L’origine de la délinquance, des éléments indicateurs

La délinquance : qu’entend-on par délinquance ?

La première étape du cheminement de la compréhension d’un phénomène, quel qu’il soit, est d’en examiner la nature même. Pour expliquer la genèse du phénomène de la délinquance nous allons faire comprendre et faire connaître les raisons et les causes qui le caractérisent. Nous considérons la délinquance comme un objet de connaissances dont la meilleure façon de l’aborder sera de le comprendre et non de le juger, à travers une étude qui se veut la plus objective possible. Dès lors que nous nous intéressons à la notion de délinquance, et plus globalement à celle de la déviance, de nombreux champs de recherches s’ouvrent, impliquant le droit, l’histoire, l’anthropologie, la sociologie et la psychologie. Les connaissances mobilisables étant donc particulièrement vastes, nous présenterons seulement ici les principales idées qui les organisent et qui nourrissent notre recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Dans le champ de la sociologie5, (2010, p. 243) le terme « déviance » est tardivement arrivé, issu du mot dévier, forgé au XIXème siècle à partir du bas latin deviare pour signifier « s’écarter du droit chemin, d’un principe, d’une règle ». Dans le champ de la psychologie, le terme peut se définir comme un « comportement qui échappe aux règles admises par la société ». Un comportement ou un acte déviant s’entend comme un acte qui s’écarte de la norme sociale admise. Toutes les normes sont fondées sur les valeurs que la société exprime, elles s’accordent avec la conscience et les croyances des individus qui la composent. Nous pouvons citer en exemple un certain nombre de comportements déviants comme le vol, l’homicide, la conduite dangereuse, et la consommation ou la vente de drogue. D’un usage plus récent dans le champ de la sociologie des années 1960, la déviance se définit comme la transgression d’une norme sociale, et formelle dans le sens où celle-ci est reconnue par le droit, les lois et règlements qui composent la société à un moment déterminé de son histoire. Ce dernier élément a toute son importance lorsque nous réalisons que, ce qui était répréhensif et condamnable auparavant ne l’est plus forcément aujourd’hui, du fait d’une évolution des mentalités, des croyances et des politiques dans notre société occidentale.

L’avortement était un crime immoral puni et sanctionné très sévèrement. Marie Louise Giraud a été l’une des dernières femmes guillotinées le 30 juillet 1943 pour avoir effectué des actes médicaux qui aujourd’hui sont pratiqués quotidiennement et remboursés par la sécurité sociale, l’interruption volontaire de grossesse est devenue une pratique acceptée. Il y a encore quelques années, la mendicité était sanctionnée par les travaux forcés à vie, au bagne, l’homosexualité était considérée comme une perversion haïssable méritant des châtiments corporels. A l’inverse, fumer dans un établissement public ou conduire en état d’ébriété étaient des comportements parfaitement normaux, devenus très récemment des actes délinquants puisqu’ils enfreignent la loi. Comme nous le rappelle Philippe Combessie (2008, p. 9) « le délit ou le crime n’est autre qu’une construction sociale qui évolue avec la société, il n’est guère définissable qu’à partir de la peine qui vient le sanctionner ». La délinquance, telle que nous l’entendons dans cette recherche, concerne donc un ensemble d’actes et de comportements déviants dont la transgression et l’infraction à la norme légale entrainent une sanction d’ordre juridique (une peine, une amende…).

La délinquance est donc bien une notion relative dans le temps et dans l’espace, puisqu’elle est définie par une loi qui elle-même s’inscrit dans une société donnée et à un moment donné. Selon Emile Durkheim (1893) la loi ou toute norme est l’expression de la société toute entière. Par la loi, celle-ci entend faire oeuvre pédagogique, dire la norme et la faire appliquer grâce à la sanction légale. Ainsi il affirmait (Ibid., p. 86) « nous ne réprouvons pas un acte parce qu’il est un crime, mais il est un crime parce que nous le réprouvons ». Pour comprendre le phénomène de la déviance et le passage à l’acte opéré par l’individu, il faut nous interroger sur les raisons pour lesquelles l’individu transgresse la norme, mais aussi dans quelles conditions et à quelles pratiques ou conduites il va souscrire. Nous nous appuierons sur les nombreuses théories causales explicatives de la déviance qui ont émergé durant ces deux derniers siècles. Nous irons chercher également ce que la sociologie ou la criminologie peuvent nous apprendre sur l’origine de la délinquance et sur la carrière délinquante en tant que processus. Par ailleurs, tout au long de cette recherche, nous pourrons successivement employer les mots infraction, contravention, délit, crime, si leur degré de gravité est très variable, leur point commun est qu’ils sont des actes déviants interdits par une loi qui relève du droit.

