L’organisation internationale du transport maritime de lignes régulières

La légitimisation des conférences maritimes : un régime adapté aux transports maritimes

L’évolution des transports maritimes a amené les armateurs à se regrouper dans des structures permettant de stabiliser le secteur. L’accord le plus intégré, économiquement, est celui des conférences maritimes. Il existe deux types de conférences maritimes : ouvertes et fermées. Elles sont dites «ouvertes» lorsque tout transporteur peut y adhérer. C’est ce système qui est retenu aux Etats-Unis. À l’inverse, le Code de conduite des conférences maritimes met en place un système de conférences « fermées » en imposant certaines conditions. L’avantage des conférences maritimes sur l’organisation du transport maritime de lignes régulières est incontestable. Elles favorisent « la stabilité et la pérennité des mouvements de marchandises ». Il était indispensable de les exempter des règles strictes du droit de la concurrence. Mais pour légaliser ces pratiques, il fallait nécessairement les soumettre à une réglementation adaptée. Le règlement (CE) n°4056/86 du 22 décembre 1986 est l’un des quatre piliers de la politique maritime. En effet, le même jour, trois autres textes ont été adoptés afin d’encadrer les pratiques du secteur maritime. Les quatre règlements n°4055/86, 4056/86, 4057/86 et 4058/86 ont pour but d’introduire les principes de libre prestation des services, de concurrence, de pratiques tarifaires déloyales et de libre accès au trafic transocéanique. Ils consacrent « l’intégration des transports maritimes à l’ordre communautaire » . Le règlement n°4056/86, qui nous intéresse plus particulièrement, détermine les modalités d’application des articles 85 et 86 du traité CE aux transports maritimes avec souplesse. Il envisage la mise en place d’un régime dérogatoire aux règles générales de concurrence pour les conférences maritimes. « Le droit de la concurrence doit être constamment équilibré entre le principe de la plus pure concurrence entre entreprises et celui d’une concurrence plus relative accordant les ententes entre entreprises lorsqu’elles bénéficient à l’économie » . Cette exemption semble se justifier par leur «rôle stabilisateur» . Une conférence maritime sera alors autorisée si elle a un effet positif sur le marché. Cette exemption permet de stabiliser les taux de fret tout en assurant un service efficace, c’est-à-dire régulier et stable. En adoptant ce règlement, le Conseil entend accepter, de manière encadrée, les pratiques tarifaires et les services offerts aux chargeurs.

L’encadrement obsolète des pratiques des conférences maritimes

Afin d’éviter tout abus des membres de conférences maritimes, le règlement n°4056/86 organisait les rapports entre armateurs membres d’une conférence maritime et les chargeurs. Ce règlement était un compromis entre les intérêts cargaisons et les transporteurs. Il s’agira, ici, de reprendre quelques points développés par le règlement pour mettre en exergue le fonctionnement de l’exemption accordée. La consultation. Il s’agit là d’une obligation essentielle pour la validité des conférences maritimes, afin d’assurer l’harmonie dans les relations contractuelles avec les chargeurs. Les chargeurs doivent être consultés « concernant les prix, les conditions et la qualité des services réguliers de transport maritime » (article 5). Ils sont l’une des partie dans un contrat de transport. Ils doivent donc avoir la possibilité de participer au fonctionnement d’une conférence maritime. Il s’agit de trouver un équilibre. Cette consultation des chargeurs et des organisations de chargeurs est un moyen de répondre à leurs attentes. L’importance de cette notion de «consultation des chargeurs» était déjà affirmée par le Code de conduite des conférences maritimes dans son article 11. Ainsi, «des consultations doivent avoir lieu sur les questions d’intérêt commun entre la conférence, les organisations de chargeurs […]». Avant l’élaboration du Code de conduite, les chargeurs étaient contraints aux pratiques unilatérales des transporteurs, membres d’une conférence. Il y avait donc un déséquilibre dans les relations entre transporteurs et chargeurs. Les transporteurs pouvaient décider d’intervenir sur les lignes les plus rentables au détriment des demandes des chargeurs. L’un des objectifs fondamentaux de l’élaboration d’un Code de conduite des conférences maritimes, repris par le règlement communautaire, est de trouver un équilibre entre les intérêts marchandises et les transporteurs maritimes. Il s’agit donc de régulariser les activités en ne favorisant aucune partie et en évitant toute discrimination. Les chargeurs ne doivent pas subir les pratiques discriminatoires des armateurs.

