LIRE DANS SES PENSÉES
Reese
Bien que j’aie encore passé une nuit d’insomnie, à rêver d’oiseaux, de chair mâle et transpirante avec des plumes d’oiseaux en mouvement, je suis super motivée. Comme si j’étais alimentée par autre chose que le sommeil. Quelque chose comme… de l’impatience ? De l’excitation ? Quoi que ce soit, Reese, vas-y. Toute ma vie, j’ai voulu changer mais je résistais à l’effort de le faire. Ou peut-être que j’avais peur de qui je pourrais devenir. Je change, maintenant.
C’est peut-être la pièce de monnaie. Trouver un penny, c’est censé porter chance. Mais s’il y a bien une chose pour laquelle je m’estime encore plus chanceuse, c’est que l’on m’ait donné une pièce qui fait office de chèque en blanc. Je regarde le petit bout de cuivre dans ma main avec un pic de joie dans la poitrine.
— Qu’est-ce que c’est ? demande Brooke.
— Je l’ai trouvée par terre.
Je lui mens car je serais gênée de lui dire que j’ai rencontré un mec. Elle poserait des questions sur lui, qui il est, et je ne saurais pas quoi répondre. Ce n’est pas comme ça entre nous. Pas du tout.
Nous nous retrouvons devant l’entrée de la salle. Mon cœur s’accélère quand je le vois appuyé contre les vitres, avec un pantalon de survêtement sombre et un sweat bleu électrique, il m’attend. Il lève la tête, et sous sa capuche, je vois ses yeux s’illuminer un peu à ma vue. Nous sourions.
— Prête ?
C’est tout ce qu’il me demande. Un seul mot. Un mot avec cette voix profonde, sombre, qui gronde, qui active les récepteurs de mon cerveau, et d’autres… plus gênants. J’acquiesce et comme nous entrons dans la salle, nos épaules se frôlent à peine et mes récepteurs sont inondés d’une chose chaude et incontrôlable.
Le ring d’entraînement est déjà pris, donc je me dirige vers les tapis de course et lui vers les tapis de sol. Décidée à transpirer, j’alterne entre course et marche ; je le regarde, la seule personne que je vois réellement dans cette salle pleine de gens en sueur, et je n’arrive pas à m’habituer au fait qu’il n’arrête pas de me regarder. Lorsque j’ai fini et que je vais préparer mes affaires, il vient me voir.
— Mon premier combat est dimanche.
Il me regarde avec un sourire retenu et une lueur heureuse dans les yeux.
— J’ai deux jours pour m’entraîner, je vais le faire avec Oz.
— OK.
— Et je suppose qu’on ne se verra plus, je lance pour qu’il s’arrête. Bonne chance, Maverick.
Bonne chance, le Vengeur…
Nos regards restent fixés l’un à l’autre pendant une éternité. Puis Maverick me fait ce petit hochement de tête lent et arrogant, comme il l’a fait le jour où je l’ai rencontré, un signe de tête qui semble vouloir dire « merci », et lorsqu’il me sourit avec ses yeux métalliques et lumineux, mes oreilles commencent à chauffer et je baisse la tête. Je me retourne et m’en vais, je me sens heureuse pour lui et étonnamment triste pour moi.
Il y a des changements dans ma vie. Des changements positifs.
Miles m’a envoyé un texto, récemment. Il veut venir me rendre visite. Peut-être qu’il pensait que je serais toujours là, et que maintenant je lui manque. Mon corps me fait mal partout à cause de tous les exercices que je fais. J’ai plus d’énergie et j’ai perdu un peu de fesses, je suis contente. Mais c’est LUI qui s’immisce dans mes pensées ce soir, alors que la maison est si silencieuse que j’entends le doux clapotement de la pluie sur le toit, allongée dans mon lit en me demandant si je le reverrai un jour.
J’ai été scolarisée dans une école privée. Nous étions 460 élèves, entre le collège et le lycée. Tous les ans, des groupes se formaient, des groupes où je n’arrivais jamais vraiment à m’intégrer. J’étais en manque de lien, et ma timidité n’aidait pas. Ma discrétion n’aidait pas. Les gens confondent timide avec ennuyeux. Discret, avec le fait de n’avoir rien à dire, et par conséquent rien à ressentir. Ils me voyaient muette comme une lampe, donc pour eux, j’étais une lampe. Je ne me suis jamais vue comme une lampe, peut-être comme une ampoule. Mais je n’avais jamais réussi à trouver l’interrupteur jusqu’à aujourd’hui.
