La méthode des coûts de transport
La méthode des coûts de transport (MCT) a été initialement utilisée pour évaluer les services non marchands rendus par les actifs naturels tels que la pêche, la chasse, etc. (Gbinlo, 2010). Elle évalue les valeurs d’usage d’un site en quantifiant les dépenses de transport engagées pour s’y rendre. Selon cette méthode, les individus manifestent l’intensité de leur demande d’un site récréatif pour évaluer sa valeur, il est nécessaire d’estimer la fonction de demande de fréquentation par l’ensemble des dépenses engagées pour se rendre sur le site et pratiquer l’activité récréative souhaitée. En effet pour bénéficier des aménités récréatives procurées par un site naturel, le visiteur doit se déplacer jusqu’à ce site et subir des couts de transport et le cas échéant des droits d’entrées. Ces couts constituent des prix implicites et reflètent non seulement la distance parcourue par le visiteur pour se rendre sur le site mais aussi la valeur qu’il attache à l’existence du site.
Cette méthode permet ainsi d’évaluer l’amélioration de la qualité d’un service ou d’un bien environnemental à partir de l’usage qui en est fait.
La méthode des couts de transport est applicable à la question des déchets ménagers, surtout dans le cas de la collecte sélective, où la demande d’un ménage se détermine à travers divers éléments tels que la fréquentation des déchetteries ou des lieux où on dépose des conteneurs ou bacs collectifs destinés à collecter les déchets triés grâce à l’apport volontaire des ménages, les dépenses engagées ou le cout d’opportunité du temps que le ménage consacre à la collecte séparée des déchets. Cependant dans les villes sénégalaises, ces dispositions pratiques qui amènent les ménages grâce aux apports volontaires à déposer les déchets triés dans des conteneurs appropriés n’existent pas. Donc, il est impossible d’avoir des informations sur le taux de fréquentation des conteneurs ou des bacs à ordures. Nous pensons donc que la méthode des couts de transport n’est pas appropriée pour notre étude qui concerne la commune de Kaolack. Cependant ces méthodes de préférences révélées offrent des résultats intéressants lorsqu’il est possible d’observer le comportement des individus sur le marché.
Ainsi par exemple, dans le cas du choix des maisons à louer, le surcoût supporté par unménage en abandonnant une maison dans une zone insalubre en raison de la mauvaise gestiondes déchets ménagers au profit d’une autre ayant les mêmes caractéristiques mais dans une zone propre indique le montant minimal qu’il est prêt à payer pour contribuer à l’amélioration de la qualité de la gestion des ordures ménagères dans la première zone.
Il est difficile d’observer ces comportements au niveau des ménages de la ville de Kaolack.
C’est ce qui justifie notre intérêt pour la méthode d’évaluation contingente dans le cadre de cette étude. Cette méthode interroge directement les individus et estime des mesures devariationex ante de bien-être.
Généralités sur la méthode d’évaluation contingente
Dans cette partie, nous allons d’abord faire une revue de la littérature sur l’utilisation de la méthode d’évaluation contingente dans le secteur des déchets ménagers avant de présenter les principes de la méthode.
L’utilisation de la MEC dans le secteur des déchets ménagers
Bien qu’élaborée par les économistes au début des années 1960, la Méthode d’Evaluation Contingente (MEC) ne connaît un véritable démarrage qu’à partir des années 1980 (Gbinlo, 2010).
En matière d’évaluation, la MEC constitue le support méthodologique le plus indiqué pour évaluer les coûts externes générés par des déchets ménagers. En effet ses applications se sont généralisées ces dernières années dans différents pays.
Desvousges et Smith (1986) cités par (Gbinlo, 2010) réalisent une étude combinant la méthode des prix hédonistes et la méthode d’évaluation contingente sur une décharge des déchets toxiques. Il est demandé à chacun des 609 ménages de Boston interrogés de choisir entre deux maisons identiques mais ne se situant pas à la même distance de la décharge.
Les auteurs estiment le surplus des consommateurs entre 420 et 630$ par an et par mile d’une décharge.
Terra S. (2005) réalise une étude d’évaluation contingente d’une décharge française moderne(certifiée ISO14001). Un scénario (un consentement à payer) a été proposé à 180 personnes résidant à proximité de la décharge. Le consentement à payer pour fermer la décharge, et ainsi supprimer les nuisances, est compris entre 9 et 45 € par ménage, soit entre 0,14 et 0,7 €/t. Au Sénégal, le secteur de la gestion des déchets solides ménagers n’a pas été encore exploré à notre connaissance par ce type d’étude. Cependant, la MEC est de plus en plus utilisé au Sénégal dans l’évaluation économique des écosystèmes.
La connaissance des coûts environnementaux devient de plus en plus nécessaire et cela pour plusieurs raisons.
Premièrement, l’augmentation forte et régulière des coûts de gestion des déchets pose la question de savoir si les bénéfices obtenus justifient ou non le resserrement des contraintes environnementales. De plus, les années 1990 ont connu un développement important de la mise en application du principe de pollueur payeur au niveau international, où celui qui est à l’origine d’une nuisance doit être responsabilisé et l’intégrer dans ses coûts de production oude consommation.
