1 et de ± 20 % pour des concentrations inférieures à 1 mg.L-1 . g) Carbone organique et inorganique total Les concentrations en Carbone Organique Total (COT) et Carbone Inorganique Total (TIC) sont obtenues à l’aide d’un analyseur de carbone BIORITECH de modèle 1030W OI-ANALYTICAL. Le principe de la méthode consiste en la détection par infrarouge du CO2 produit par les réactions d’acidification du carbone minéral (CIT) puis d’oxydation du carbone organique (COT). Le carbone considéré inorganique correspond aux espèces HCO3 – , H2CO3, Na2CO3 et CaMgCO3, c’est-à-dire la famille des carbonates. Le carbone organique correspond à tout le carbone restant en solution. La gamme de concentration lors des analyses est comprise entre 0,5 et 10 mg/L. L’analyse des gaz permet, d’une part, de s’assurer de l’absence de fuite et d’oxygène dans le système, et, d’autre part, d’identifier la présence d’espèces telles que H2(g) pouvant être produit par radiolyse de l’eau ou par corrosion du fer en conditions anoxiques. Pour les expériences menées dans la boite à gants inertée du laboratoire L30, l’atmosphère gazeuse présente dans les pots de lixiviation a pu être analysée par chromatographie en phase gazeuse (CPG) à l’aide du MicroGC 3000 de SRA Instruments implanté dans la boite à gants inertée. Cet appareil est étalonné pour la détection de H2, O2, N2 et He gazeux avec une limite de quantification de 1 ppm. Les mesures ont été réalisées en début d’expérience afin de s’assurer de l’absence d’oxygène dans le milieu et en fin d’expérience avant ouverture du réacteur. 2. Les méthodes de caractérisation du solide En fin d’expérience, les surfaces des matériaux lixiviés (pastilles de combustible et lame de fer) ont été caractérisés afin d’observer l’évolution des surfaces altérées mais également d’identifier de potentielles phases secondaires et leurs compositions. a) Imagerie par microscopie électronique à balayage Des observations de la surface des différents échantillons ont été réalisées par Microscopie Electronique à Balayage (MEB) afin d’étudier l’évolution des surfaces après lixiviation et de repérer les précipitations de phases secondaires. Cette technique repose sur l’analyse de particules (électrons secondaires, électrons rétrodiffusés) émises par un échantillon balayé par un faisceau d’électrons. Les particules sont analysées par différents détecteurs selon ce que l’on souhaite observer. Les électrons secondaires permettent d’observer la topologie de la surface de l’échantillon, tandis que les électrons rétrodiffusés mettent en évidence les différences chimiques. Le coulage du MEB avec un microanalyseur X (EDS pour Energy Dispersive Spectroscopy) permet également de réaliser une analyse élémentaire sur un point de la surface. Deux microscopes différents ont été utilisés selon l’activité des échantillons et les besoins en termes de résolution d’image. Les échantillons très actifs (tels que les MOx irradiés) ou nécessitant une résolution moins élevée ont été caractérisés à l’aide du microscope JEOL JSM 6300 installé en boite blindé au laboratoire L29 (DHA, Atalante). Dans ce cas, les échantillons n’ont pas été métallisés et une tension d’accélération de 20 kV a été utilisée. Les échantillons ne dépassant pas une activité β-γ de 20 mCi (740MBq) et nécessitant une résolution supérieure ont été observés à l’aide du microscope électronique à balayage ZEISS SUPRA 55 WDX du laboratoire LCC (initialement LEMA) sur Atalante.
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