Je n’avais jamais pensé qu’il existait un autre être humain assez taiseux pour me donner l’impression de m’entendre. Je n’avais jamais pensé que quelqu’un d’autre que moi pourrait m’aider à trouver l’interrupteur. Est-ce pour cela que je le trouve si intrigant ? C’est pour cela que j’ai l’impression de le connaître ? Pour cela qu’il me rend si attentive ? À lui ? Et à moi, à mon corps ? Les battements de mon cœur, mon souffle, mon… sexe ! Il s’empare de tout.
C’est comme si mon corps ne m’appartenait plus ; il s’enfuit. Il réagit au moindre regard, au moindre sourire ou son de sa voix. Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Miles et moi, cela fonctionnerait. Mais Maverick est tellement viril… Voilà ce qu’il se passe quand tu ne perds pas ta virginité avant la fin du lycée, Reese. C’est comme si j’étais au régime et que j’avais une envie irrésistible de ce que je ne peux pas avoir. C’est pour cela que je suis si… fébrile, ces derniers temps. Maverick Cage respire le sexe, et j’ai vécu une vie sans sexe. Il est comme le Snickers que je n’ai pas mangé depuis des semaines.
J’ai eu maintes occasions d’avoir des relations. En première. En seconde. Même en troisième, et en terminale. Des gars ont voulu coucher avec moi, Lex Kent, et Julian Parish au bal de promo. Ils ont voulu coucher avec moi, mais je ne voulais pas coucher avec eux. Ils m’ont embrassée, touchée et j’avais un peu eu l’impression qu’ils se servaient de moi. Je ne voulais pas que l’on se serve de moi. Je voulais que l’on me comprenne, que l’on me connaisse. Et je voulais que l’on m’aime.
Depuis deux jours, l’équipe est occupée à faire les valises et à se préparer pour le premier combat. Remy n’est quasi jamais là. Brooke n’arrête pas de m’envoyer des messages dans la journée :
COMMENT VA RACER ?
TRES BIEN ! ; D ON JOUE AVEC LES TRAINS
OH, LUI ET SES TRAINS. FAIS-LUI UN CALIN DE MA PART. J’ESSAIERAI DE RENTRER AVANT QU’IL S’ENDORME.
Quand Diane commence à préparer le dîner, Racer, elle et moi sommes les seuls à la maison. J’ai appris qu’elle est avec l’équipe depuis plus de dix ans. Son attitude est tellement chaleureuse et naturelle, elle est comme la maman de tout le monde.
— Tu n’es pas une bavarde, hein ? dit Diane en s’affairant dans la cuisine tandis que je l’aide à couper les légumes.
Je souris.
— Je suppose.
— Réservée avec les inconnus, ou juste discrète ?
— Discrète.
— Surtout, dis-moi si je t’embête.
— Non, pas du tout. Tu peux m’expliquer un peu tout ça ?
Je fais un signe de la main vers l’îlot de cuisine plein de légumes et de six ou sept faux-filets qu’elle fait mariner dans des sacs de congélation.
— Remy consomme plus de protéines en une journée qu’une personne normale en une semaine. Il s’entraîne toute la journée et sa nutrition est aussi importante que ses exercices, dit-elle en sortant un plateau où elle dispose des tranches de patates douces en deux lignes parfaites avant de les recouvrir d’un filet d’huile d’olive et d’une pointe d’herbes fraîchement pilées. Toute la cuisine est emplie de l’odeur du romarin et des poivrons, et j’aime cette impression d’avoir les poumons propres chaque fois que j’inspire.
— Vous êtes tous tellement proches, dis-je en la regardant glisser la plaque dans le four. Puis j’y écrase le basilic pour l’assaisonnement des pâtes aux courgettes qu’elle prépare.
— On est comme une famille. Avec ses hauts et ses bas, j’imagine.
— Quels bas ?
— Remy est caractériel, mais il ne ferait pas de mal à une mouche. Il a juste ses humeurs. Mais Brooke sait comment s’y prendre avec lui. Il ferait n’importe quoi pour elle.
— Ça se voit, admets-je.
— Et toi ? Tu as laissé un garçon à la maison ? demande-t-elle malicieusement avec des yeux brillants et un sourire « confidences entre filles ».
Miles.
— Peut-être, dis-je.
— Qu’est-ce que ça veut dire, « peut-être » ?
— C’est un ami, mais je crois que j’en veux plus. C’est dur de changer les choses quand on s’est fait reléguer dans la friendzone. Je n’arrive pas à faire en sorte qu’il me voie différemment.