L’ensemble des opérations liées à la gestion des déchets rend l’évaluation de ces couts environnementaux complexe. Il convient effectivement d’évaluer les externalités liées aux différentstypes de collectes (sélective et traditionnelle) d’une part, aux différents modes de traitements (tri, incinération avec ou sans récupération, mise en décharge, recyclage et compostage) d’autre part. Enfin, l’ensemble des pressions environnementales consécutives àla gestion des déchets (pollution des eaux, pollution de l’air, effet de serre, nuisances..) doivent être prises en considération.
Mais dans notre cas, l’environnement institutionnel et organisationnel de la gestion des déchets ménagers ne permet pas de tenir compte de tous ces aspects pour une évaluation monétaire desexternalités associées à la gestion des déchets ménagers dans la ville de Kaolack. Nous nousconcentrons ici sur les nuisances directes subies par les ménages du fait de la mauvaise qualité de la gestion des déchets ménagers dans la ville de Kaolack. Nous partons de l’hypothèse que l’amélioration du bien être des ménages suite à l’amélioration de la qualité de gestion des déchets ménagers est de nature à amener les ménages à révéler leur consentement à payer.
Evaluation contingente de l’amélioration de la qualité de gestion des déchets ménagers dans la commune de Kaolack
L’objectif poursuivi ici est d’évaluer les bénéfices lié à l’amélioration de la qualité de gestion des déchets ménagers dans la ville de Kaolack. Nous avons choisi pour cela d’utiliser la méthode d’évaluation contingente pour mesurer la valeur qu’accordent les ménages à cette amélioration du service.
Présentation de la méthode d’évaluation contingente
L’évaluation contingente est un outil de la science économique, développé dans les années 50 par les économistes opérant la jonction entre les théories proposées par le courant de l’économie de bien-être et les acquis des méthodes d’enquête. L’idée centrale est que les variations de bien-être, les bénéfices, la valeur des biens (quels qu’ils soient) peuvent être évalués sous forme monétaire, que les préférences déclarées lors d’une enquête par les individus représentent leurs préférences réelles et permettent de mesurer les variations de bien-être, les bénéfices et la valeur que les individus accordent à un bien.
Le cœur de l’interrogation consiste à obtenir de l’individu interrogé a l’aide du scenario proposé, soit le montant maximum qu’il est prêt à payer ou consentement à payer noté (CAP),soit ce qu’il est prêt à recevoir ou consentement à recevoir noté (CAR) pour renoncer à l’amélioration du service proposé, ainsi que des informations sur son profil, afin d’identifier les variables socio-économiques influant le consentement à payer.
La mise en œuvre de la méthode d’évaluation contingente repose sur la réalisation d’enquêtes auprès d’un échantillon représentatif de la population concernée, au cours desquelles on soumet aux personnes interrogées différents scénarios fictifs qui permettent d’estimer la valeur qu’elles accordent au bien étudié.
Les limites de la méthode d’évaluation contingente
La méthode d’évaluation contingente est sujette à un certain nombre de biais que nous allons passer en revue. Plusieurs auteurs ont présenté les biais dont les plus importants selon Terra S. (2005), sont: -Le biais hypothétique : on parle de biais hypothétique ou de biais lié à l’échantillon lorsque
l’individu n’est pas suffisamment familiarisé avec le marché contingent et ne dispose pas de l’ensemble des informations pertinentes. Par exemple, dans le cas de la gestion des déchets ménagers si l’individu ne se sent pas concerné par la présence des déchets ménagers et ses nuisances, il aura tendance à sous-estimer ou surestimer son CAP dans la mesure où son utilité ne s’en trouvera pas directement affectée. Ce biais a été évité dans le cadre de notre travail car l’étude s’est portée sur une population qui subit au quotidien les nuisances liées à une gestion peu efficace des déchets ménagers dans la commune de Kaolack.
-Le biais instrumental : ce biais est lié au support de paiement retenu dans le questionnaire.
La panoplie des supports de paiement que l’on peut utiliser dans une étude est assez large : supplément d’impôts locaux, facture d’eau et électricité, supplément de coût de transport, lataxe d’habitation ou le paiement direct. Nous avons privilégié ici le paiement direct car supposé être le mode de paiement le plus compréhensible par les cibles.
-Le biais d’ancrage : ce biais est mis en évidence dans un dispositif expérimental basé sur deux questions successives. Une première question fermée demande au sujet de comparer sonestimation à une valeur fournie par l’expérimentateur, nommée ancre. Une question ouverte demande ensuite au sujet son estimation de la grandeur à évaluer. Il existe une forte corrélation entre les ancres fournies et les estimations proposées par les sujets. Tout se passe comme si les sujets ancraient leur réponse à la valeur initialement proposée. Ainsi dans ce travail, la question ouverte a été utilisé pour contourner ce biais.