La théorie interactionniste

Ce courant de pensée soutient l’idée que le phénomène de déviance ne peut se comprendre qu’en analysant les relations entre les individus et leur environnement, l’approche dite culturaliste issue de l’Ecole de Chicago (Coulon, 1992) tourne autour du concept de la culture mettant l’accent sur le rôle de l’acculturation des migrants depuis la parution de l’ouvrage Le paysan polonais de Thomas William (1910) et sur celui de la formation et le développement des bandes de délinquants, le phénomène des « gangs » étudié par Trasher Frédéric en 1924. Chacune de ces théories se voulait universelle dans le sens où l’ambition poursuivie était de donner un modèle explicatif des comportements déviants. Dans la réalité, aucune n’a remplacé la précédente. Certaines se sont modifiées, d’autres se sont complétées. Elles ne sont donc pas forcément incompatibles entre elles, mais pas une seule n’est généralisable à l’ensemble des comportements déviants. Ce qui prévaut aujourd’hui en termes de courant de pensée relève plus d’une pluralité théorique, plutôt que de la confirmation d’une approche aux dépens d’une autre ; la complexité de la recherche des causes du phénomène l’emportant sur les prétentions à vouloir tout expliquer. L’évolution du regard de la société a permis, toutefois, de supplanter définitivement, les courants de pensée qui cherchaient à expliquer les causes par la biologie, le médical ou l‘hérédité. Synthèse Partageant l’avis de nombreux criminologues actuels, Jean Poupart (2002) criminologue canadien, précise que le système pénal et les politiques criminelles en cours reposent essentiellement sur le postulat de la rationalité du crime, faisant du délinquant un individu qui n’est pas essentiellement différent de nous mais qui, dans la réalisation de ses activités délinquantes, agit par calcul rationnel en termes de coûts et de bénéfices tentant toujours de maximiser ses gains et minimiser ses coûts. Ses choix seront validés selon l’utilité qu’il pourra tirer du délit.

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De Cesare Beccarra, en passant par l’économiste états-unien Gary Becker et jusqu’au criminologue canadien Maurice Cusson, les diverses approches sont régulièrement controversées dans le champ de la sociologie comme dans celui de la criminologie, certaines jugées trop réductrices et d’autres trop orientées vers tel ou tel autre objet de recherche. L’idée, malgré tout largement partagée par les deux camps, serait la raison expliquant les réels enjeux des nombreuses études, analyses et recherches réalisées. En effet, selon Jean Poupart (2002, p. 143) souvent d’une façon cachée, les études réalisées sont menées non pas dans le but de comprendre, de manière empathique, ce qui sous-tend la logique d’action des acteurs, mais dans « l’objectif d’en savoir juste assez sur leurs manières d’agir pour être capable de les contrôler » ; le besoin essentiel étant d’élaborer un modèle explicatif de la manière dont le délinquant commet les délits pour pouvoir mettre en place les politiques pénales adéquates axées sur la prévention de la criminalité, entendue comme l’ensemble des dispositifs de surveillance, sécurité et protection aussi bien publics que privés (Ibid., 2002). Il est important d’insister ici sur les difficultés que rencontrent ces différentes approches, dès lors qu’elles essaient de catégoriser des comportements humains et plus encore de tenter d’en expliquer le passage à l’acte déviant. Toutes ces théories montrent l’importance de l’intérêt que portent les criminologues et sociologues aux causes déterminantes de la déviance, historiquement les premières à avoir été développées. Selon Laurent Mucchielli (1999, p. 25) « il faut insister sur le fait qu’aucune théorie n’est généralisable à l’ensemble des transgressions. Bien souvent, une théorie ne vaut que pour un comportement précis, ou bien explique une attitude plus générale mais qui n’est qu’un aspect du processus de transgression ».

