L’utilisation des antiretroviraux chez la femme
enceinte seropositive
Interactions entre la grossesse et l’infection à VIH
Impact de la grossesse sur l’évolution de la maladie chez la mère : En l’absence de traitement antirétroviral, l’influence de la grossesse sur l’évolution de l’infection à VIH a été longtemps discutée. Il apparaît maintenant que chez les femmes asymptomatiques et immunocompétentes, la grossesse n’accélère pas la progression. D’autre part, la charge virale plasmatique ne paraît pas modifiée par la grossesse (32) ■ Modifications immunitaires La crainte que les modifications immunitaires qui se produisent au cours de la grossesse et permettant la tolérance de la semi allogreffe foetale aient une influence défavorable sur l’évolution de la maladie (33,34). En fait, la grossesse n’est pas véritablement un état de déficit immunitaire. La réponse aux différents vaccins n’est pas modifiée. Quant aux maladies infectieuses qui seraient aggravées par la grossesse, il n’a jamais été démontré que les complications telles que les syndromes de détresse respiratoire lors de la grippe ou de la varicelle soient plus fréquentes chez les femmes enceintes que chez celles non enceintes. La grossesse n’entraîne pas de modification connue de l’immunité humorale. Les taux des immunoglobulines (Ig) G, A et M, de même que le nombre des lymphocytes B et leur fonction, restent normaux. En revanche, le nombre de lymphocytes CD4 et CD8 et leur fonction ont fait l’objet d’études contradictoires. Plusieurs études ont mis en évidence une diminution du nombre des lymphocytes CD4 (par mm3 de sang) pendant la grossesse, parfois associée à une augmentation du nombre des lymphocytes CD8. Toutefois, il pourrait s’agir simplement d’une redistribution lymphocytaire, car seulement 2 % des lymphocytes CD4 présents dans l’organisme sont dans le sang périphérique. Par ailleurs, le changement est surestimé, en raison de l’hémodilution de la grossesse, alors que le pourcentage de lymphocytes CD4 varie peu. Chez les femmes infectées par le VIH, la grossesse ne semble pas influencer la vitesse de diminution des lymphocytes CD4 (35). Une diminution de l’activité fonctionnelle des lymphocytes CD4 a été rapportée, alors que par ailleurs une augmentation de l’activation des lymphocytes T a été décrite. D’autre part, il a été décrit une diminution de l’activité des cellules natural killers (NK). Les modifications portant sur la sécrétion des différentes cytokines sont les plus étudiées, du fait de leur rôle dans la parturition et dans les accouchements prématurés d’étiologie infectieuse. L’étude des cytokines est toutefois difficile en raison de leurs variations rapides dans le temps et des discordances entre les taux présents localement (dans le placenta, le liquide amniotique et le pôle inférieur de l’oeuf) et dans le sang périphérique maternels.
Influence du VIH sur la grossesse
L’infection par le VIH est associée à une augmentation des taux de fausses couches, accouchements prématurés et hypotrophies, particulièrement dans les pays en développement. D’autre part, en cas de déficit immunitaire, des complications infectieuses peuvent survenir. Enfin, la morbidité post partum est augmentée, particulièrement en cas de césarienne. Dans une méta analyse, en ajustant sur les autres facteurs de risque (36), les mères VIH positives avaient un risque plus élevé d’accouchement prématuré, d’hypotrophie, de mort périnatale. Toutefois, la causalité n’est pas connue. Dans les études européennes et américaines, certaines de ces femmes ont d’autres facteurs de risques connus (toxicomanie ou alcoolisme, tabagisme, problèmes sociaux), ce qui rend difficile l’appréciation du rôle du VIH proprement dit. L’apport des études africaines est important, car le groupe de femmes témoins séronégatives pour le VIH semblent moins différer du groupe de femmes séropositives, ce qui limiterait les biais de recrutement. Toutefois, la situation est très différente de celle des pays industrialisés, tant du point de vue des femmes (nutrition, parasitoses, pathologies infectieuses associées) que du point de vue du manque de suivi obstétrical. ■ Fertilité Il est possible que l’infection par le VIH joue un rôle au stade avancé de la maladie, du fait de la cachexie et des modifications endocriniennes multiples aboutissant à l’hypogonadisme mixte (gonadotrope et périphérique). (37) Par ailleurs, la fertilité peut être diminuée par les séquelles de maladies sexuellement transmissibles (MST) associées par des agents tels que le gonocoque ou les Chlamydiae. De plus, les risques liés au VIH sont parfois aggravés par les difficultés sociales et les problèmes de couple. ■ Avortements spontanés Il semble que le taux de fausses couches spontanées soit plus élevé chez les femmes infectées par le VIH que chez les femmes non infectées, mais il ne s’agit pas forcément d’une relation causale. Des études ont aussi observé un taux élevé de grossesses extra-utérines chez les femmes séropositives. Toutefois, la fréquence des MST associées