Les patchs transdermiques
L’application locale sur la peau de molécules actives pour un effet local ou systémique n’est pas une méthode de traitement nouvelle et est utilisée depuis des centaines d’années. La voie d’administration transdermique comprend en effet plusieurs avantages comparés aux autres voies classiques d’administration de médicaments, comme la voie orale. Elle permet tout d’abord d’éviter la première réponse métabolique du foie et la destruction de la molécule dans le système digestif, principaux mécanismes de réduction de la biodisponibilité des principes actifs (PA). En comparaison avec des injections hypodermiques, intramusculaires ou intraveineuses, l’administration transdermique est moins invasive, peut délivrer le PA sur une durée plus longue et donc réduire la fréquence des doses et offre une meilleure stabilité de la molécule active. Les risques de sur- ou sous-dosage sont donc réduits. Elle facilite également l’autonomie du patient dans la gestion de son traitement et une meilleure observance de celui-ci. Dans la médecine moderne, il aura pourtant fallu attendre 1979 pour voir apparaître le premier patch transdermique développé par Novartis, libérant de la scopolamine pendant 3 jours, approuvé par la FDA («Food and Drug Administration») . Depuis ce premier dispositif, les patchs ont intégré différentes évolutions pour améliorer leur durée d’action, faciliter la pénétration de la molécule active à travers la peau, ou mieux, contrôler la libération de la molécule.
Contexte : besoins liés au traitement des maladies inflammatoires articulaires chroniques
Les maladies chroniques, également appelées maladies non transmissibles, sont la première cause de décès dans le monde avec 41 millions de victimes chaque année, dont 15 millions entre 30 et 69 ans, d’après l’Organisation Mondiale pour la Santé . Contrairement aux croyances populaires, 80% des décès prématurés (entre 30 et 69 ans) à cause de maladies non transmissibles ont lieu dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires. Faisant l’objet de nombreuses recherches pour en améliorer les diagnostiques et les traitements, les principales maladies chroniques que sont les pathologies cardiovasculaires, les cancers et le diabète sont donc des cibles prioritaires depuis plusieurs décennies pour les scientifiques. Parmi ces pathologies bien ciblées, les maladies inflammatoires articulaires sont moins médiatisées mais touchent pourtant près de 20% de la population française. D’après un rapport de l’INSERM en 2016, 12 millions de français souffrent de rhumatismes articulaires chroniques, dont 10 millions sont atteints d’arthrose . Si la grande majorité des personnes atteintes ont plus de 65 ans, l’arthrose concerne toutefois également 3% des moins de 45 ans.
Par ailleurs, parmi les 12 millions de patients atteints de rhumatismes, il y a environ 600 000 cas répertoriés de polyarthrite rhumatoïde, avec un âge moyen des patients autour de 45 ans. On retrouve également plus de 150 000 cas de spondylarthrites, avec un premier diagnostic généralement effectué entre 16 et 30 ans.
Dans ces 3 pathologies , l’un des principaux objectifs du traitement est le contrôle de la douleur et la réduction de l’inflammation, grâce à l’administration répétée d’anti-inflammatoires stéroïdiens (corticoïdes) ou non stéroïdiens (AINS) à doses parfois élevées. La voie d’administration la plus courante de ces molécules est la voie orale, dans certains cas associés à des infiltrations de corticoïdes directement effectuées sur les articulations douloureuses. La prise orale répétée et sur le long terme d’AINS à dose élevée, comme c’est le cas dans le cadre de ces traitements, comporte des risques secondaires, dont le risque d’ulcères gastriques. Il est donc souvent nécessaire de prescrire un protecteur gastrique associé, comme l’oméprazole, et donc d’alourdir la charge médicamenteuse.
Hydrogels étirables pour les patchs transdermiques
Comme il a été évoqué précédemment, le patch transdermique pour la libération contrôlée de molécules anti-inflammatoires doit idéalement combiner biocompatibilité, stabilité de la matrice et du principe actif, robustesse et capacité d’extension pour faire face aux activités quotidiennes du patient. La revue précédente a présenté des solutions pour améliorer la stabilité de composés hydrophobes, comme les molécules anti-inflammatoires, au sein des hydrogels et contrôler leur libération. Le paragraphe suivant va s’intéresser aux propriétés mécaniques des gels et plus particulièrement, leur capacité d’extension. Ainsi, le dispositif de libération transdermique doit être biocompatible tout en présentant une souplesse semblable à celle de la peau.
