Loi du 7 février 2018 instaurant une taxe sur les C.T.
Afin de développer l’historique de la loi faisant l’objet de notre étude, il convient de revenir en arrière pour se pencher sur l’introduction de la T.C.T. via la loi du 7 février 2018. Notons, pour rappel, qu’il est essentiel de dissocier cette dernière de la T.A.C.T., les objectifs de chacune étant fondamentalement différents. Toutefois, de nombreuses similitudes existent entre les deux textes. Le recul dont nous disposons sur l’expérience de la première taxe nous permettant dès lors de disposer d’un socle d’analyse particulièrement utile en vue d’appréhender le nouvel impôt.
Description
L’objet de cette première loi était « d’introduire à partir du 1er janvier 2018 une taxe sur les comptes-titres qui sont détenus par des personnes physiques tant en Belgique qu’à l’étranger, en ce qui concerne les habitants du Royaume, et uniquement en Belgique, en ce qui concerne les non-résidents, et pour lesquels la part dans la valeur moyenne totale des instruments financiers imposables équivaut à ou dépasse 500 000 euros ».
Concernant les actifs financiers imposables, il s’agit des actions et certificats associés, des obligations et certificats associés, des parts de fonds communs de placement ou de sociétés d’investissement, des bons de caisse et des warrants. Certains investissements détenus en compte-titres (C.T.) tels que les produits dérivés ou certificats immobiliers ne sont donc pas visés.
Il convient ici d’insister sur le fait que les parts détenues par une personne physique dans différents C.T. sont accumulées pour le calcul de la taxe. Dans le cas de détention démembrée ou en cotitularité, la part dans la valeur moyenne est présumée proportionnelle au nombre de titulaires. La faculté de déroger à cette présomption sur base de la répartition réelle étant laissée au contribuable. Toujours concernant le calcul de la taxe, la base imposable est déterminée en fonction de la moyenne de quatre points de références correspondant au dernier jour de chaque trimestre.
La déclaration et la perception de la taxe sont quant à elles réalisées de façon privilégiée par l’intermédiaire situé en Belgique ou son représentant et à défaut par le/les titulaire(s) du C.T.
Concernant l’objectif de la taxe, ce texte s’inscrivait dans une optique de taxation du patrimoine visant les personnes physiques les plus fortunées dans la philosophie d’une « politique fiscale plus juste » . Sa philosophie était celle d’un impôt sur le « stock de patrimoine », dans un contexte où de nombreuses voix s’élevaient contre l’accentuation « naturelle » des inégalités patrimoniales , pour une réforme de la fiscalité et dans un souhait de contribution plus importante des épaules les plus larges. Budgétairement, il s’agissait pour le législateur de compenser la baisse de l’impôt des sociétés.
Afin de protéger la base imposable, une mesure anti-abus spécifique (M.A.A.S.) est intégrée au texte, cette-dernière visant la conversion d’instruments imposables en titres nominatifs ainsi que l’apport à une personne morale soumise à l’impôt des sociétés dans le seul but d’échapper à la taxe.
Suite à l’introduction de cette taxe, de nombreux recours en annulation sont introduits. Dans le cadre de son arrêt du 17 octobre 2019, la C.C. donna raison aux requérants en annulant la T.C.T., faisant toutefois recours à sa faculté de maintenir les effets de la taxe jusqu’à la date du 30 septembre 2019 incluse. A la suite de cette annulation, de nombreuses voix évoquèrent d’emblée la potentialité d’une « taxe sur les compte-titres 2.0 » prenant en considération les remarques de la cour .
L’Arrêt de la Cour Constitutionnelle et ses enseignements
Dans le cadre ce chapitre, nous recensons les enseignements de l’arrêt de la C.C. annulant la T.C.T. . A titre d’introduction, il apparaît utile de nous concentrer sur le principe constitutionnel d’égalité et non-discrimination, ce dernier étant la pierre angulaire des recours en annulation et questions préjudicielles posées à la C.C. dans le cadre de l’arrêt en question.
La C.C. rappelle ainsi dans l’arrêt étudié qu’il faut « tenir compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause ; le principe d’égalité et de nondiscrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ». Les différences de traitement établies entre citoyens sont donc admises en soi, mais pour autant que le but soit légitime et que ces dernières soient suffisamment justifiées .
Nous nous pencherons donc tout d’abord sur l’objectif poursuivi, avant d’étudier les différences de traitement soulevées par les requérants. De façon générale, nous nous concentrerons ici essentiellement sur les éléments restants pertinents au regard de la T.A.C.T.. Cette dernière représentant l’objet principal de notre étude.
L’objectif poursuivi
Concernant l’objectif formulé par l’ancienne taxe, c’est la philosophie d’une politique fiscale plus juste qui était mise en avant, à travers une taxe visant exclusivement les patrimoines les plus importants. Le but poursuivi a été considéré légitime par la C.C.
L’existence de différences de traitement
La C.C. a confirmé que les différences de traitement établies reposaient bien sur des critères objectifs. Elle poursuivait toutefois en insistant sur le fait qu’au-delà de cette objectivité, la justification raisonnable des différences de traitement devait être établie « en tenant compte notamment du but et des effets de la loi attaquée ». C’est dès lors l’appréciation de la proportionnalité des mesures prises à la lumière des objectifs du texte de loi qui est centrale.
A cette fin, nous avons d’abord analysé les différences de traitement déjà étudiées par la C.C. et ayant abouti à l’annulation du régime, avant de nous concentrer sur celles laissées en suspens par l’arrêt étudié.
Différences de traitement ayant abouti à l’annulation du régime
Titularité des comptes-titres
S’agissant de la détention de C.T. en indivision, la C.C. avait été critique concernant la possibilité de déclarer la part réelle détenue par chacun des titulaires, sans que cela ne constitue une obligation. Le fait de laisser le choix aux titulaires d’un C.T. indivis d’informer ou non l’administration fiscale de leur part réelle avait ainsi été considéré comme manifestement déraisonnable au regard de l’objectif d’une politique fiscale plus juste. En effet, la présomption de détention proportionnelle des parts pouvait permettre à un citoyen détenteur d’un C.T. en indivision d’éviter la taxe alors qu’un autre contribuable disposant des mêmes avoirs sur C.T. hors indivision y était soumis.
Exclusions
Une première critique importante avait été formulée quant à l’exclusion de certains instruments financiers pourtant détenus en C.T. . La C.C. avait ainsi estimé qu’au regard de l’objectif poursuivi, il était manifestement déraisonnable de les exclure du champ d’application de la taxe dès lors que ces instruments financiers « peuvent être inscrits sur un compte-titres, sont négociables et représentent une valeur déterminée» .
Pour ce qui est des produits financiers non détenus en C.T., la C.C. évoque la remarque préalable du C.E. concernant la justification de la différence de traitement induite par la non prise en considération des actions nominatives en particulier. Le C.E. ayant émis l’avis suivant : « on peut en effet difficilement admettre que le détenteur d’un portefeuille nominatif d’actions, dont la valeur est supérieure à la limite d’exonération, ne puisse pas tout autant être considéré comme un citoyen aisé et que la taxation d’un tel portefeuille ne puisse dès lors pas également s’inscrire dans le cadre d’une politique fiscale plus juste » .
1. Introduction |