-Le biais stratégique : le biais stratégique ou «passager clandestin» selon lequel les enquêtés n’auraient pas intérêt à révéler leur véritable consentement à payer dés lors qu’ils anticipent l’utilisation qui sera faite de leur réponse.
Le cadre d’analyse
Il présente le cadre théorique de l’analyse des déterminants du consentement à payer des ménages.
La formulation économétrique du consentement à payer
Les modèles économétriques sont des outils qui permettent, entre autre, d’estimer l’effet marginal de la variation d’une unité de la variable indépendante sur la variable dépendante (Doucouré, 2008). On peut, par exemple, évaluer l’impact d’une politique publique sur un
échantillon de population ou même de faire des prévisions. Dans certains modèles, la variable dépendante n’est observée que sur un certain intervalle. Par exemple, dans le cas du modèle que nous présentons, on remarque bien qu’il existe des personnes pour lesquelles la disposition à payer est nulle. Dans ce cas, l’échantillon est dit censuré: en effet, on observe une contribution que pour les personnes disposée à payer. La variable CAP (disposition à payer des individus) est dite censurée à gauche (CAP>0). De façon plus formelle, on considère une variable latente (c’est-à-dire inobservable) CAPi * qui sous-tend la variable observée CAPi.
Les variables
Comme dans tout modèle économétrique, le modèle que nous allons présenter comporte deux types de variables, la variable que nous cherchons à expliquer appelée variable expliquée ou variable dépendante (CAP des ménages) et les variables explicatives c’est-à-dire celle(s) qui serviront à expliquer l’évolution de la première citée.
La variable dépendante
La variable dépendante ou variable expliquée de ce modèle est le consentement à payer des ménages pour l’amélioration du service de collecte de leurs déchets solides. De façon plus pratique, elle représente le montant qu’un individu serait disposé à payer pour subvenir aux frais liés à l’enlèvement de ses ordures. Le CAP est exprimé ici en FCFA/mois.
Les variables exogènes
Les variables exogènes ont été choisies en tenant compte des variables socioéconomiques et des variables décrivant la sensibilité environnementale des ménages. Ainsi, les variables mentionnées dans le questionnaire et qui pourraient éventuellement expliquer la disposition des individus à payer pour une meilleure collecte de leurs déchets sont : Sexe : elle désigne le sexe de l’enquêté. La variable dispose de deux modalités : sexe1 et sexe2 ;
Age : cette variable représente l’âge de l’enquêté ;
Revenu : la variable traduit l’intervalle dans laquelle se trouve le revenu mensuel de l’enquêté. Elle prend les modalités : tranch_rev1, tranch_rev2, tranch_rev3, tranch_rev4 ; Niveau d’étude: cette variable mesure le niveau d’instruction des enquêtés. C’est une variable polytomique qui prend les modalités (niv_detu1, niv_detu2, niv_detu3, niv_detu4, fra_arb_cor) ; Tmenage : la variable est exprimée en termes de nombre de personnes par ménage ; Satisfacti : cette variable mesure le niveau de satisfaction des enquêtés du système de collecte actuel. C’est une variable qui a deux modalités : satisfact1 et satisfact2 ;
Nombre de passage du collecteur par semaine : cette variable représente la fréquence de passage du collecteur par semaine ; Impression : cette variable exprime l’impression que les ménages ont sur la propreté de leur quartier. C’est également une variable qui a plusieurs modalités : impression1, impression2, impression3 et impression4 ; Activité : cette variable désigne l’activité de l’enquêté c’est-à-dire son statut professionnel. C’est aussi une variable polytomique qui prend les modalités : activite1, activite2 et activite3 ; Zone d’enquête : cette variable indique les quartiers de collecte des données. En effet le lieu de l’enquête est composé de 16 quartiers qui sont regroupés en zone urbaine et en zone périphérique constituées chacune de 8 quartiers. La variable est constituée des modalités : zone1 et zone2.
L’écriture du modèle
Pour faire l’analyse d’une distribution censurée, la formulation du modèle est faite en utilisant une variable latente. Ainsi, si CAPi représente le CAP d’un individu i, le modèle peut s’écrire CAPi *= Xi + µi Si CAPi * ≤ 0, alors CAP i = 0. Dans ce cas, l’observation est censurée en 0 et CAPi * n’est pas observé. En revanche, si CAPi * ≥ 0, alors CAP i = CAPi * et CAPi * est observé. Avec Xi = (Xi1 , Xi2,…Xi3, X ik );i=1,=2,=3,=…,=342 et k=10 Dans cette spécification, Xi est le vecteur de variables explicatives, représente le vecteur des paramètres à estimer, µi est le terme d’erreurs et CAPi * est la variable latente.
La régression du modèle
Elle consiste à tester le modèle avec un logiciel. Toutefois avant de procéder à une régression, il y a un travail préliminaire à faire. Celui-ci consiste à transformer les variables de texte en variable numériques. Cette technique est nécessaire pour toutes les variables dont les réponses sont en lettres. Ainsi le tableau résume les variables du modèle et leur codification.