Les matériaux dédiés à la libération de principes actifs sensibles aux stimuli mécaniques du corps humain exploitent trois types de forces appliquées de façon interne ou externe : les forces de traction (ou étirements), les forces de compression et les forces de cisaillement. Elles sont générées par les mouvements des articulations, des muscles internes, de la circulation cardio-vasculaire ou encore par une action extérieure et volontaire du patient.
On trouve des forces de traction imposées par les mouvements à différentes localisations du corps humain : au niveau des différents muscles, de la peau, des tendons et des articulations osseuses. La variation de l’amplitude des forces exercées par ces contraintes est grande. Des forces de tractions cellulaires (~ 100 nN ) au forces maximales exercées par un muscle (675 ± 120 N), il peut y avoir jusqu’à 9 ordres de grandeurs. Ces forces imposent des déformations aux tissus biologiques. Ainsi, le cerveau et la colonne vertébrale doivent être capables de se déformer jusqu’à 20% de leur forme initiale, les muscles jusqu’à 30% et la peau entre 40 et 80% . Par exemple, la flexion du genou déforme la peau de l’articulation jusqu’à 50% . La peau humaine est par ailleurs constituée de trois couches (l’épiderme, le derme et l’hypoderme) qui en font un matériau hautement hétérogène et anisotrope. Il est ainsi difficile de décrire de façon absolue ses propriétés mécaniques . Les valeurs globales de module de Young retrouvées dans la littérature varient jusqu’à 3 ordres de grandeur (de 7 kPa à 1,1 MPa) et dépendent fortement de l’âge, du site anatomique et du degré d’hydratation.
Les forces de compression internes au corps humain proviennent des tensions entre les cartilages et les os au sein des articulations. Le patient peut également décider de volontairement appliquer une pression des doigts sur une zone ciblée en particulier pour déclencher la libération d’un principe actif.
Améliorer les propriétés mécaniques des hydrogels
Les polymères utilisés dans les patchs transdermiques à libération passive sont majoritairement d’origine synthétique : on trouve ainsi les poly(éthylène glycol) (PEG) réticulés, les poly(acides acryliques) (PAA) notamment sous les noms commerciaux d’Eudragit et Carbomer, ou encore les alcools polyvinyliques . Dans ces deux derniers cas, l’ajout de plastifiants comme du dibutyl phtalate est souvent nécessaire pour obtenir les propriétés mécaniques adéquates à l’utilisation sur la peau. L’utilisation des PEG impose également l’ajout d’agent réticulant, suivant la méthode chimique utilisée pour la réticulation. Du côté des polysaccharides, l’hydroxypropylmethylcellulose (HPMC) a été utilisée pour la confection d’une matrice dans un patch transdermique de propanolol , mais forme des films difficilement manipulables (cassants et fragiles).
L’ajout d’agents plastifiants ou réticulants n’étant pas approprié à la synthèse d’hydrogels pour des applications qui nécessitent une biocompatibilité stricte, c’est alors dans la conception de l’architecture de l’hydrogel qu’il faut chercher des alternatives pour améliorer les propriétés mécaniques.
Utilisation de nanovecteurs liés au réseau polymérique
Créer des liaisons chimiques, covalentes ou non, entre le réseau polymérique de support et le vecteur qui transporte les principes actifs est une première façon d’apporter aux patchs transdermiques une sensibilité aux stimuli mécaniques. La déformation macroscopique de la matrice provoquée par la contrainte mécanique va également induire une déformation des vecteurs transportant les molécules d’intérêt. Ainsi, Izawa et ses collègues ont créé un dispositif qui repose sur le principe de liaisons covalentes entre le vecteur médicamenteux et le réseau principal de la matrice. Des dérivés de β-CD, complexées avec de l’ondansetron (ODN, une molécule antiémétique), ont été introduits dans un hydrogel d’alginate de calcium par liaisons covalentes. Une compression -ou un cycle de 5 compressions-relaxations-modérées (50% de la taille initiale), qui simule la pression de la main par le patient, déforment les cavités de β-CD. Cette déformation suffit à perturber l’équilibre du complexe entre la β-CD et la molécule invitée, provoquant ainsi le relargage sporadique de l’ondansetron, synchronisé sur les actions mécaniques sur le gel. Xiao et ses collègues ont développé en 2012 le premier dispositif de délivrance actionnable par stimulus mécanique en créant des liaisons covalentes entre des micelles formées à base de copolymères à blocs (appelées BCMs pour block copolymer micelles) et le réseau polymérique principal de poly(acrylamide). La déformation (réversible, 200%) appliquée sur le réseau polymérique s’est propagée au BCMs sans dégrader l’intégrité du réseau polymérique. Des cycles (jusqu’à 6 répétitions) de déformation de 30 et 60% ont également permis la libération « pulsatile », et donc contrôlée, de molécules de styrène encapsulées à l’intérieur . Un peu plus tard, ce même système de BCMs, encapsulant cette fois-ci de la dexaméthasone (DEX, une molécule anti-inflammatoire), a été appliqué par la même équipe à un réseau d’acide hyaluronique (HA) pour le traitement de patients atteints d’arthrose du genou . Cette fois-ci, l’action compressive, similaire à celle que l’on retrouve dans l’articulation du genou, a déclenché la libération de la DEX et son action anti-inflammatoire synergique avec les éléments solubles du HA. Ce genre de dispositif pourrait donc être intégré dans la conception de cartilage de synthèse.
