Matériaux rhéo-acoustiquesMatériaux rhéo-acoustiques
Introduction
Cette thèse porte sur l’étude de matériaux « rhéo-acoustiques ». Les propriétés mécaniques de ces derniers sont sensibles aux ultrasons de puissance. Pour appréhender ce phénomène, nous utilisons la rhéologie, domaine de la physique étudiant l’écoulement de matériaux comme les fluides complexes. Dans ces travaux, nous allons, en particulier, nous intéresser à l’effet de vibrations acoustiques sur les propriétés mécaniques de certains matériaux. Dans cette première partie, nous introduirons donc les différents paramètres et grandeurs permettant de caractériser la physique de ces systèmes.
Rhéologie des fluides complexes Image solide
Le solide possède une forme propre. (b) La forme du liquide s’adapte au récipient qui le contient. Figure 1 Illustration simple de la différence entre un liquide et d’un solide. Dans notre vie quotidienne, nous classons généralement le comportement de la matière selon deux catégories : les fluides et les solides. Pour réaliser cette distinction, les écoliers apprennent, qu’à la 1 2 Introduction différence d’un solide, un fluide ne possède pas de forme propre : il s’adapte à la forme du récipient. La Figure 1 illustre cette propriété dans le cas d’un bloc de cuivre et d’une solution d’eau colorée. De plus, à l’opposé d’un solide, un fluide ne peut pas être saisi. Pour réaliser la même photographie que celle de la Figure 1(b) avec du miel, nous aurions dû attendre plus longtemps que pour de l’eau car celui-ci est « plus visqueux ». Ainsi, les fluides ne coulent pas tous de la même façon. La viscosité, notée η, permet de quantifier l’écoulement d’un matériau. Plus elle est élevée, plus le fluide s’écoule lentement. La Table 1 expose quelques ordres de grandeurs de viscosité pour différents fluides à la température de 20◦C. fluide η (Pa.s) air 18.55 × 10−6 eau 1.005 × 10−3 huile ∼ 0.1 miel ∼ 10 Table 1 Ordres de grandeurs de viscosités de fluides à la température de 20◦C. Néanmoins, il existe des matériaux pour lesquels une distinction solide-liquide n’est pas évidente. Prenons l’exemple d’un mélange d’eau et d’amidon de maïs (Maïzena®). Comme illustré sur la Figure 2(a), cette solution paraît être un liquide : au repos, elle coule entre les doigts de la main. Cependant, la Figure 2(b) montre qu’en comprimant le mélange rapidement dans la paume de la main, un solide peut être modelé. Ces matériaux à la fois solide et liquide sont appelés fluides complexes ou « matériaux mous ». (a) Au repos, la solution coule entre les doigts. (b) En comprimant rapidement la main, la solution forme un solide. Figure 2 Illustration du comportement liquide et solide d’une solution d’amidon de maïs mélangé avec de l’eau avec une concentration massique de 66 %.
Matériaux mous
Un mélange d’eau et d’amidon de maïs est un exemple de fluide complexe. En fait, nous connaissons de multiples « matériaux mous » dans notre environnement quotidien comme en rend compte la Figure 3. En effet, le tube de dentifrice ne se vide pas s’il reste ouvert mais une simple pression des doigts suffit pour le faire couler. À la différence des liquides, les fluides complexes sont souvent composés de particules dont la taille peut varier entre la centaine de nanomètres et la dizaine de micromètres. Ces particules, appelées « colloïdes », peuvent alors s’agréger et former un réseau organisé sur plusieurs centaines de micromètres. Ainsi, ces matériaux possèdent une organisation à l’échelle microscopique leur conférant certaines propriétés d’un solide. 1 Rhéologie des fluides complexes 3 Matériau vs structure (a) Mayonnaise. (b) Yaourt. (c) Peinture. (d) Dentifrice. (e) Mousse. Figure 3 Exemples de fluides complexes représentés aux échelles macroscopique (haut) et microscopique (bas). La barre d’échelle (en haut à droite) correspond à 50 µm. Pour mieux appréhender cet état de la matière à la fois solide et liquide, nous allons étudier le comportement d’une solution colloïdale de billes sphériques. Ces particules sont soumises à l’agitation thermique et présentent des interactions répulsives à courte portée (de l’ordre de quelques nanomètres) [1]. En fonction de la fraction volumique de particules dans la solution et de l’intensité de l’interaction entre les particules, il est possible de former différents types de matériaux : liquide, cristal, gel ou