— Tu es une belle fille. Ne te case pas tant que tu n’as pas trouvé le grand amour.
Le grand amour. Tout le monde en parle comme si c’était tout noir ou tout blanc, mais comment le reconnaît-on ? Je fais un effort pour faire avancer les choses. Ce qui veut dire que peut-être, en ce moment même, je devrais être en train d’envoyer un message à Miles pour savoir pourquoi il veut venir. Mais peut-être, juste peut-être, que je devrais lui manquer un peu plus. Peut-être que cela devrait être lui qui m’envoie un message. Je suis convaincue qu’il faut se battre pour ce que l’on veut, mais je n’ai pas envie de m’adonner à un match de ping-pong inutile avec des textos qui ne veulent rien dire.
Au lieu de cela, je sors la pièce de Maverick et la fais tourner dans ma main, en me demandant ce qu’il fait en ce moment, et en me disant que je serais prête à payer cher pour savoir à quoi il pense.
L’ENTRAÎNEMENT AVEC OZ Maverick
Nous nous entraînons dans un garage, les cartons d’un côté, les sacs au milieu de la pièce. Personne ne me regarde. Personne ne m’interrompt. Personne ne me distrait. D’abord, le saut à la corde, en avant, en arrière, sur le côté.
— Stop.
Je m’arrête, dégoulinant de sueur, et vais prendre la poire de vitesse. Des images de mon père. Je le vois dans son lit d’hôpital. Des images de ma mère. Elle, à la porte quand j’ai quitté la maison. Des images des coachs avant qu’ils me claquent la porte au nez ; tu ne seras jamais assez bon. Je boxe dans le vide. Contre lui. Je cours. Les poids. Planche, pompes, tractions, abdos. Et des images d’elle. C’est un très beau tatouage… Des images d’elle. Bonne chance, Maverick… Des images d’elle. Des yeux bleu clair qui me regardent, des lèvres roses qui disent « Il est avec moi ».
— Attaque personnellement si un des combattants devient épineux, dit Oz. Je fais des abdos, en soufflant par la bouche.
— Et si tu arrives jusqu’à Tate, ne le laisse pas te fatiguer. Il a une endurance, on n’a jamais vu ça. Juste après avoir frappé, il est invisible ; il est là une seconde, puis il disparaît. Tu ne le lâches jamais des yeux, compris ?
Nous prenons une pause déjeuner de quarante minutes, et Oz passe quelques cassettes sur une vielle télé portative. Tate, dans son peignoir rouge cramoisi, marche le long du chemin de béton qui mène à l’arène et au ring. Vêtu de jaune, Apocalypse arrive à son tour. Ils tapent leurs gants. La cloche retentit. Apocalypse donne un direct. Tate bouge son épaule, il esquive. Apocalypse envoie un autre direct, plus haut. Tate tourne la tête, en fronçant les sourcils. Il lance une gauche, un coup direct, puis une droite qui fait craquer sa mâchoire. Les coups laissent Apocalypse sonné. Il commence à les bloquer, à reculer. Tate est clairement l’agresseur. Il s’en prend à Apocalypse jusqu’à le presser contre les cordes, et il lui balance plusieurs coups. Dans les côtes, le ventre.
— Tate va devoir apprendre comment tomber, putain, et rester par terre, marmonne Oz en faisant avance rapide jusqu’à un autre moment, où Tate a amené Apocalypse dans les cordes.
Le poing de Tate fait une boucle. Un dernier coup. Apocalypse s’apprête à tomber. C’est la fin du round. Tate recule jusqu’à son tabouret et prend un vaporisateur d’eau. Apocalypse s’assoit sur son tabouret aussi, sanguinolent, en secouant la tête vers son coach. Il ne se relèvera pas et crache son protège-dents. Le présentateur commence à hurler le nom du vainqueur. « Riiipti… » Oz coupe la vidéo, et je commence à renfiler mes gants.
— Le plus souvent, quand Riptide se bat, il sort sans aucune trace sur le visage. C’est le plus grand qu’on ait connu.
— Je serai meilleur.
— Tu es présomptueux.
Il s’approche pour resserrer mes gants autour de mes poignets, puis me donne une claque à l’arrière de la tête, assez sobre pour me lancer un regard noir.
— Garde l’arrogance pour les filles.
— C’est ce que je fais, putain.
— C’est vrai ? demande-t-il, soudain intéressé. Quelles filles ?
— Une fille. Rien qu’une.
— Comment elle s’appelle ?
Je secoue la tête et vise le sac de frappe.
Désolé, Oz, mais elle n’est qu’à moi.