La nouvelle organisation des accords entre armateurs autour des lignes directrices

Dans un souci de régulation du marché et de limitation d’une concurrence trop importante, les armateurs se sont réunis pour former des conférences maritimes. La mise en place d’accords entre armateurs a, très tôt, permis de régler de tels problèmes. Face aux exigences du transport maritime, les institutions communautaires souhaitaient favoriser la politique maritime sur la politique de concurrence. L’exemption accordée a facilité le développement du transport maritime de lignes régulières même si, rappelons-le, les liners ne sont pas exclusivement organisées autour des conférences maritimes. On retrouve des armateurs indépendants.
L’évolution des relations commerciales entre les chargeur et les armateurs, notamment avec le développement d’accords de gré à gré, d’accords de fidélité, a amené la Commission à s’interroger sur l’unilatéralisme des conférences. La conclusion d’accords de services plus individualisés au détriment du système conférentiel a entrainé un recul de ce dernier. La Commission a donc été amenée à se prononcer sur le sort du système conférentiel. Il ne permettrait pas d’assurer la stabilité des taux de fret et encore moins d’améliorer la qualité des services proposés. La Commission européenne a toujours été contre le privilège accordé à ces accords. Elle a donc profité de ces interrogations pour revoir le régime dérogatoire accordé. En 2004, elle a décidé de publier un Livre blanc sur la nécessité de réviser le règlement de 1986. Face à la pression de la Commission et des organisations de chargeurs, toujours défavorables à l’autorisation des conférences maritimes en Europe, le règlement de 1986 a été abrogé en 2006. L’abrogation totale de l’exemption a pris effet en 2008. Les conférences maritimes ne répondaient plus aux exigences pour bénéficier d’une exemption. Dans le considérant 3 du règlement de 2006, le législateur européen affirme qu’il n’existe « aucun élément prouvant que ce secteur doit être protégé par la concurrence ». Il s’agit alors de faire abstraction des particularismes du transport maritime pour lui imposer des règles générales de concurrence.

Un rôle non déterminant des conférences maritimes sur l’organisation du transport maritime de lignes régulières

La Federal maritime commission a rendu un rapport en 2012 sur les conséquences de l’abrogation du régime d’exemption en Europe76. Elle a soulevé le rôle non-déterminant des conférences maritimes. Mais il faut nécessairement rapprocher cette donnée de la structure même de l’organisation du transport maritime de lignes régulières. Des armateurs indépendants mettent en place leurs propres lignes. Même si cette part des armateurs individuels est faible, il ne faut pas l’oublier. Le transport maritime de lignes régulières ne fonctionne pas à 100% à travers le regroupement d’armateurs. Même si on l’a vu précédemment, ces accords représentent près de 80% sur l’axe Asie-Europe. Il faut aussi comprendre que le marché se structure différemment depuis les années 1990. En effet, on retrouve davantage de regroupements d’armateurs sous le nom de « consortiums » ou « alliances » sur l’axe Est-Ouest. Les conférences maritimes semblent être privilégiées sur les marchés Nord-Sud, axe moins développé. Si la fin des conférences maritimes en Europe n’a pas de réel impact sur le commerce maritime mondial, l’organisation interne des armateurs a dû être modifiée.
L’activité indépendante des armateurs. Le regroupement des armateurs dans une recherche de rentabilité face à la conjoncture économique ne concerne qu’une partie de l’organisation de l’activité des armateurs. En effet, lorsqu’un armateur devient membre d’une conférence maritime ou d’un consortium, il ne met pas en commun toute sa flotte ou tous ses services. Par exemple, la CMA-CGM ne contribuait qu’à hauteur de 600 000 EVP pour l’alliance P3. Sa flotte totale est composée de 424 navires soit 1500000 EVP. La CMA-CGM mettait à disposition environ 40% de sa flotte pour l’alliance. Le reste était utilisé pour ses services personnels indépendants de tout accord. Les activités indépendantes des armateurs ne sont donc pas mises à l’écart. Elles représentent souvent la plus grande partie de leur activité.
De plus, face aux attentes des chargeurs, les armateurs mettent en place de nouvelles activités. Ils sont amenés à intervenir fréquemment sur toute la chaîne logistique. Ils prennent parfois la casquette de « commissionnaire » pour l’organisation de transports de bout en bout. Aujourd’hui, ces pratiques sont, la plupart du temps, propres à chaque stratégie commerciale. Les chargeurs recherchent de plus en plus de services adaptés à leurs demandes. L’indépendance commerciale des armateurs est d’ailleurs souvent appréciée par eux qui ne sont pas soumis aux contraintes des conférences maritimes et autres alliances. Le rapport OCDE évoque aussi les marchés de «niches».