verre. Lorsque la fraction φ en particules augmente dans une solution colloïdale, il est possible de passer d’un état liquide désordonné (φ < 0.49) à un état purement cristallin (0.54 < φ < 0.74) comme illustré sur la Figure 4 [2]. Cette transition possède une origine entropique. L’état final obtenu est à l’équilibre thermodynamique et s’établit souvent sur des échelles de temps longues. après 4 jours fluide fluide + cristal cristal verre équilibre thermodynamique hors-équilibre Figure 4 Illustration des différents états d’une solution de « sphères dures » colloïdales de polyméthacrylate de méthyle couverts d’une brosse de polymère et possédant un diamètre 640 nm pour différentes fractions volumiques φ. Image extraite de [3]. En fonction de la fraction volumique et de l’interaction entre les particules, il est également possible d’atteindre des états hors-équilibre non prédits par la thermodynamique [4]. Comme le montre la Figure 4, pour des fractions φ > 0.58, des états vitreux sont observés à la place d’un état cristallin. Cet état persiste jusqu’à une fraction φ = 0.64. Les transitions entre l’état liquide et les états hors-équilibre sont représentées sur la Figure 5. Dans cette représentation, plus la température augmente, plus 4 Introduction l’influence de l’interaction attractive entre les particules diminue. verre attractif gel Fraction volumique Température liquide verre répulsif transition verre-verre transition vitreuse formation d’un gel états liquides Figure 5 Diagramme de phase d’une solution de colloïdes sphériques tiré de [4]. Comme nous venons de l’évoquer, pour des fractions φ élevées telles que à 0.58 < φ < 0.64, une transition vitreuse apparaît. Chaque colloïde est alors bloqué dans une « cage » formée par ses plus proches voisins. Il ne pourra s’en « échapper » que si le système est sondé sur des échelles de temps très longues. Deux états désordonnés de type vitreux peuvent être distingués : ils correspondent à un blocage cinétique et ne sont pas à l’équilibre thermodynamique. D’abord, dans le cas où les particules sont répulsives, la solution passe directement d’un état liquide à un verre répulsif. Dans le cas de particules peu répulsives, celles-ci se repoussent d’abord et ainsi confèrent un état liquide à la solution. En augmentant davantage la fraction volumique, la solution franchit la transition vitreuse et prend l’aspect d’un verre répulsif. Pour une solution concentrée en particules possédant des interactions attractives entre elles, la solution prend la forme d’un verre attractif. À faible fraction φ et pour des particules fortement attractives (représentées ici par une faible température), les colloïdes se rapprochent les uns des autres sous l’effet des interactions attractives. Leur intensité est supérieure à celle de l’agitation thermique. Une fois en contact, l’agitation thermique est insuffisante pour redisperser les particules qui sont bloquées dans le puits de potentiel de leurs voisines. Celles-ci sont ainsi agrégées et forment un gel. Les colloïdes s’organisent en un réseau dont la morphologie dépend des interactions et de la concentration en particules mais également des contraintes extérieures exercées sur la solution. L’interaction entre les particules résulte souvent de forces de type Van der Waals et peut être facilement modifiée en jouant sur les paramètres chimiques comme le pH ou l’ajout de sels [5][6][7]. Finalement, à partir de ce diagramme de phase, nous pouvons passer d’un état à un autre en modifiant la fraction en particules φ ou l’interaction entre les particules. Néanmoins, si l’état final de la solution est un état hors-équilibre, celui-ci est alors dépendant du chemin utilisé pour l’atteindre, 1 Rhéologie des fluides complexes 5 contrairement à un état à l’équilibre thermodynamique. En d’autres termes, l’organisation des particules d’un gel ou d’un verre est sensible à l’histoire de la solution, c’est-à-dire par exemple, du cisaillement subi ou des conditions de préparation. Chaque fluide complexe possède une organisation microscopique caractéristique conduisant à des propriétés mécaniques particulières. Étudier l’écoulement de ces matériaux soumis à des contraintes extérieures est un enjeu crucial pour mieux les utiliser. Pour cela, il est nécessaire d’introduire des grandeurs permettant de quantifier leur caractère bivalent solide-liquide.