Table des matières
Plan général
Introduction générale
Chapitre 1 : Problématique : La délivrance transdermique d’un principe actif hydrophobe depuis une matrice hydrogel étirable
1.1. Contexte : besoins liés au traitement des maladies inflammatoires articulaires chroniques
1.2. Les patchs transdermiques pour la délivrance de principe actifs hydrophobes
1.2.1. Les patchs transdermiques : généralités
1.2.2. Lipid nanoparticles-hydrogel composites for drug delivery: a review (Desfrançois & al., Pharmaceuticals 2018, 11, 118) : article
1.3. Hydrogels étirables pour les patchs transdermiques
1.3.1 Améliorer les propriétés mécaniques des hydrogels
1.3.2 Les polyrotaxanes
1.3.3 Déclencher la libération du PA par stimulus mécanique
1.4. Conclusion
Références
Chapitre 2 : Synthèse one-pot de polyrotaxanes solubles dans l’eau avec un nombre contrôlé de cyclodextrines enfilées
2.1. Contexte
2.1.1. Objectifs
2.1.2. Approche : une synthèse one-pot de polyrotaxanes solubles dans l’eau avec un nombre contrôlé de cyclodextrines enfilées
2.2. Résultats
2.2.1. Synthèses des β-cyclodextrines modifiées avec groupements acides carboxyliques
2.2.2. Functionalizing β-cyclodextrins: a simple strategy to control their threading during polyrotaxane formation: article
2.2.3. Résultats complémentaires
2.3. Conclusion
Références
Chapitre 3 : Synthèse d’hydrogels hybrides incluant des polyrotaxanes-méthacrylates et caractérisation de leur comportement sous contrainte mécanique
3.1. Contexte
3.1.1. Objectifs
3.2. Résultats
3.2.1. Synthèse d’un polyrotaxane avec des stoppeurs à base de cyclodextrines méthylées
3.2.2. Synthèse d’un polyrotaxane-méthacrylate ((PR-(MA)2.4, 4’’)
3.2.3. Formation des hydrogels
3.2.4. Caractérisations mécaniques par tests de compression uni-axiale
3.3. Conclusion
3.4. Références
Chapitre 4 : Les particules lipidiques nano-structurées pour l’encapsulation de principes actifs hydrophobes
4.1 Contexte
4.1.1 Objectifs
4.1.2. Approche
4.2. Particules lipidiques nano-structurées encapsulant de la nicotine (NLC-Nic)
4.2.1 Intérêt de l’encapsulation de la nicotine dans des nanovecteurs
4.2.2 Stratégie d’encapsulation de la nicotine dans les NLC : formation de complexe ionique
4.2.3 Synthèse des NLC-Nic
4.2.4 Caractérisation des NLC-Nic
4.2.5 Diffusion des NLC-Nic à travers de la peau de por
4.2.6 Discussion des résultats obtenus sur les NLC-Nic
4.3. Particules lipidiques nano-structurées encapsulant du thymol (NLC_Thymol) : Formulation of stable thyme essential oil nano-structured lipid carriers and their transdermal diffusion properties (article)
4.4. Conclusion
Références
Chapitre 5: Material and Methods
5.1 Materials & General Procedures
5.2. Preliminary organic synthesis
5.2.1. Modification of reverse pluronic 10R5 (3)
5.2.2. Synthesis of β-cyclodextrins modified carboxylic acids
5.2.3. Synthesis of β-cyclodextrin-pentenamide (2)
5.3. Synthesis and characterizations of polyrotaxanes
5.3.1. Synthesis (4X)
5.3.2. Characterizations
5.4. Gels formation and characterizations
5.4.1. Preliminary synthesis
5.4.2. Formation of the gels
5.4.3. Characterizations
5.5. Lipid nanoparticles synthesis
5.5.1. Formulation of NLC-Nic and NLC-Thymol
5.5.2. Characterizations
Conclusion Générale