pourrait être à l’origine de cette pathologie, plutôt que le VIH. (37, 38, 39). Toutefois, le choix des femmes de ne pas avoir un enfant était la principale raison d’une baisse de la fécondité et de la natalité, et d’une augmentation du taux d’interruptions de grossesse. ■ Accouchements prématurés Le taux d’accouchements prématurés est environ deux fois plus élevé chez les femmes infectées par le VIH que chez les femmes non infectées. Dans la cohorte périnatale française, il était de 11 % avant l’introduction des antirétroviraux. Presque toutes les études africaines montrent un excès plus ou moins important d’accouchements prématurés chez les femmes séropositives ayant un déficit immunitaire que chez les femmes séropositives sans déficit immunitaire (40). En l’absence de preuve d’une relation causale entre l’infection par le VIH et l’accouchement prématuré, l’hypothèse la plus plausible les reliant fait intervenir l’infection ovulaire ou Chorioamniotite infra clinique, qui pourrait être favorisée par une baisse de l’immunité locale (41). En pratique, la prévention de l’accouchement prématuré et de la rupture prématurée des membranes qui l’accompagne souvent est particulièrement importante dans la mesure où ils représentent un risque accru de transmission mère enfant du VIH. ■ Retards de croissance in utero et morts fœtales Plusieurs études africaines ont observé un poids de naissance moyen plus faible et un taux d’hypotrophie plus élevé en cas d’infection VIH maternelle (36). La différence de poids est de l’ordre de 150 à 250 g. L’incidence de l’hypotrophie est plus élevée en cas de déficit immunitaire maternel. Des études africaines ont par ailleurs mis en évidence un taux plus élevé d’enfants mort nés (morts in utero ou intra partum) en cas d’infection VIH maternelle (38). La relation entre le poids de naissance et le statut VIH maternel fait intervenir de nombreux facteurs, le VIH semble être un facteur, même en tenant compte de la toxicomanie et du tabagisme. D’autre part, le poids de naissance moyen est plus faible chez les enfants infectés par le VIH que chez les enfants non infectés. Il est possible que l’infection in utero puisse entraîner un retard de croissance. À l’inverse, le retard de croissance peut être d’origine placentaire et l’on peut faire l’hypothèse que des lésions vasculaires ischémiques favorisent la perméabilité du placenta, augmentant ainsi le risque de transmission. D’autre part, le risque de transmission augmente avec le degré de déficit immunitaire maternel (40, 42) et il est possible qu’un certain degré d’altération de l’état général maternel entraîne un risque accru d’hypotrophie foetale. La relation est d’autant plus difficile à étudier que le déficit immunitaire maternel est aussi un facteur de risque d’accouchement prématuré, d’hypotrophie et de transmission mère enfant in utero. Enfin, l’atteinte immunitaire s’accompagne de troubles nutritionnels, notamment d’une carence en vitamine A, qui augmente le risque d’infections non spécifiques et pourrait retentir sur la croissance foetale. ■ Complications de la grossesse liées au déficit immunitaire Les infections secondaires à un déficit immunitaire peuvent retentir sur la grossesse et l’accouchement, et comporter un risque de transmission à l’enfant. Il peut s’agir d’infections générales telles que la tuberculose, les hépatites virales, les infections à CMV et la toxoplasmose. L’hypoxémie due à une pneumopathie à Pneumocystis carinii ou bactérienne peut entraîner une souffrance foetale. Les pneumopathies bactériennes et autres infections non spécifiques sont plus fréquentes chez les femmes séropositives, en rapport avec le déficit immunitaire. Outre les infections opportunistes, les infections génitales peuvent avoir des conséquences obstétricales : vaginites mycosiques récidivantes, condylomes acuminés souvent multiples, herpès génital pouvant être extrêmement extensif.
Impact des traitements antirétroviraux sur la grossesse
L’impact des traitements antirétroviraux devrait modifier les relations entre le VIH et la grossesse. D’une part, l’amélioration de l’état immunitaire des femmes pourrait réduire le taux de complications. Plusieurs études ont mis en évidence une diminution du taux d’accouchements prématurés avec le traitement par AZT (43). Il a même été suggéré qu’une partie de l’effet protecteur de l’AZT s’expliquerait par un effet propre de prévention de l’accouchement prématuré. D’autre part, à l’inverse, les effets secondaires des médicaments pourraient retentir de façon défavorable. Par exemple, les traitements comportant une antiprotéase pourraient entraîner une augmentation du taux de prématurité, ce qui fait l’objet de données contradictoires. Dans l’ensemble, l’utilisation appropriée des traitements antirétroviraux améliore le pronostic pour la mère et donc pour la grossesse. Cependant, la survenue d’effets toxiques peut retentir sur la grossesse (diabète, hépatite, anémie ou neutropénie, acidose lactique…).
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