MATERNITÉ ET ESTHÉTIQUE ROMANESQUE DANS THINGS FALL APART
PROGÉNITURE MÂLE COMME SYMBOLIQUE DE LA FERTILITÉ
Si certes le nombre d‟enfants détermine la qualité biologique de la femme, le sexe masculin de ces derniers en représente un critère d‟excellence. Dans la mentalité populaire, le garçon valorise la mère au plus haut point. Il lui confère une dignité, une légitimité et un rang de premier ordre dans la hiérarchie des épouses d‟un homme. Au père, le fils apporte un rendement économique en tant que main d‟œuvre. Le fils garantit aussi la descendance du père par le nom qu‟il perpétue à travers d‟autres enfants. Dans ce travail, le terme « symbolique » désigne l’ensemble des symboles propres à une religion, à un peuple, et l‟interprétation de leur portée significative. C‟est un système de représentation utilisé pour une initiation spirituelle. Le terme « symbolique » renvoie au radical symbole qui désigne tout élément véhiculant une signification au-delà de son apparence. Le symbole peut être un mot, un objet qui, par analogie ou association, représente une entité, un état, un sentiment, un sens. Dans les œuvres romanesques de Chinua Achebe et de Buchi Emecheta, la pensée symbolique s‟élabore à partir du matériau folklorique Igbo où la maternité trouve une expression privilégiée. Sous cet angle, la symbolique du ventre est explorée dans The Joys of Motherhood par le biais d‟Adaku, le personnage principal qui représente la figure maternelle.
Le ventre comme symbole de fécondité
C‟est une lapalissade de dire que la fertilité apporte le bonheur et la prospérité. Selon N. Krishnaji, de nombreuses théories justifient l‟importance de la fécondité par le fait que les enfants contribuent au revenu familial, directement par le travail rémunéré, ou indirectement par l‟exécution de taches domestiques non rémunères. Ainsi, la raison du taux élevé de fécondité se trouve dans la valeur économique des enfants calculée à long terme48 . N. Krishnaji affirme aussi que la fertilité est un remède au taux élevé de mortalité infantile dans les milieux démunis. Pour lui, le pauvre produit beaucoup d‟enfants afin d‟obtenir un plus grand nombre de survivants. Ce modèle stratégique revêt un caractère économique si l‟on considère le gain que peuvent générer les enfants ayant survécu. 49 Sur la base des arguments de Krishnaji, on peut retenir que la fertilité est perçue comme un atout par le couple. La mère y voit une qualité qui la rehausse socialement et lui assure une stabilité, comme l‟atteste Remi Akujobi: Although maternal ideals are entrenched and valorized in all cultures, patriarchal societies present a woman’s central purpose to be her reproductive function and so motherhood and mothering become intertwined with issues of a woman’s identity. Most theories postulated whether by men or women define women in terms of fertility and this is particularly reinvented in real life through many female archetypes, it is common to hear such terms as the Virgin, Venus, and Mother Earth and these are tied to women’s functions as mothers in society. La réflexion d‟Akujobi souligne l‟impact positif de la maternité sur le statut et l‟image de la femme qu‟Achebe et Emecheta représentent dans leurs œuvres romanesques. The Joys of Motherhood met en scène Nnu Ego qui occupe une place privilégiée dans son second ménage avec Nnaife. Après le temps des déboires liés à l‟infécondité, par la grâce des enfants mâles qu‟elle a finalement obtenus, Nnu Ego bénéficie de faveurs au détriment de sa coépouse Adaku qui n‟a que deux filles. Dans ce retournement de situation, Buchi Emecheta explicite la supériorité de Nnu Ego qui s‟émeut du sort d‟Adaku: She heard Adaku sniffing […] Nnu ego was overwhelmed with pity for Adaku, but how could she express it? The men had been unfair in their judgment. She, Nnu Ego, had been wrong all the way, but of course they had made it seem that she was innocent just she was the mother of sons. Men were so clever. By admonishing her and advising her to live up to her status as senior wife, they made it sound such an enviable position, worth any woman‟s while to fight for. She did not care. She spoke to Adaku (The Joys, p.167). Le monologue intérieur de Nnu Ego que nous livre Emecheta montre qu‟elle est consciente du privilège qu‟on lui accorde grâce à ses enfants mâles. Ainsi, ses fils deviennent une menace pour sa coépouse car ils ont permis la rapide ascension sociale de leur mère. Second-Class Citizen aussi permet à Emecheta de traiter de la figure maternelle revalorisée par sa fécondité et ses enfants mâles. Même si l‟héroïne principale, Adah, demeure « une college-trained » qui gagne un bon salaire à l‟ambassade des U.S.A à Lagos, sa valeur suprême réside dans sa fertilité. Les lignes suivantes donnent la juste mesure de la maternité que décrit Emecheta à travers la fécondité d‟Adah. 39 A woman would be forgiven everything as long as she produced children. Adah was so fast on this score that she was given the nickname „Touch Not‟ among the other wives of her age group. „As soon as her husband touches her, she gets a swollen tommy‟, they used to laugh. (Second-Class, p. 28) Apparemment, le surnom, « touch not », octroyé à Adah dans ce passage, résonne comme une moquerie. Pourtant, à y voir de plus prés, il est une appréciation positive car il sert d‟insistance sur les qualités maternelles de la femme. Autrement dit, il montre l‟aisance par laquelle Adah tombe en grossesse. La louange hyperbolique véhiculée à travers le sobriquet « Touche pas » est une reconnaissance de la grande fertilité d‟Adah qui justifie son existence de femme. La valeur maternelle que cette qualité biologique lui confère est visible dans la symbolique de son ventre ballonné (a swallen tommy) mentionnée à travers les propos des voisines d‟Adah. En vérité, les autres femmes ont recours au ventre pour exprimer la fertilité parce qu‟il est l‟organe central de la femme. Nid de gestation de la vie, il sert de référent universel à l‟expression de la maternité. Mathilde Faivre en explique la symbolique dans ce passage:
Progéniture mâle et bénédiction maternelle
Dans les sociétés patrilinéaires surtout, les naissances des garçons sont accueillies avec plus d‟enthousiasme et de fierté que celles des filles car le mâle symbolise la fierté familiale et la survie clanique. C‟est la raison pour laquelle les cultures africaines accordent une plus grande importance à la mère qui produit une progéniture mâle. Les femmes en ont tellement conscience qu‟elles ne se sentent pas en sécurité tant qu‟elles ne donnent pas naissance à un garçon. En général pour le mari et la belle-famille, l‟enfant le plus désiré n‟est pas encore né si la femme ne (re)produit que des filles. La mentalité traditionnelle africaine attribuant le mauvais choix du sexe à la mère, la recherche d‟enfants mâles est, le plus souvent, l‟une des raisons qui poussent les hommes à opter pour la polygamie52 . Dans l‟imaginaire collectif des communautés ethniques comme les Igbo, le mâle véhicule toute une symbolique de revalorisation pour la mère. Chinua Achebe et Buchi Emecheta ont puisé de ce réservoir de métaphores pour représenter les valeurs qui fondent le statut de la mère sur la base du sexe de l‟enfant. En effet, Things Fall Apart et The Joys of Motherhhod présentent des femmes distinguées par leur fertilité, leur seule raison d‟être utile à l‟homme et à la société. Cette constatation permet de situer la maternité au cœur des préoccupations des deux auteurs qui utilisent diverses stratégies de création pour la rendre visible dans l‟espace romanesque. Désiré-Salomon Mwendanga Musengo, «La préférence dans les sexes », in Blog de Bioéthique, Afrique francophone, http://bioethiqueafriquefrancophone.blogspot.com, octobre, 1, 2008, consulté le 25/12/2011. 42 Okonkwo, le personnage dominant de Things Fall Apart, s‟attache à ses épouses parce qu‟elles sont toutes fertiles. Sa première femme lui a donné trois garçons. Nwoye, l‟ainé, est celui que le père éduque avec beaucoup de rigueur pour en faire un homme brave, prospère et influent. C‟est sur lui que repose d‟abord la continuation du lignage paternel. La manière particulière dont Okonkwo traite Nwoye est la preuve de l‟importance primordiale qu‟il lui accorde et qui rejaillit sur le statut de sa mère. Même si celle-ci est la première épouse (senior wife), elle tire ce statut aussi de sa fécondité et de ses trois fils. En d‟autres termes, la satisfaction qu‟Okonkwo a de la mère de Nwoye est due au fait qu‟elle participe à sa promotion sociale par le nombre d‟enfants mâles qu‟elle lui donne. Ceux-ci sont de futurs bras pouvant faire la richesse de leur père. Uchendu, l‟oncle maternel d‟Okonkwo, reconnaît la place importante que son neveux occupe dans la société parce que ce dernier a plus d‟enfants que lui. Il a atteint un rang social élevé grâce à son courage mais aussi grâce à la fertilité de ses épouses. (Things, p. 94). Alors, il va sans dire qu‟à Umuofia, le village d‟Okonkwo, la maternité définit l‟identité de la femme par sa capacité d‟agrandir la famille et de perpétuer la lignée paternelle. Cette remarque est aussi évidente dans The Joys of Motherhood d‟Emecheta où Amatokowu, le premier mari de Nnu Ego, est obligé de se séparer d‟elle à cause de l‟infertilité qui la frappe. Dés lors on saisit les motivations qui poussent Nnu Ego à souhaiter revenir chez son père avec beaucoup d‟enfants avant d‟aller à Lagos pour rejoindre Nnaife Owulum, son second époux. Nnu Ego accède à la dignité que l‟infertilité lui a refusée. Son enfant, cette fois-ci vivant, est une consolidation des liens entre elle et Nnaife qu‟elle n‟a jamais accepté à cause de sa laideur et de ses manières bizarres. En cela, le petit mâle constitue une garantie de stabilité qui donne un sens à la vie conjugale de Nnu Ego finalement réhabilitée aux yeux de la société. Par la naissance de Ngozi, Emecheta explique la symbolique du mâle qui valorise la maternité. Elle écrit à propos de son personnage, Nnu Ego: She accepted Nnaife as the father of her child, and the fact that this child was a son gave her a sense of fulfilment for the first time in her life. She was now sure […] that her old age would be happy, that when she died there would be someone left behind to refer to her as”mother” (The Joys, p.54) Ici, le lecteur remarque que Nnu Ego est consciente de la renaissance qu‟elle a subie. Son fils Ngozi ajoute à sa vie une dimension nouvelle qui complète son identité. En d‟autres mots, elle perçoit l‟enfant comme un enrichissement et un prolongement de son existence par la procréation. Malheureusement pour elle, Ngozi n‟a survécu que deux mois, ce qui lui a encore valu des moments de souffrances atroces. À ce point, Emecheta présente des valeurs patriarcales qui donnent un sens à la femme capable de produire de petits mâles pouvant survivre. Une telle croyance représente une sorte de défi lancé aux mères. Ainsi, le décés de Ngozi, le premier garçon de Nnu Ego, est ressenti comme un échec de la maternité. Avec cette perte Nnu Ego sombre dans le désespoir total qui frise la démence.
INTRODUCTION |