L’utilisation de la photographie à des fins de propagande

L’utilisation de la photographie à des fins de propagande

La photographie est un support prisé par la propagande au sens large302 , notamment de guerre303, que l’Etat Islamique s’est réapproprié. A l’étude globale de sa propagande, « 88% des productions ont un format audiovisuel, 20% sont des vidéos tandis que 63% sont des photos » 304. On relève l’existence, à côté de la propagande officielle, définie par Charlie Winter et Aaron Zelin305, encadrée par l’agence de presse et diffusée sur les chaines de production, d’une propagande plus officieuse306. Il s’agit des supports créés par les membres, et diffusés sur leurs réseaux sociaux, les djihadistes disposant généralement de smartphones et d’une connexion Internet. Elle s’adresse aux contacts restés à l’étranger, mais aussi au pays d’origine pour provoquer.

A l’étude du corpus, l’utilisation de la photo est une composante centrale de la propagande. Ce support est prisé par les étrangers, notamment les femmes, dont la présence est plus notable que dans la propagande audiovisuelle307. L’Etat Islamique combine « propagande de masse et une approche plus individuelle » 308. Cette propagande est également impactée par l’évolution idéologique du groupe, mais surtout par la mutation de la situation sur le terrain : avec l’intensification des bombardements, et la suppression quasi systématique des contenus à caractère jihadiste sur les réseaux sociaux comme twitter309, ces contenus et les comptes qui les diffusent disparaissent progressivement.

A partir de 2016, beaucoup du contenu de propagande s’enterre sur des réseaux sociaux privés et cryptés tel que la chaine télégram. A l’étude du corpus de cent photos, elles sont axées à 40% sur le recrutement, sur la promesse d’une vie idyllique, avant de se centrer de plus en plus vers la terreur, à hauteur de 40%. On trouve 20% de photos relatives à l’enracinement.

Le recrutement et le djihad « lol » : séduire la jeunesse occidentale

L’expression « djihad lol » est empruntée au journaliste David Thomson310, et désigne la période précédant la guerre contre la coalition. Cette période correspond aussi aux premières vagues d’arrivées d’étrangers sur la zone irako-syrienne311. Il emploie également l’expression « djihad 5 étoiles », inspiré par les selfies de jeunes djihadistes qui présentent le djihad comme un paradis. Pour David Thomson, les djihadistes français auraient exporté en Syrie les mœurs des banlieues parisiennes.

A l’étude du corpus, nous analysons la présence de ces photos propres au « djihad lol », elles présentent le djihad comme un paradis, où la guerre est peu représentée. La vie montrée ici est oisive, luxueuse et opulente. Au-delà de l’offre escapiste vendue par ces photos, on voit également se dégager une autre catégorie de photo relative au romantisme, le projet familial est ici très central. Le djihadiste endosse de nouveau le rôle de frère et de père, mais également de mari. Tandis que la femme, nouvel acteur présent, endosse celui de mère, d’épouse et de sœur. 

La photo comme arme de terreur

A l’étude d’une série de quarante photos, nous relevons qu’elles évoluent également avec l’idéologie du groupe. Après l’été 2014, elles servent aussi à terroriser et à provoquer à distance l’étranger. Les djihadistes de l’Etat Islamique publient un nouveau type de contenu plus violent sur les réseaux sociaux, en résonnance avec celui des vidéos officielles. Si les acteurs ne changent pas, puisque les hommes comme les femmes et les enfants sont toujours mis en scène, les scénarios et les rôles dans lesquels ils sont figés évoluent considérablement.

On note la présence d’un nouvel acteur, la victime, plus précisément le cadavre, avec laquelle posent les djihadistes de plusieurs manières. C’est surtout le cas des têtes coupées, objet régulièrement mis en scène sur les photos relatives à la terreur. On relève le fait que beaucoup de ces scènes ont lieu en ville. A noter que la capitale de Raqqa a notamment été le théâtre de nombreuses scènes horrifiques, d’exécutions et d’expositions de cadavres318. Les scénarios et les procédés mis en œuvre sur les photos sont multiples pour susciter l’effroi. La violence est concrète et symbolique, elle est explicite, mais elle est aussi suggestive dans certains cas.

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