Caractérisation d’un matériau
Pour caractériser la réponse d’un matériau à une contrainte extérieure, nous avons besoin d’introduire des grandeurs évaluant à la fois l’aspect solide et l’aspect liquide. Grandeurs rhéométriques Prenons l’exemple d’un échantillon cisaillé entre une plaque fixe et une plaque mobile, possédant chacune une surface S et espacées d’une distance h, comme le montre la Figure 6. La plaque mobile exerce une force F~ = F ~ex sur le matériau. En régime stationnaire, cette force exercée tangentiellement à la plaque supérieure engendre une déformation du matériau dans la direction ~ex. Dans le cas d’un comportement de type solide, une déformation ~u = u(z) ~ex est induite tandis que pour un comportement liquide, un écoulement s’établit avec un profil de vitesse stationnaire laminaire ~v = v(z) ~ex. cisaillement Figure 6 Écoulement d’un matériau confiné entre deux plaques. Une force F~ est appliquée sur la plaque supérieure induisant alors un écoulement décrit par le champ de vitesse ~v(z). Trois grandeurs peuvent alors être introduites pour étudier le comportement du matériau : • La contrainte, notée σ, correspond à la force surfacique appliquée sur le matériau dans la direction perpendiculaire à sa surface. Elle est définie par la relation : F = σS. (1) • La déformation, notée γ, correspond à l’amplitude de déformation du matériau par rapport à l’épaisseur de l’échantillon. Elle quantifie le déplacement d’un volume mésoscopique situé à un point ~r à l’instant t jusqu’à un point ~r + ~u(~r, t) à l’instant t + dt. Dans le cas de notre exemple, la déformation s’écrit γ = ∂u ∂z = u0/h avec u0 = u(h). • Le taux de cisaillement, noté γ˙ , correspond à la dérivée temporelle de la déformation γ. Ici, cette grandeur est donc égale à γ˙ = ∂v ∂z = v0/h avec v0 = v(h). Viscoélasticité linéaire d’un matériau Dans le régime linéaire, la réponse mécanique du matériau est proportionnelle à la sollicitation extérieure. La loi de Hooke permet de prédire le comportement d’un solide élastique en introduisant le module statique G : σ = Gγ. (2) En fait, la loi de Hooke se généralise pour tout type de fluide [8]. Une contrainte oscillante σ, d’amplitude σ0, σ = σ0(ω) cos(ωt) induit une déformation oscillante à la même fréquence et éventuellement déphasée : γ = γ0(ω) cos(ωt). Finalement, en utilisant des notations complexes et en appliquant la loi de Hooke généralisée, nous obtenons l’équation : σ0(ω) = G ∗ (ω)γ0(ω), (3) avec G∗ une grandeur complexe appelée module viscoélastique. Nous pouvons alors distinguer sa partie réelle G0 appelée module élastique de sa partie imaginaire G00 appelée module visqueux. Le module élastique caractérise l’amplitude de la réponse du matériau en phase avec l’excitation et ne dissipe pas d’énergie. À l’opposé, le module visqueux décrit l’amplitude de la réponse du matériau en opposition de phase strictement dissipative. La phase du module viscoélastique G∗ , notée δ et telle que tan δ = G00/G0 , est un outil supplémentaire pour caractériser un matériau. Les modules G0 et G00 dépendent de la fréquence de sollicitation ω. Pour un solide élastique de module statique G, nous avons alors G0 (ω) = G, G00(ω) = 0 et tan δ = 0 et pour un fluide simple de viscosité η, G0 (ω) = 0, G00(ω) = ηω et tan δ = π 2 . Un matériau est dit viscoélastique s’il y a coexistence d’un module élastique G0 avec un module visqueux G00 tous deux non nuls. Si G0 > G00 (tan δ < π/4), le matériau est solide cependant si G00 > G0 (tan δ > π/4), l’aspect visqueux l’emporte sur l’aspect élastique, le matériau est alors un liquide. La réponse des fluides complexes à une contrainte n’est pas linéaire. Ces matériaux sont capables de passer d’un état solide à liquide en fonction de l’amplitude et de la fréquence de sollicitation exercée sur lui. Pour que cette description soit