L’application des dispositions générales du droit de la concurrence

Dans un premier temps, l’alliance ne devra pas restreindre le jeu de la concurrence ou affecter le marché intérieur (article 101-1 du TFUE). Le TFUE entend assurer une concurrence effective sur les marchés. Le marché concerné ne devra pas être affecté par des pratiques concertées ayant un effet néfaste sur la concurrence. Pour autant, une alliance qui contribuerait « à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit » pourrait être autorisée par les règles de droit commun. On en revient toujours à cette contre-partie équitable pour les chargeurs. Les effets d’une alliance qui aurait pour but des gains d’efficacité permettraient de contrebalancer les effets négatifs d’une telle pratique. Les économies réalisées par la pratique des alliances devront aussi bénéficier aux chargeurs par la baisse des taux de fret ou l’amélioration des services offerts. Par exemple, l’alliance P3 avait été autorisée par la Commission européenne si elle améliorait la production et favorisait le progrès technique ou économique tout en assurant cette contre-partie équitable du profit aux chargeurs. Dans un arrêt « Glaxo-SmithKlineServices c/ Commission » du 6 octobre 2009129, la CJCE a rappelé que la « contribution s’identifie non pas à tous les avantages que les entreprises participant a cet accord en retirent quant à leur activité, mais a des avantages objectifs sensibles, de nature à compenser les inconvénients qui en résultent pour la concurrence ». Pour autant, le paragraphe 3 de l’article 101 du TFUE précise que les restrictions devront être indispensables pour atteindre les objectifs et la concurrence devra être maintenue. En l’absence de respect de ces conditions, toute alliance sera refusée.

Table des matières

Introduction
Partie 1 : L’organisation des transports maritimes autour des conférences maritimes : entre maintien et interrogations
Titre 1 : L’harmonisation des dispositions communautaires avec la réglementation internationale en difficulté
Chapitre 1 : Un régime dérogatoire aux règles du droit de la concurrence : le Règlement (CE) n°4056/86 et les Lignes directrices de 2008
Section 1 : L’exemption des conférences maritimes sous le contrôle de la Commission
I- La légitimisation des conférences maritimes : un régime adapté aux transports maritimes
II- L’encadrement obsolète des pratiques des conférences maritimes
Section 2 : Vers une libre concurrence : l’établissement de lignes directrices
I- La nouvelle organisation des accords entre armateurs autour des lignes directrices
II- Les échanges d’informations
Chapitre 2 : La fin des conférences maritimes : entre abrogation de l’exemption et ouverture à la libre concurrence
Section 1 : La soumission des conférences maritimes aux règles générales de la concurrence
I- Une validité des conférences maritimes sous conditions
II- Une fin indiscutable des conférences maritimes en Europe
Section 2 : Une volonté de concurrence pure et parfaite dans l’Union européenne
Titre 2 : Le faible impact de la fin des conférences maritimes en Europe sur l’organisation internationale du transport maritime de lignes régulières
Chapitre 1 : Le maintien d’un système conférentiel hors Union européenne
Section 1 : Un système conférentiel privilégié par les législations locales
Section 2 : Le cas particulier du commerce maritime américain
Chapitre 2 : La non affectation du commerce maritime mondial : une possible remise en cause de l’utilité des conférences maritimes
Section 1 : Un rôle non déterminant : une utilité limitée des conférences maritimes ?
I- Un bilan contrasté des effets positifs et négatifs de la fin des conférences maritimes
II- Un rôle non déterminant des conférences maritimes sur l’organisation du transport maritime de lignes régulières
Section 2 : Une interrogation sur l’utilité limitée géographiquement
I- Une décision propre aux pratiques des Etats membres de l’Union européenne
II- Vers un renouveau du Code de conduite des conférences maritimes ?
Partie 2 : L’adaptation de la pratique à l’évolution du transport maritime et au droit de la
concurrence
Titre 1 : L’évolution de l’organisation du transport maritime de lignes régulières : le développement d’accords techniques
Chapitre 1 : Le regroupement des armateurs face aux coûts d’exploitation du transport maritime de lignes régulières
Section 1 : Le bouleversement du transport maritime par la conteneurisation
Section 2 : L’adaptation du transport maritime de lignes régulières
I- Des investissements considérables mais nécessaires
II- Un regroupement des armateurs indispensable
Chapitre 2 : Une réglementation européenne des consortiums maritimes
Section 1 : Un régime d’exemption accordé aux consortiums maritimes
Section 2 : Le régime dérogatoire des consortiums face au pouvoir de sanction de la Commission
européenne
Titre 2 : Le contournement des règles sanctionnatrices du droit de l’Union européenne
Chapitre 1 : L’échappatoire des armateurs : la création d’«alliances» ?
Section 1 : La distinction entre les consortiums et les alliances
Section 2 : Une application des dispositions communautaires aux alliances : une liberté limitée des
armateurs
I- L’application des dispositions du régime d’exemption accordé aux consortiums
II- L’application des dispositions générales du droit de la concurrence
Chapitre 2 : Cas particulier : l’alliance P3
Section 1 : Présentation de l’alliance P3
Section 2 : L’échec de l’alliance P3 : un protectionnisme grandissant
Conclusion
Bibliographie
Index alphabétique

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