Si nous prenons, comme exemple la théorie dite du choix rationnel, nous comprenons bien que l’individu préfère réfléchir et investiguer, penser son acte en termes de rationalité plutôt que d’agir de façon impulsive en se jetant sur la première occasion venue, comportement qui pourrait largement affaiblir les chances de « réussir son coup ». Pour autant, cette théorie ne nous explique pas pourquoi il a choisi cette solution plutôt que d’aller travailler pour gagner suffisamment d’argent pour s’offrir ce qu’il va chercher à s’approprier en volant. Cette théorie explique comment il s’y prend bien plus que pourquoi il s’est engagé dans la voie de la délinquance. Si nous prenons la théorie de l’inégalitarisme, nous savons tous qu’en comparant des familles dont le niveau de vie est inférieur aux minimas sociaux avec des familles d’un niveau de ressources supérieur, nous trouverons d’un côté plus d’enfants qui auront accès à des études supérieures et de l’autre, plus d’enfants dont la culture et l’éducation se réaliseront dans la rue avec moins de chance de réussite sociale que n’en disposeront les premiers. Sans tomber dans un déterminisme de classe, la théorie inégalitariste ici prend tout son sens et toute sa dimension mais pour autant tous les enfants issus de classes défavorisées ne deviennent pas des adultes délinquants. Ou encore, quelle théorie issue de la sociologie ou de la criminologie nous expliquera pourquoi et comment un jeune adulte issu d’un milieu favorisé préfèrera s’inscrire dans un parcours de délinquant plutôt que de suivre la voie logique de la réussite sociale que lui permet son milieu ? Le phénomène de la délinquance ne dépendant pas d’une cause et d’une seule, mais d’un enchevêtrement de variables évocables dépendantes elles-mêmes de diverses situations, il y a dans

Table des matières

Chapitre I – Introduction
1. De la professionnalisation à la recherche biographique
2. De l’institution carcérale vers une perspective de recherche
3. Réflexions, questions et pistes de travail
Chapitre II – Cadre épistémologique
1. Présentation du cadre : Sciences de l’Education & Recherche biographique
2. Les choix méthodologiques, empiriques et théoriques
Chapitre III – Concepts ou notions théoriques
1. La délinquance : qu’entend-on par délinquance
1.1 Les courants de pensée sociologique et criminologique
1.2 L’origine de la délinquance, des éléments indicateurs
1.3 La délinquance en termes de temporalités
1.4 La délinquance en termes de responsabilités
1.5 La délinquance en termes de finalités
1.6 La délinquance en termes de carrière
2. L’enfermement : ce qu’enfermer veut dire
2.1 L’enfermement à travers l’histoire, du XVIIIème siècle à nos jours
2.2 L’enfermement ses sanctions et ses logiques
2.3 L’enfermement, un laboratoire révélateur des comportements sociaux
2.4 Les effets de l’incarcération sur les détenus
2.5 L’enfermement et la notion de culture carcérale
2.6 L’enfermement et la notion d’expérience carcérale
3. Parcours de vie et transformations identitaires
3.1 Les étapes marquantes de la vie
3.2 Les histoires de vie – les récits de vie et la sociologie
3.3 Le courant de la recherche biographique
3.4 Les bifurcations biographiques
Chapitre IV – Méthodologie
1. Le choix du terrain, l’univers carcéral et sa problématique
2. Le choix de la méthode de recueil de données
2.1 L’observation in situ
2.2 Les entretiens biographiques
2.3 La posture du chercheur, lien hétéro-biographique
3. La méthode d’analyse des données empiriques
Chapitre V – Analyses et interprétations
1. Présentation des personnes entretenues
2. Présentation des analyses
2.1 Ce que la démarche de biographisation nous apprend de la délinquance
2.2 Ce que la démarche de biographisation nous apprend de l’enfermement
2.3 Ce que la démarche de biographisation nous apprend des transformations biographiques
Chapitre VI – Résultats, enjeux et perspectives
1. Les résultats
1.1 La synthèse des résultats obtenus selon les trois analyses précédentes
1.2 La typologie wébérienne au service de la compréhension du sens donné à l’enfermement
1.3 Les processus de transformations biographiques en mouvement
2. Les enjeux : la réalisation de patrons biographiques
2.1 Les figures graphiques
2.2 Les patrons graphiques, construire du général à partir du particulier
3. Les perspectives : le processus de désistement
Chapitre VII – Conclusions
Les entretiens
Entretien 1 Sylvie
Entretien 2 Fathy
Entretien 3 Lou
Entretien 4 Hakim
Entretien 5 JCB
Entretien 6 Lamal
Entretien 7 Jordan
Entretien 8 Liana
Entretien 9 Charles
Entretien 10 Claude
Les références biographiques
VOLUME 2 : Annexes
Annexe 1 : Les chiffres clé du Ministère
Annexe 2 : La grille de lecture de l’analyse des discours
a) Eléments des discours révélateurs des causes de la délinquance
b) Eléments des discours déterminants le type de délinquance
c) Eléments des discours déterminants la responsabilité de l’auteur face à l’acte délinquant
d) Eléments des discours déterminants les finalités délinquance
Annexe 3 : Le tableau représentant un modèle de grille pour l’analyse de contenu thématique

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