valable, il est important de noter que le matériau doit être sollicité dans son régime linéaire. Autrement dit, la fréquence et l’amplitude de la déformation appliquée doivent être suffisamment faibles pour ne pas mettre en jeu des aspects non linéaires de la dynamique microscopique. Au-delà d’une telle limite, le comportement du matériau est régi par une viscoélasticité non linéaire : la réponse rhéologique du système fait alors apparaître des composantes harmoniques. L’analyse de ce régime a donné lieu à de multiples travaux ces dernières années, notamment avec le développement de la rhéologie par transformée de Fourier [9]. Écoulement d’un matériau Pour quantifier l’écoulement d’un matériau, nous utilisons la loi de Newton qui relie la contrainte au taux de cisaillement via la viscosité du fluide η : σ = ηγ. ˙ (4) Pour les fluides dits simples ou newtoniens comme l’eau ou le miel, la viscosité η est constante et indépendante de la sollicitation. Pour les fluides complexes, cette loi se généralise à : σ( ˙γ) = η( ˙γ) ˙γ. (5) La Figure 7 met en évidence le comportement de la contrainte σ et de la viscosité η pour différents fluides soumis à un cisaillement γ˙ . Dans le cas du miel (Miel liquide d’acacia, Casino®), nous retrouvons le comportement newtonien : la contrainte σ est proportionnelle au taux de cisaillement γ˙ . La viscosité η est égale à η ‘ 9.5 Pa.s et est indépendante de la sollicitation subie. 1 Rhéologie des fluides complexes 7 Courbes d’écoulement (a) Évolution de la contrainte σ en fonction du taux de cisaillement γ˙ . (b) Évolution de la viscosité η en fonction du taux de cisaillement γ˙ . Figure 7 Écoulement du miel (Miel liquide d’acacia, Casino ®) (•), de la mayonnaise (Amora ®) (•) et d’une solution de maïzena (•) soumis à un taux de cisaillement γ˙ . L’obtention de ces mesures sera détaillée dans le chapitre 1. La mayonnaise (Amora®) et la solution de maïzena ne présentent pas le même comportement que le miel suite à une mise en écoulement. D’abord, la solution de maïzena peut être qualifiée de fluide rhéo-épaississant. En effet, à partir d’un taux de cisaillement proche de γ˙ ‘ 50 s −1 , la contrainte σ varie selon une loi de puissance σ ∝ γ˙ n avec n ‘ 3 : la viscosité augmente donc fortement avec le carré du taux de cisaillement. Ceci explique alors le comportement de la solution observé sur la Figure 2. Lorsque nous comprimons rapidement la solution, le taux de cisaillement est élevé et entraîne une augmentation de la viscosité de la solution. Pour la mayonnaise, nous observons un comportement encore différent. Pour de faibles taux de cisaillement, la contrainte est constante puis celle-ci augmente selon une loi de puissance σ ∝ γ˙ n avec n ‘ 0.14. La viscosité diminue lorsque le taux de cisaillement augmente, il s’agit d’un fluide à seuil rhéo-fluidifiant. En fait, pour mettre en écoulement la mayonnaise, il faut appliquer une contrainte σ supérieure à une contrainte dite seuil et notée σy. Pour décrire l’écoulement de fluides à seuil, la loi empirique de Herschel-Bulkley est très souvent utilisée [10]. Le comportement du matériau peut être modélisé par : ( σ = σy + Kγ˙ n si σ > σy γ˙ = 0 sinon. (6) Trois paramètres sont alors introduits : la contrainte seuil σy, la consistance K et n l’indice caractérisant l’écoulement. Pour σy = 0 Pa et n = 1, nous retrouvons le comportement d’un fluide newtonien. Pour n < 1, le matériau est qualifié de rhéo-fluidifiant, pour n > 1 de rhéo-épaississant. Si la contrainte est inférieure au seuil σy, le matériau présente un comportement solide et la déformation atteint instantanément un régime stationnaire soit γ˙ = 0. À partir de la contrainte σ et du taux de cisaillement γ˙ , il est donc possible de caractériser l’écoulement d’un matériau via la viscosité η.
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